2.3 Particularités et limites du matériel :
« une psychologie clinique du social ».

Si la méthode des entretiens non-directifs évite de nombreux écueils comme je viens de le montrer, elle n’en présente pourtant pas moins certaines limites et conduit à recueillir un matériel dont les particularités restent à préciser. Comme toute méthode, elle opère un travail de tri, de filtrage et de préformation et il existe bien sûr un important décalage entre la réalité observée et le matériel recueilli. Celui-ci ne constitue qu’une facette incapable de rendre compte de la complexité globale du phénomène étudié. Un tel constat est valable pour toute démarche de recherche, quelles que soient les méthodologies utilisées. Il reste toutefois utile, si au delà de la prise de conscience de cet inévitable obstacle, il conduit à définir plus précisément la nature des filtrages opérés et à les prendre en compte ensuite dans le travail d’analyse et de théorisation.

Les entretiens qui servent de base à ma recherche peuvent être schématiquement décrits comme des situations de mise en mots de l’expérience subjective du chômage, mise en mots sollicitée et accompagnée par un chercheur, mise en mots ultérieurement analysée et interprétée grâce au travail de théorisation.

Cette description met à jour les trois principales particularités et limites sur lesquelles je souhaite m’arrêter :

• Le matériel servant de base à ma recherche dépend directement de la capacité du sujet à faire part de sa réalité psychique, c’est à dire de la façon dont il vit intérieurement la réalité concrète du chômage.

• Cette capacité auto-représentative est elle-même liée au contexte relationnel dans lequel elle s’exerce.

• Le matériel dépend, enfin, de la capacité du chercheur à entendre ce qui lui a été communiqué et à y donner un sens.

Les deux premiers points sont étroitement intriqués et seront traités simultanément. Ils conduisent en fait à s’interroger sur un discours « moulé » par l’organisation défensive du sujet, organisation défensive elle-même influencée par un contexte relationnel forcément marqué par des mouvements transférentiels et contre–transférentiels.

Le troisième permettra de présenter les grilles de lecture utilisées pour analyser le matériel recueilli, en montrant qu’elles sont parfois le moyen de dépasser certaines limites du matériel — ou de les transformer en levier pour la recherche — mais qu’elles restent aussi une occasion d’interprétation erronée de la réalité observée.