2.2 Le besoin d’organisation des stimulations et d’appropriation des événements.

Les témoignages font apparaître parallèlement à la souffrance liée à la carence en stimulations, une souffrance associée au sentiment d’une profonde désorganisation interne. La situation de chômage révèle ainsi un deuxième registre de besoins du Moi, puisque viennent s’ajouter aux besoins de stimulation, des besoins d’organisation de ces stimulations. L’analyse de ce deuxième registre nécessite quelques remarques préalables.

On peut s’étonner que le besoin d’organiser les stimulations demeure important chez des personnes que l’on a précédemment décrites en carence de stimulations externes. Dépasser cette contradiction suppose d’abord de garder à l’esprit la nature disqualifiante des rares stimulations restantes et de s’interroger sur les efforts défensifs et élaboratifs qu’elles vont exiger d’un sujet. L’insatisfaction du besoin d’organisation peut alors être comprise en lien avec la difficulté de faire face à des stimulations qualitativement très déstabilisantes. La contradiction s’estompe également lorsque l’on considère que la privation des stimulations extérieures rend le sujet beaucoup plus dépendant qu’habituellement de son monde interne. En effet, comme le met en évidence P.C. Racamier (1979), le Moi n’est « ni complètement dépendant du Ça ni du monde extérieur, mais son autonomie est garantie par son rapport persistant avec l’un et l’autre de ces deux pôles. L’indépendance d’un côté est directement proportionnelle à la dépendance de l’autre ».349 En perdant la richesse de ses relations avec le monde extérieur, le Moi se trouve donc en position de déséquilibre. Son autonomie par rapport au réel augmentant, il est également de plus en plus à la merci du Ça. « Le déplacement de l’équilibre entre les données intéro et extéroceptives (...) libère des phénomènes d’émergence fantasmatique (...), la scène psychique prend une position émotionnelle centrale ».350 La focalisation de l’attention sur le fonctionnement interne peut être l’occasion de révélations troublantes pour le sujet, révélations apportant une deuxième explication au sentiment de désorganisation.

Les témoignages qui vont suivre révèlent donc un nouvel aspect de l’intrication du fonctionnement moïque et de l’activité professionnelle en montrant combien les fonctions défensives et élaboratives du Moi peuvent trouver un étayage privilégié dans le travail. Je distingue ici, pour la clarté de mon propos, deux types de fonctions étroitement associées pour garantir l’équilibre psychique :

Notes
349.

P.C. Racamier, Le Moi privé de sens, p 123.

350.

Ibidem, p 122.

351.

R. Roussillon, un sujet qui ne va pas de soi, le sujet en procès, p 1753.