3.2.1 Gérer la culpabilité.

La première question concerne les raisons de l’exclusion : « Pourquoi moi ? Qu’ai-je fait qui puisse justifier ma désignation dans la liste des sacrifiés ? ». Nous verrons lors de la présentation de différents parcours individuels que les réponses apportées à cette interrogation sont largement déterminées par des facteurs individuels, mais aussi par l’existence, ou l’absence, d’étayage culturel permettant de donner sens à la malédiction ou au destin.

Au delà de ces particularités, il s’agit, quoi qu’il en soit, de faire face aux sentiments de culpabilité induits par l’exclusion. Certaines structurations et histoires personnelles conduiront le chômeur à s’attribuer l’entière responsabilité de la situation et à rejoindre le groupe des demandeurs d’emploi actifs, puis des assistés honteux décrits précédemment. Lors de ce deuxième stade, le sentiment de n’être bon à rien, renforcé par l’échec des recherches d’emploi, justifiera le sacrifice qui, à son tour, et dans une boucle sans fin, alimentera le sentiment de n’être bon à rien.

D’autres modalités de gestion de la culpabilité conduiront le chômeur à se révolter contre l’injustice et le dysfonctionnement d’une société sur laquelle sera projeté le sentiment de faute. Cette stratégie se manifestera par une logique de protestation contre l’incompétence des organismes sociaux, et plus largement, par une dénonciation de l’ensemble des choix politiques et économiques du pays. Cette justification de l’exclusion par la recherche de coupables extérieurs n’est toutefois qu’un traitement très archaïque du sentiment de culpabilité et ne permet que très temporairement d’oublier la gestion du « Pourquoi moi ? ». Le constat de l’iniquité du fonctionnement sociétal ne peut en effet que tôt ou tard raviver la question des raisons individuelles ayant conduit à appartenir au groupe des « délaissés » plutôt qu’à celui des « profiteurs ».

La gestion psychique des sentiments de culpabilité avivés par l’exclusion risque donc bien souvent de se traduire par une oscillation stérile entre le « tout de ma faute » et le « tout de la faute des autres ». Il paraît bien difficile de réussir, comme l’a fait L. Mercier, à suspendre cette question en envisageant le chômage non comme une exclusion mais comme une participation active et nécessaire au bon fonctionnement économique de la société à laquelle on appartient.

La formulation humoristique permet en fait de se dégager de la question de la culpabilité parce qu’elle suspend simultanément la question de l’incertitude de l’avenir et enraye l’hémorragie narcissique : le chômage est assimilé à une phase transitoire équitablement répartie entre citoyens se relayant dans le statut de chômeur. Ce statut n’est pas dévalorisé mais au contraire promu au rang de service rendu à la société et de sens civique. Le besoin d’utilité n’est pas remis en cause.

Faute de pouvoir se libérer de ces deux dernières exigences de travail psychique, quelles stratégies peuvent être concrètement développées ?