1.2.1 Une réalité inconcevable.

Un tel chevauchement n’a rien de très étonnant dans la mesure où — on l’a déjà expliqué — il n’existe pas dans le cas du chômage de butée du réel favorisant le travail du renoncement. M. Poena cumule de très nombreux handicaps amenant à pronostiquer sans grand risque d’erreur qu’il ne retravaillera pas dans la conjoncture économique actuelle. Son âge, ses problèmes de santé, son faible niveau de qualification ne laissent que peu de doute, mais n’excluent pas totalement une reprise d’activité.

Les circonstances de la perte peuvent d’autre part expliquer la longueur de la phase de refus. Même si l’employeur avait, depuis plusieurs mois, conseillé la recherche d’un nouveau poste, M. Poena avait écarté de ses pensées l’éventualité du chômage La violence qui a accompagné le licenciement a sans doute ensuite conduit à un état de sidération ne facilitant ni la réaction face au choc ni le dépassement de celui-ci.

L’impossibilité d’accepter le caractère définitif de la perte permet certainement à M. Poena d’éviter en partie la douleur que cette réalité induirait : douleur de la gestion de la position dépressive, le « Je ne travaillerai plus jamais » conduisant à ré–élaborer le rapport au projet de vie, au vieillissement et à la mort, mais douleur également liée au sentiment de détresse induit par la perte d’un objet garant de la satisfaction des besoins d’auto-conservation. Lorsque M. Poena oscille du côté de l’acceptation de la réalité, cette détresse afflue d’ailleurs immédiatement dans ses propos, avec le sentiment qu’il sera un jour obligé de vendre sa maison parce que sa retraite ne lui permettra plus de l’entretenir, avec l’angoisse de voir sa femme échouer à garder son emploi actuel ou disparaître dans un accident.

Le travail défensif conduisant à refuser la réalité ou plutôt à se réfugier dans une oscillation entre acceptation et refus se paye toutefois au prix d’un renoncement au choix de la vie. M. Poena est maintenu dans une position de suspens de ses investissements du monde extérieur, d’où sa perte d’élan vital et son incapacité à profiter de l’instant présent.