2.2.1 Libération et désintrication de l’énergie pulsionnelle.

Le deuil peut être décrit — en particulier dans la phase de dépression — comme un moment de mise à jour de l’ambivalence de toutes nos relations d’objet. Ambivalence dont on peut souligner avec D. Lagache (1938 a et b) la double dimension : ambivalence entre amour et haine, et ambivalence entre similarité et altérité. La perte d’un objet d’amour en réactivant les vécus de pertes originaires confronte, en effet, le sujet, aux traces d’une période de totale dépendance à un objet encore non clairement différencié, et à la fois tout bon et tout mauvais, source de plaisir et garant de la satisfaction des besoins, tout autant que persécuteur, car manquant et se dévoilant progressivement irrémédiablement autre.

La libération et la désintrication de ce double investissement de l’objet se manifestent cliniquement dans les nombreux comportements agressifs propres à la période de deuil, agressivité contre le défunt, contre soi ou contre l’entourage. Elles sous-tendent naturellement des sentiments de culpabilité mais apparaissent aussi dans les mouvements d’idéalisation et dans les innombrables passages d’une tendance à l’autre.

M. Klein (1967) illustre cette problématique98 en évoquant le cas d’un jeune homme réagissant d’abord à la perte de sa mère par de violents mouvements de haine et l’évocation des seuls aspects persécuteurs de l’objet perdu et détesté, et cheminant progressivement vers une douleur et un désespoir intenses liés à l’amour fou pour ce même objet. Notons avec cet exemple que si la désintrication pulsionnelle est source de difficultés pour l’endeuillé, car à l’origine de sentiments de culpabilité à cause de la mise à jour d’une ambivalence antérieurement ignorée ou minimisée, elle peut également être utilisée de manière défensive. La haine, c’est à dire la reconnaissance initiale du seul lien agressif à l’objet perdu, protège d’abord contre la douleur et le désespoir et ne sera lâchée que lorsque le sujet se sentira capable de supporter de tels sentiments. Inversement, les mouvements d’idéalisation en écartant les composantes agressives de la relation antérieure sont d’abord un mouvement défensif contre le retour de cette agressivité et des sentiments de culpabilité.

Les travaux anthropologiques fournissent, avec les conduites de rejet,99 d’autres exemples de la mise à jour de l’ambivalence, de la désintrication des pulsions et des tentatives culturelles de maintenir extérieurement lié ce qui ne l’est plus intérieurement.

Notes
98.

M. Klein, op. cit., p 364.

99.

Voir à ce propos les travaux de L.V. Thomas, « Rites de mort. Pour la paix des vivants » (1985) : agression portée sur le corps du défunt visant à empêcher le retour et la vengeance du mort, sentiments de craintes (de contamination par exemple) et conduites d’évitement à l’égard de la dépouille.