1. Dispositifs de recueil des données.

1.1 Les deux phases de la recherche.

Les entretiens cliniques se répartissent en deux groupes :

  • Les dix premiers ont été réalisés pour le DEA dans l’objectif de comprendre la souffrance des chômeurs. Comme l’annonçait mon introduction, ils ont été re-exploités à partir des nouvelles hypothèses de la thèse (hypothèses A). Complétés par le matériel recueilli dans mon cadre professionnel, ils sont à la base de la deuxième partie de ce document.
    Les personnes rencontrées, 9 hommes et 1 femme ont entre 35 et 50 ans et sont au chômage depuis 2 à 6 ans. L’ANPE ayant refusé de jouer le rôle d’intermédiaire pour la prise de contact, leurs coordonnées m’ont été transmises par des intervenants assurant le suivi d’allocataires du RMI*, des formateurs d’organismes d’insertion, des psychiatres et psychologues travaillant en libéral. Trois sont d’anciens stagiaires que j’ai eu l’occasion d’accompagner pendant une courte période d’élaboration de projet et qui n’ont pas retrouvé de travail depuis. Ces personnes ne constituent naturellement pas un échantillon représentatif de la population globale des chômeurs, mais m’ont été adressées parce qu’elles semblaient particulièrement en souffrance par rapport à leur situation d’inactivité.9

  • Les seconds entretiens ont été réalisés ultérieurement pour réfléchir aux stratégies de dépassement de la souffrance induite par le chômage (hypothèse B). Ils ont été complétés par les témoignages écrits de deux chômeurs qui ont raconté leur expérience et ont été publiés, par les témoignages indirects rapportés par différents chercheurs (généralement des sociologues) dans leurs travaux sur le chômage ou l’exclusion et par mes propres observations dans les institutions où j’interviens. Ils sont à la base de la troisième partie.
    Les 16 personnes rencontrées dans ce deuxième cadre (9 hommes et sept femmes de 27 à 55 ans) ne constituent pas, elles non plus, un échantillon représentatif. Les coordonnées de 5 d’entre elles m’ont été transmises par un organisme de placement de travailleurs handicapés qui les accompagne depuis plusieurs mois vers une insertion professionnelle, mais qui les repère comme ne s’inscrivant plus actuellement dans l’objectif de retrouver un emploi. Elles semblent avoir trouvé un équilibre en l’absence d’activité professionnelle. Cet équilibre, on le verra, correspond pour certaines à un renoncement à tout espoir de trouver un emploi et un renoncement global d’investir quoi que ce soit, et pour d’autres, à des degrés divers d’un travail du deuil, à la découverte d’autres objets d’investissement ne faisant plus de l’emploi l’objectif à atteindre.

Les autres personnes ont été rencontrées par l’intermédiaire de collègues professionnels ou associatifs connaissant l’objet de ma recherche. Il s’agit parfois de personnes ayant dû, pour des raisons médicales, renoncer à un travail et réorganiser leur vie autrement, mais aussi pour deux d’entre elles, de personnes ayant volontairement choisi d’arrêter de travailler en prenant une retraite anticipée vers l’âge de 40 ans. De telles différences m’ont permis de croiser et de clarifier certaines conditions de possibilité du deuil et de mieux comprendre rétrospectivement le cheminement des demandeurs d’emploi.10

Précisons que ce deuxième groupe ne présente pas la même homogénéité que le premier en ce qui concerne le niveau de qualification puisqu’on y trouve des personnes d’un niveau VI à III. La volonté d’élargir la modélisation de la gestion du chômage et la difficulté à rencontrer des personnes ayant trouvé un équilibre psychique en l’absence d’emploi expliquent cette diversité.

Notons également que ce deuxième groupe est en partie marqué par l’existence de problèmes de santé venant s’ajouter au chômage. Cette caractéristique est bien sûr directement liée à une partie de mon activité professionnelle, dans une COTOREP*, auprès de personnes en recherche d’emploi. Je suis consciente du poids de cette variable et tâcherai de toujours la prendre en compte dans l’analyse de mes données. Elle constitue à la fois un obstacle dans la mesure où certains témoignages peuvent être considérés comme peu significatifs du vécu des chômeurs en bonne santé, mais aussi, on le verra, l’occasion de creuser davantage ma problématique. L’existence d’une allocation d’adulte handicapé ou d’une pension d’invalidité peut suspendre en partie la question du revenu et permettre d’examiner plus librement les autres entraves au deuil du travail. L’impact des problèmes de santé sur la gestion de la culpabilité peut être lui aussi intéressant pour analyser cette gestion chez des chômeurs ne disposant pas de cette légitimation objective de leur inactivité.

Les analyses proposées à partir de l’ensemble des témoignages seront toutefois, en raison de ces particularités, à comprendre comme de premières pistes de travail, à confronter à d’autres données cliniques quantitativement plus significatives et qualitativement plus variées.

Notes
9.

Cf. Annexe I., 1. Présentation des personnes rencontrées.

10.

Cf. Annexe I., 1. Présentation des personnes rencontrées.