1.2.1 Une relation particulière à chaque histoire individuelle.

L’existence d’une grande diversité de relations à l’objet-travail est en concordance avec la description psychosociologique de la variété des vécus du chômage. Elle est très clairement repérable lorsque l’on interroge les individus sur la place qu’ils accordent au travail.

L. Mémery en donne une idée dans une étude qualitative de stages de retour à l’emploi pour laquelle elle a questionné plusieurs groupes de femmes sur leurs attentes par rapport à une activité professionnelle.279 Sans volonté d’exhaustivité ou de classification précise des catégories dégagées, notons que le travail apparaît tour à tour :

  • comme une obligation dont on n’attend rien de plus que l’apport économique,

  • comme un lieu de développement personnel et de réalisation de soi,

  • comme un objet antidépresseur occupant l’esprit et empêchant de penser,

  • comme un moyen de promotion sociale ou de réassurance narcissique.

Des investissements si différents laissent supposer — même s’ils ne sont que le reflet exprimé secondairement de liens primaires dont on ignore exactement la nature — des relations objectales au travail fort différentes, et par conséquent des formes très distinctes de deuil.

Les recherches sur les choix vocationnels et sur la complexité des motivations conscientes et inconscientes conduisant à une orientation professionnelle sont une autre source d’information sur la diversité de la nature du lien à l’objet-travail. En soulignant la fréquente irrationalité des représentations de métiers, c’est-à-dire le fort décalage entre la représentation et la réalité de l’activité, décalage qu’un travail d’information et de clarification n’arrive que rarement à réduire, elles montrent bien que l’activité professionnelle est le lieu de dépôt d’attentes et de désirs tributaires de l’histoire personnelle du sujet. Y. Tisseron illustre cette dimension dans son ouvrage « Du deuil à la réparation » (1986) en montrant que l’origine des vocations des grandes pionnières du social, mais aussi, par la suite, de nombreux travailleurs sociaux, réside dans un intense besoin de réparation lié une histoire infantile marquée par le deuil. Chaque métier pouvant être porteur de fantasmes particuliers, les ruptures du lien à l’objet-travail ne seront que des aventures uniques et fort diversifiées.

Sur la base du modèle d’un triple façonnage de la relation à l’objet-travail, je présenterai brièvement deux éléments déterminants à l’origine de cette diversité : la maturité psychique du sujet et les caractéristiques de l’emploi exercé. Le contexte environnemental dans lequel naît et s’entretient le lien sera envisagé ultérieurement pour montrer l’existence d’une trame commune, en deçà de la diversité de la relation à l’objet-travail. Ces précisions permettront d’isoler des facteurs qui ne constituent pas l’objet de ma recherche, mais qui sont importants pour comprendre la nature de la relation au travail. Je pourrai ainsi développer ensuite plus longuement l’idée de trame commune sur laquelle reposent mes hypothèses. Cette distinction ne m’empêchera naturellement pas, lors des études de cas, de croiser l’ensemble des facteurs, puisqu’ils sont tous nécessaires à la compréhension de la gestion du chômage.

Notes
279.

L. Mémery, Etude qualitative des stages « Retour à l’emploi ».

Matériel recueilli à partir de trois outils d’investigation :

- une séance de Photolangage,

- les réponses orales à la question « Qu’est ce que vous attendez du travail ? »,

- un exercice écrit sur « ce qui compte pour soi dans l’environnement » [la personne est invitée à noter sur une feuille blanche, autour de son prénom, et à une distance proportionnelle à l’importance qu’elle leur accorde, le nom de toutes les personnes, objets, lieux, etc. comptant pour elle].