3.2 Des injonctions vécues comme un sacrifice.

Parallèlement au déni de la rupture du contrat narcissique, il est possible de décrire plusieurs stratégies s’organisant autour de la perception des injonctions paradoxales comme un sacrifice. Le chômeur est conscient que la société ne respecte plus son engagement de garantir une place à toute personne respectant les énoncés fondamentaux et qu’elle abandonne certains membres pour préserver l’intérêt des autres. Il développe alors différents comportements défensifs ou élaboratifs pour « tolérer psychiquement » cette exclusion, tout comme les angoisses et la fragilisation identitaire dont elle est à l’origine.

Cette idée de sacrifice s’accorde avec les analyses de J. Maisondieu (1997). L’exclusion ne peut exister sans la participation — au moins passive — de l’ensemble des membres encore inclus. Elle est fabriquée et entretenue afin de préserver les valeurs indispensables à leur équilibre. Les angoisses de M. C. ou les propos de V. Forestier (1996) évoquaient eux aussi le sacrifice sous forme de meurtre fratricide. La même idée est implicitement portée par l’ensemble des discours sur l’hégémonie de l’économie sur l’organisation humaine : les lois du marché et de la mondialisation correspondraient aux rouages incontrôlables d’un système vital pour l’avenir de la planète. Ce système obligerait à laisser une part de la population « sur le bord du chemin » pour préserver la survie de l’ensemble. Les refus des travailleurs sociaux d’être l’instrument d’un tri entre les personnes employables, pour lesquelles il est encore rentable de proposer un accompagnement, et les inemployables — ou leur souffrance de contribuer à cette sélection — témoignent encore de la réalité de cette dimension sacrificielle.

Mais comment gérer psychiquement le fait d’être la victime de cette offrande à la divinité « économie » ou à l’abstraction « société » ?

Rares sont ceux qui à l’instar de L. Mercier (1996), jeune chômeur ayant publié un recueil de lettres de motivations humoristiques, peuvent ironiser sur ce sacrifice, et de la sorte, parer à la rupture du contrat. Un extrait de cet ouvrage peut toutefois permettre de repérer les différentes questions auxquelles les chômeurs doivent parvenir à répondre pour gérer psychiquement leur exclusion.

• Monsieur,

• J’appartiens depuis quelque trois mois à ces 12% de chômeurs que justifie la mobilité du tissu économique. Je suis fier d’avoir rendu ce service à la société et maintenant que je vois s’achever ma période d’allocation, je compte sur le sens civique d’un compatriote qui prendra le relais. C’est pourquoi je m’adresse à vous.
  Organisons tous ensemble le partage du temps de chômage !
  Laurent Mercier.⁴⁵⁵