1.1 D’une vie de travail au licenciement.

M. Poena a, tout comme sa femme, travaillé très jeune pour aider des parents artisans. Cette aide d’abord limitée aux horaires extrascolaires, s’est rapidement accentuée à l’âge de 13 ans à cause d’un accident laissant son père définitivement handicapé et obligeant M. Poena à interrompre ses études pour épauler plus efficacement ses parents.

Suite à son mariage, il décide, au grand regret de ces derniers, de ne pas poursuivre dans l’entreprise familiale, quitte son département pour travailler pendant huit ans comme commis de cuisine dans un petit restaurant. Cette période est décrite comme fort fructueuse : les salaires généreux et les avantages en nature permettent au couple d’économiser dans une ambiance de travail chaleureuse et familiale. L’établissement est malheureusement racheté et modernisé. M. et Mme Poena supportent très difficilement les exigences de leurs nouveaux employeurs, « des instruits qui ne connaissent rien au métier et demandent une multitude de paperasses ». Ils choisissent alors tous deux de chercher une autre activité. M. Poena trouve un emploi de chauffeur qu’il garde jusqu’à son licenciement. Mme Poena accepte un poste en production, à la chaîne, dans une grande entreprise voisine : elle occupe toujours cet emploi.

Deux ans et demi avant le licenciement, le patron de M. Poena décède. Cet employeur « de l’ancienne école » qui dirigeait son entreprise « comme une famille » est remplacé par de jeunes cadres diplômés, « des instruits » eux aussi, décrits d’un geste de la main comme portant cravate. Ces nouveaux employeurs souhaitent rapidement réduire le personnel et encouragent vivement M. Poena à chercher un poste dans une autre entreprise. Celui-ci ne prête pas attention à ce conseil en pensant qu’il a bien le temps de voir venir, mais il est transféré quelques mois plus tard sur un poste de manutentionnaire beaucoup plus pénible physiquement et moins valorisant. Un soir, M. Poena excédé par une journée particulièrement éprouvante, monte dans le bureau de son supérieur et déverse tout son mécontentement. Suit une violente dispute et l’échange de coups est évité de peu. M. Poena est conduit le soir même par son épouse chez un médecin qui le met en arrêt maladie pour un mois. Les relations avec l’employeur restant très dégradées à son retour dans l’entreprise, M. Poena contacte un syndicat qui l’aide à négocier un licenciement économique. « Je n’étais pas du tout syndiqué avant... Ils m’ont fait faire une lettre, ils m’ont donné le brouillon et ils m’ont dit qu’avec ça, ils allaient me licencier ».

Suite à ce licenciement, l’état de M. Poena se dégrade rapidement et conduit à deux interventions cardiaques qui le laissent durablement handicapé : la COTOREP* reconnaît un taux de 80% d’invalidité.

Dès que son état le permet, M. Poena tente des recherches d’emploi ; il envoie plusieurs dizaine de candidatures, passe des annonces dans la presse et accepte une proposition de stage pour l’aider dans ses recherches. Ce stage est particulièrement mal vécu et le cardiologue somme M. Poena d’arrêter au bout de trois semaines (l’action devait en durer huit). Un traitement associant antidépresseurs et anxiolytiques est mis en place. M. Poena dit de cette période, les larmes aux yeux : « J’étais tout seul, là... Je ne voulais voir personne, vous savez, je vous fais pas un dessin... J’avais envie de rien faire... dégoûté... oui dégoût... dégoût ».

Le traitement est ensuite légèrement diminué au fil des mois. M. Poena ne peut toutefois toujours pas s’en passer au moment où je le rencontre. Il a considérablement ralenti ses recherches, s’occupe de quelques tâches ménagères et de l’entretien minimum de son jardin.

‘« On est là... On tourne en rond... Je bricole autour de la maison, je taille les arbres... Là c’est tout fini... Je fais à manger à midi, je fais un petit peu de ménage, j’ai la télé, les bouquins... Je vais faire les courses... Ce n’est pas ma vie ça... »’