1.3.2 Une position féconde pour penser le deuil du travail.

Ce type d’approche conduit donc finalement à se dire que la centralité du travail est une fausse question, qu’il ne s’agit pas d’y répondre par une position idéologique militante, mais plutôt de voir en quoi le chômage renouvelle les théories de l’intégration et de la socialisation, en écartant l’idée d’un objet unique et indispensable pour étudier le rôle et les interactions de plusieurs objets. Comme l’écrit C. Dubar (1993), les questions d’emploi et de travail font partie et ne peuvent être séparées de l’ensemble des

‘« dynamiques “locales” de construction et de déconstruction de liens sociaux (familiaux, urbains, culturels) (...) Mais il faut rompre avec la conception fonctionnaliste de la socialisation comme intégration programmée et passive des individus à un système social structuré autour d’une forme “naturelle” de travail ».234

Les hypothèses A1bis, A2bis, A3bis s’inscrivent dans cette logique et méritent à présent quelques commentaires.

Dire à des chômeurs que le travail est central peut être analysé comme un encouragement positif ou comme une pression paradoxale ; leur affirmer la fin du travail peut être décrit comme l’ouverture à d’autres formes de citoyenneté ou une incitation à la démobilisation. Mais quelles que soient les positions, il y a aujourd’hui dans notre société des personnes dans l’obligation de gérer l’absence d’emploi. Mes hypothèses sont une proposition pour comprendre ce qui rend cette gestion particulièrement difficile. Elles échappent à l’antagonisme des positions idéologiques et utopiques précédemment décrites pour s’interroger sur la trop grande exclusivité de la relation à l’objet-travail.

Le débat présenté antérieurement peut ainsi être perçu comme la démonstration de la difficulté, face à l’exclusivité de l’étayage de l’objet-travail, d’échapper à une réflexion en terme de tout ou rien. Les hésitants en témoignent en achoppant sur l’alternative : la relation doit être ou ne pas être, sans réussir à penser que le problème est la nature de la relation. Les utopistes s’efforcent de montrer que le collage n’est qu’historique et culturel, mais basculent souvent rapidement vers la proposition d’un autre collage exclusif. Leur principale utopie consiste ainsi peut-être à reproduire autour d’un nouvel objet les mêmes enjeux et fonctions qu’autour du travail, sans percevoir que le problème principal est la question de la nature du lien à nos objets d’étayage. Les tentatives de quelques auteurs pour ouvrir de nouvelles perspectives sont elles la proposition d’un étayage plus souple et d’une relation à l’objet-travail plus mature, c’est-à-dire une relation moins marquée par la non différenciation et l’ambivalence. Elles posent la question du détachement de cet objet et de ses conditions de possibilité. Ces tentatives sont toutefois entravées par la position idéologique de défense de la centralité du travail, position qui a tendance à rendre plus exclusive encore la relation à l’activité professionnelle en l’idéalisant.

Ma contribution me semble donc finalement largement en écho avec l’article d’Y. Barel :

  • Les conditions s’opposant au travail du deuil exposées dans mes hypothèses correspondent à la difficulté pour des sujets et une société de vivre une période du « comme si le travail demeurait le Grand Intégrateur » ;

  • Les propositions de réussir « à choisir de ne pas choisir » correspondent à la remise en question de l’exclusivité du lien. La sortie de l’impasse « Il faut travailler / Il n’y a pas de travail » réside dans l’acceptation de pouvoir exister aussi lorsque l’on ne travaille pas, la découverte que la richesse d’une vie psychique ne se limite pas au temps de travail.

Notes
234.

C. Dubar, op. cit., p 44.