1.2.2 Culpabilité et idéalisation de l’emploi perdu.

La phase de deuil traversée par M. Poena est également caractérisée par sa difficulté à gérer la libération de l’énergie pulsionnelle attachée à son activité professionnelle. M. Poena a beaucoup de mal à reconnaître l’ambivalence de sa relation à son ancien métier et ne peut au contraire que l’idéaliser. Il donne pourtant à plusieurs reprises des éléments permettant de le juger aliénant ou persécuteur, mais il ne le formule jamais ainsi et parvient au contraire toujours à retourner la contrainte en l’un des bénéfices de l’emploi perdu.

Il signale ainsi que le rythme était particulièrement élevé, qu’il ne fallait jamais compter les heures, qu’il fallait accepter les mutations répétées, les éloignements du domicile et les conditions très médiocres d’hébergement pendant les déplacements. Mais tout cela était finalement récompensé par la feuille de paye, par la considération amicale du patron, le sentiment de liberté lié à la route, la joie d’appartenir à un groupe de professionnels capables de « vivre à la dure » et de se débrouiller dans les situations les plus compliquées.

Il raconte aussi son accident deux mois après son arrivée dans l’entreprise, accident qui a rendu son travail de plus en plus éprouvant au fil des années.

Mais là encore, ces difficultés ne sont que des broutilles par rapport au plaisir d’un travail bien fait et par rapport à la fierté de continuer à travailler en surmontant son handicap.

Le discours de M. Poena évoque en fait la relation d’objet nostalgique décrite par J. Haynal466 (1987) :

L’idéalisation de l’emploi perdu, si présente dans ce témoignage, peut donc être comprise comme une tentative pour écarter les composantes agressives de la relation rompue, c’est-à-dire comme un mouvement défensif contre le retour de l’agressivité et contre les sentiments de culpabilité liée à la perte de l’objet. M. Poena a en effet fort à faire pour gérer l’ampleur de ses sentiments de culpabilité et il multiplie les stratégies défensives permettant de les apaiser quelque peu ou tout du moins de ne pas les exacerber. Refuser de voir le mauvais côté de l’objet le protège ainsi d’un renforcement d’une culpabilité déjà très forte liée à son incapacité à garder son travail. M. Poena ne cesse de se demander ce qu’il a bien pu faire pour être rejeté ainsi. Il ne cesse de chercher réponse à la question lancinante « Est-ce ma faute ? ». La vision du travail réduite au seul bon objet lui permet alors en partie d’échapper au sentiment qu’il est à l’origine d’une perte souhaitée pour se débarrasser d’un mauvais objet.

Notes
466.

J. Haynal, Dépression et créativité. Le sens du désespoir.