1.4 Synthèse.

La présentation de ce premier parcours souligne d’abord l’importance des sentiments de culpabilité comme obstacle au travail du deuil. Gérer la violence de ces sentiments semble une condition nécessaire à l’aménagement d’un nouvel équilibre en l’absence d’emploi. Faute d’y parvenir, le sujet peut, à l’instar de M. Poena, s’enfermer dans une idéalisation de l’objet perdu incompatible avec la désintrication et le transfert des fonctions qu’il tenait antérieurement.

Ce premier cas montre d’autre part la difficulté de ne pas disposer d’une butée du réel sur laquelle appuyer la première étape du deuil. L’oscillation entre refus et acceptation de la perte témoigne de cette difficulté et de ses conséquences mortifères. M. Poena ne peut non seulement pas investir de nouveaux objets mais ses contradictions risquent aussi de décourager les tentatives environnementales pour apporter un soutien susceptible de l’aider à traverser cette période de crise. Les dispositifs d’insertion laissant espérer un retour à l’emploi sont vécus comme très persécuteurs et rejetés ; la position empathique recherchée tout au long de l’entretien est bien difficile à tenir et risque, elle aussi, d’être tour à tour source de colère ou d’entretien de la dépression.

Cette problématique conduit à s’interroger sur la position que peut adopter l’environnement des chômeurs pour faciliter la gestion d’une perte dont on ignore si elle est définitive.

Le témoignage de M. Poena, et en particulier le bénéfice trouvé dans l’attitude de l’employée des ASSEDIC*, m’amène à proposer quelques hypothèses à ce sujet. Faute de disposer de certitude quant à l’avenir, les professionnels de l’insertion peuvent au moins tenter de ne pas déformer les éléments de réalité à leur disposition : en reconnaissant qu’ils ne savent pas si le sujet retrouvera un emploi et en montrant qu’ils connaissent le poids psychique de cette incertitude, ils offrent un espace où cette difficulté peut être évoquée et par là même, mieux tolérée. La reconnaissance de l’incertitude s’oppose radicalement au choix habituel d’une position de déni du caractère durable de la perte, qui bien que poursuivant un objectif d’encouragement à la poursuite des recherches peut bien souvent être perçue comme un leurre à l’origine de nouvelles blessures narcissiques. Ajoutons que cette reconnaissance et cette tolérance de l’incertitude conduit à la découverte que la vie reste possible en l’absence d’emploi : la désintrication de la satisfaction des besoins du sujet et de l’activité professionnelle peut ainsi être amorcée. Le déni du caractère durable de la perte ne peut au contraire qu’implicitement confirmer la place centrale du travail. Cette attitude peut être qualifiée de « transitionnelle » dans la mesure où elle permet de disposer de l’énergie préalablement engloutie par la répétition incessante d’interrogations concernant l’avenir. Elle s’apparente aux dispositifs mis en place suite à mon séjour dans la Maison de chômeurs – Partage et décrits en introduction. Le message transmis peut schématiquement être formulé de la manière suivante : « Je ne sais pas si ce stage d’élaboration de projet vous conduira à l’emploi, mais il peut de toutes façons être riche pour vous en rencontres, en réflexion... Je vous invite à l’utiliser ainsi ».

Il n’est évidemment pas très facile de maintenir une telle position. Le choix du clivage adopté par M. Poena risque de bien souvent mettre à mal l’espace transitionnel. Cette modalité d’accompagnement est toutefois celle qui pourrait permettre à ce chômeur de découvrir que sa vie ne s’est pas arrêtée avec son licenciement, que l’acceptation de la perte n’est pas synonyme de résignation et que les cartes routières et CB précieusement conservées peuvent retrouver leur sens et utilité hors du cadre professionnel.