2.1 Environnement et forme du Moi.

2.1.1 Le chômage et la précarité économique.

L’environnement des chômeurs est, on l’a vu, caractérisé par l’entretien de la centralité du travail et la peur de la disparition de cet objet intégrateur. Cette inquiétude conduit notamment à redouter l’apparition d’une tranche de population profitant du système sans respecter la règle d’autosuffisance et ce, bien qu’elle ne soit pas légitimement reconnue à le faire. Cette angoisse se traduit dans l’organisation de la protection sociale française par la volonté de garantir aux personnes travaillant un revenu supérieur à celui des personnes dépendant de prestations sociales. Cette logique est illustrée par ces quelques remarques de S. Paugam (1994) :

‘« Quand on a mis en place le RMI, on a fait en sorte que le montant du revenu minimum d’insertion soit nettement plus bas que le salaire minimum. Les pouvoirs publics ne peuvent pas accepter qu’une personne assistée ait un mode de vie, un comportement et un statut aussi valorisant que celui qui travaille ».422

Ce choix repose sur des motivations que l’analyse historique de l’exclusion des pauvres permettrait largement d’éclairer tant sur ses aspects matériels que dans ses fondements fantasmatiques. Notons, sans développer cette perspective, qu’il conduit un grand nombre de chômeurs à vivre dans une situation de précarité, c’est-à-dire à ne pas disposer, ou que très difficilement, de la satisfaction de ses besoins élémentaires. Le quotidien des chômeurs de longue durée est ainsi souvent un réel parcours du combattant pour trouver des solutions aux règlements des factures et pour venir à bout des multiples démarches administratives occasionnées par la difficulté de ne pas disposer de revenus suffisants. Les efforts physiques et intellectuels nécessaires à la résolution de tels problèmes matériels sont bien réels et justifient en partie la fatigue dont témoignent de nombreux chômeurs. Celle-ci est par ailleurs largement accrue par les exigences de travail psychique imposées par une situation de précarité. L’environnement ne permet donc pas au sujet privé d’emploi d’être pleinement disponible pour un travail du deuil mais mobilise au contraire son énergie pour faire face à de nouvelles contraintes dont je vais à présent examiner la nature.

Je m’appuierai pour cela sur l’examen du mot précarité proposé par J. Furtos et C. Laval :

‘« On parle généralement de précarité en oubliant son sens premier : “Ce que l’on obtient seulement par la prière, la supplication (precari, precatum = prier, supplier)” (...). N’obtenir que par la prière donne le sentiment justifié de fragilité, de manque de sécurité (...) . La personne vivant au RMI est l’exemple type de cette situation ; le RMI est certes un droit, mais un droit à justifier et à mériter continuellement. De ce fait, la première pathologie de la supplique est constituée par la honte : celle d’avoir à se montrer transparent pour obtenir le minimum vital, tout dire sur sa biographie, sa situation privée et ses projets (même s’il n’y en a pas). Se mettre répétitivement à nu pour vivre ou plutôt pour survivre, tel est le propre de la rencontre hontogène. »423

Ces propos mettent en évidence trois principaux processus particulièrement « consommateurs » d’énergie : l’insécurité, la honte et la répétition des situations de disqualification. J’analyserai immédiatement les deux premiers et ne reviendrai au troisième que lors de la présentation de la notion de traumatisme cumulatif.

Notes
422.

S. Paugam, La disqualification sociale, p 92.

423.

J. Furtos et C. Laval, Honte, souffrance et psychopathologie en situation de grande précarité, p 75. C’est moi qui souligne.