1.1.1 L’exemple du Plan National d’Accès à l’Emploi.

La mise en place de nouvelles actions contre le chômage dans le cadre du programme de prévention et de lutte contre les exclusions peut constituer un exemple récent de la place centrale du travail dans les énoncés fondamentaux transmis par notre société. Ces actions donnent lieu depuis 1998 à une vaste dépense de moyens tant sur le plan matériel qu’humain : elles concernent en effet l’ensemble des publics concernés par le chômage, jeunes et adultes, et ont conduit à des recrutements, formations, et améliorations matérielles (notamment sur le plan informatique) pour renforcer l’efficacité des équipes d’insertion déjà en place (ALE, MLJ, EPSR, etc.*). Leur objectif est de remédier aux difficultés d’accès ou de retour à l’emploi, par un accompagnement personnalisé et intensif. Elles s’appuient pour cela, comme le rappelle les textes officiels, « sur des techniques éprouvées dans le cadre des unités techniques de reclassement : un référent unique, des contacts réguliers (au moins deux fois par mois), la volonté du demandeur, l’identification commune d’objectifs à atteindre ».

Mon propos ne sera pas de porter un jugement critique sur de telles techniques d’accompagnement mais de souligner les messages explicites et implicites qu’elles transmettent. Ma réflexion sera systématiquement accompagnée d’extraits significatifs du « Programme de prévention et de lutte contre les exclusions » :398

‘L’accès à l’emploi pour tous est la priorité.
« La priorité du gouvernement est de créer des emplois, beaucoup d’emploi c’est la raison d’être de toute son action. »399

Cet accès est jugé parfois difficile à cause des obstacles relevant de l’insuffisance des offres d’emploi, mais aussi des problématiques individuelles.

‘« ... certains n’auront pas accès directement aux emplois qui vont être créés, parce que des périodes de chômage longues, une qualification inadaptée ou insuffisante, avec les difficultés personnelles et sociales qui en découlent les ont éloignés de l’emploi. »400
  • Mais il est possible d’agir sur ces problématiques individuelles et de les résoudre : il suffit pour cela de développer des moyens suffisamment conséquents et adaptés.

‘« Le programme Trace (destiné aux jeunes) a pour ambition de proposer (...) un accompagnement très poussé, à la hauteur des difficultés rencontrées. »’ ‘« L’objectif est d’apporter aux demandeurs d’emploi une réponse graduée au regard des difficultés qu’ils rencontrent et de leur degré d’autonomie, et de leur permettre un nouveau départ afin de prévenir le chômage de longue durée. »
En offrant « le droit à être accueilli, orienté, suivi, ou inscrit dans des itinéraires structurés, (...) les obstacles au retour à l’emploi vont être levés. »’

Le travail reste, on le voit, l’élément clef de la lutte contre l’exclusion et il est catégoriquement refusé d’admettre que cet objet ne puisse être accessible à tous. L’obstacle est réduit à un problème de choix des stratégies d’accompagnement. Le raisonnement proposé s’appuie sur une logique d’objectifs, telle qu’elle peut être utilisée, par exemple, en pédagogie, et est porteur des mêmes illusions de toute puissance. La formalisation précise du résultat poursuivi, la définition fine des différentes étapes nécessaires pour l’atteindre et l’individualisation des méthodes en fonction des difficultés de chacun, auraient la vertu de conduire de nouveau au plein emploi.

Soulignons que cette illusion ne se limite pas à un discours de bonnes intentions mais s’impose sur le terrain par les exigences fixées aux professionnels chargés de mettre en application ces mesures. Leur démarche d’accompagnement doit se traduire par des résultats quantifiables en terme de retour à l’emploi. A eux de développer l’énergie nécessaire pour atteindre les objectifs visés. On ne peut donc s’étonner que cette position institutionnelle les conduise à faire pression sur les chômeurs et à développer des modalités d’accompagnement fort culpabilisantes et persécutrices. Citons pour exemple le discours inquisiteur et moralisateur des services de contrôle des recherches d’emploi de la DDTEFP* :  les employés de telles cellules ont pour mission de vérifier la qualité des recherches et de sermonner les demandeurs d’emploi peu actifs. Leur objectif ne leur permet de prendre en compte ni les obstacles rencontrés sur le plan individuel ni la réalité économique du marché. Evoquons également l’énergie consacrée à rechercher des dispositifs capables d’entretenir le désir de travailler de personnes handicapées orientées vers le milieu protégé alors que l’on sait par ailleurs qu’elles risquent fort de rester définitivement en attente d’un poste. Rappelons également la pression imposée par des professionnels soucieux de respecter la commande institutionnelle et d’être reconnu pour la qualité de leur travail et entraînant activement les chômeurs à faire preuve publiquement de leur capacité et de leur bonne volonté.

Les exemples pourraient être multipliés. Notons que si les démarches d’accompagnement décrites ici s’opposent à un processus de deuil de la relation exclusive au travail, il existe également —nous le verrons en Partie 3 — des professionnels s’efforçant de gérer eux-mêmes le paradoxe pour ne pas accentuer l’exclusion des publics avec lesquels ils travaillent.

Notes
398.

Programme publié par le Ministère de l’emploi et de la solidarité en mars 1998.

399.

Ibidem, p 6.

400.

Ibidem, p 9.