1. M. Poena.
L’oscillation mortifère.

‘« S’il est vital d’être employé, il devient mortel d’être au chômage. »
M. Bonnal, A. Simon, Signes de deuil au temps de salariat.’

M. Poena a bientôt 55 ans, il est au chômage depuis 3 ans, suite à un licenciement économique qui a mis fin à 19 années de travail chez le même employeur comme chauffeur livreur dans une entreprise agroalimentaire. Il a très rapidement accepté l’entretien après s’être assuré de ma réelle connaissance de l’organisme qui me communique ses coordonnées. Il a précisé au téléphone qu’il avait traversé, suite à sa perte d’emploi, une longue phase de dépression, mais qu’il allait beaucoup mieux. Il m’a proposé une rencontre, dans sa villa, pendant les heures d’absence de sa femme qui travaille à temps plein. L’entretien durera en fait près de trois heures et prendra fin peu de temps après le retour de Mme Poena qui manifestera surtout de l’inquiétude par rapport à mon échange avec son mari : « Il vaudrait mieux éviter de continuer à brasser tout ça ».

Cette situation me semble une intéressante illustration de la difficulté de faire le deuil d’un emploi. Je l’analyserai, dans un premier temps, à partir de la grille de lecture offerte par la théorisation du travail du deuil pour comprendre précisément les mécanismes psychiques en jeu. Je montrerai ensuite ce qu’apporte ce matériel clinique à la compréhension du rôle environnemental pour aider ou entraver la gestion de la perte. Apparaîtront ainsi quelques premiers éléments sur le travail psychique nécessaire à l’aménagement d’un deuil.

Pour donner une vision d’ensemble de l’entretien, précisons que M. Poena a commencé par me raconter son parcours professionnel en le situant dans une histoire de vie : sa région d’origine, les activités de ses parents, son mariage, les différents postes occupés. Passant rapidement sur les expériences anciennes, il a insisté sur la progressive dégradation de son dernier poste jusqu’au licenciement dont il a longuement détaillé les différentes phases.

Le reste de l’entretien peut être décrit comme une riche alternance de descriptions de sa situation actuelle (activités quotidiennes et état psychologique), de questionnements sur les raisons de son licenciement, d’expression de sa haine toujours vive pour ceux qui l’ont « jeté comme une feuille morte », mais également de récits de souvenirs professionnels heureux et de témoignages sur les différents acteurs (conjoint, voisins, dispositifs d’insertion, ...) côtoyés en 3 ans de chômage.