2.1.2 Conflit Moi-plaisir / Moi-réalité

Si la première réaction est refus, recherche d’une annulation du fait douloureux dans une illusion de toute-puissance passée, les comportements de sidération comme de décharge émotionnelle prouvent bien qu’il y a eu, aussi, début d’une perception de réalité. Le conflit, entre acceptation et refus de la réalité matérielle et des changements internes qu’elle induit, apparaît très rapidement : « Pleurer en répétant des mots de refus, des phrases de rejet, entrecoupés de souvenirs, de l’évocation de certains traits, de certains caractères du disparu, indique qu’une partie du Moi au moins commence à accepter ».87 On pourrait ajouter que ces réactions sont déjà le signe du démarrage du travail dépressif comme je le montrerai en analysant les fonctions de la remémoration de l’objet perdu.

La période du choc est ainsi caractérisée par un état de désorganisation important pendant lequel le sujet tend à la fois à maintenir une régression défensive et à s’approprier des éléments de réalité pouvant confirmer la perte : « ... nous nous faisons répéter ces paroles néfastes, nous demandons des précisions »88 comme s’il était nécessaire d’inscrire intellectuellement et sensoriellement ce qui nous permettra d’admettre la réalité de la perte et de maintenir une organisation psychique équilibrée.

Après la blessure provoquée par le choc, la tension entre la partie du Moi qui régresse jusqu’au Moi-plaisir et l’autre partie qui reste attachée à la réalité est une deuxième source de douleur. Elle peut être si importante qu’elle entraîne un clivage du Moi, « ingénieuse solution » comme le notait S. Freud en 1938,89 pour apporter satisfaction aux deux parties en conflit, mais « au prix d’une fissure dans le Moi qui ne cicatrise jamais et ne cesse d’augmenter avec le temps ».

Cliniquement, ce conflit peut se traduire par un « comportement de recherche avec une fréquence relative des hallucinations, sans que ce soit un indice de complications ultérieures du travail du deuil ».90 Cet exemple montre bien que le travail du deuil se fait à plusieurs niveaux : au niveau des processus secondaires et du jugement raisonné — le sujet admettant intellectuellement la perte est capable de regards autocritiques sur ses réactions — et au niveau des processus primaires, avec une recherche inconsciente du plaisir, une négation de la mort et de l’inéluctabilité de la perte.

Notes
87.

M. Hanus, op. cit., p 100

88.

Ibidem, p 96.

89.

S. Freud, Le clivage du Moi dans le processus de défense.

90.

M. Hanus, op. cit., p 103.