1.2.2 Une trame culturelle commune.

Comprendre la nature du lien à l’objet-travail suppose également de s’interroger sur le contexte environnemental dans lequel ce lien s’est développé, c’est-à-dire sur l’effet de modelage de ce lien par l’ensemble du processus de socialisation, au sein des différents groupes d’appartenance, du cadre étroit de la famille au cadre large d’une société organisée autour de modèles culturels qui lui servent de référence. Ce contexte environnemental est directement lié à l’histoire individuelle du sujet, à son éducation, à ses modèles identificatoires fondamentaux et aux valeurs qu’ils accordent (ou accordaient) au travail. Il est par conséquent à l’origine d’une nouvelle diversité de la relation, qui sera particulièrement repérable dans les études de cas proposées en Partie 3. Nous verrons que les sujets expliquent bien souvent les stratégies mises en place pour aménager leur situation de chômage en fonction des modèles éducatifs dans lesquels ils ont grandi.

Ma recherche me conduit toutefois à repérer un fond commun propre à notre société et aux valeurs et représentations qu’elle porte sur la place du travail. Les groupes d’appartenance restreints (familiaux, amicaux, socioprofessionnels, associatifs...) portent, en effet, malgré la multiplicité des leurs formes, l’empreinte des modèles sociétaux globaux et sont les lieux de leur transmission. Les chômeurs qui sont l’objet de mon étude sont donc marqués par un contexte culturel qui permet d’expliquer, indépendamment des particularités anamnéstiques et structurelles des individus mais aussi des particularités organisationnelles des postes de travail, en quoi la relation unissant un sujet à l’objet-travail peut, dans la société française contemporaine, devenir exclusive (ou prendre une place prédominante au détriment d’autres liens).

L’étude de cette trame commune a largement été amorcée par le chapitre III : les valeurs et représentations attribuées au travail correspondent en effet au point de vue développé par les défenseurs de la centralité du travail, même si l’ampleur du phénomène chômage entraîne une évolution — renforcement ou fragilisation — de ce point de vue.

Rappelons brièvement que le travail est décrit comme « la forme obligée d’activité pour accéder aux ressources matérielles et immatérielles nécessaires pour vivre dans nos sociétés »,284 comme le fondement du lien social et comme l’élément central de la construction de l’identité. Afin de mieux saisir l’origine de ces représentations du travail et leurs conséquences sur la nature de la relation à l’activité professionnelle, je présenterai quelques pistes de réflexion montrant comment le travail a pu progressivement, au fil de l’histoire, être investi des fonctions qui sont les siennes aujourd’hui. Cette perspective historique restera sommaire, mais dégagera les éléments fondamentaux auxquels s’articulent mes hypothèses :

On retrouve avec ces deux éléments, les deux registres de besoins repérés en début de ce chapitre.

Notes
284.

M. Freyssenet, op. cit., p 10 (déjà cité chapitre III, § 1.1.1).