2. Mme Herbaud.
De l’impasse subie à l’impasse entretenue.

‘« ... Demain tout changera, demain. Soudain il découvre que demain sera semblable et après demain, tous les autres jours. Et cette irrémédiable découverte l’écrase. Ce sont de pareilles idées qui font mourir. Pour ne pouvoir les supporter, on se tue... »
Albert Camus, L’ironie, in L’envers et l’endroit.’

L’entretien servant de base à l’analyse de ce deuxième cas a été particulièrement difficile dans la mesure où je n’ai jamais eu l’impression d’instaurer un réel échange avec Mme Herbaud, mais plutôt de la soumettre à des questions auxquelles elle a répondu très brièvement, parfois par monosyllabes, en donnant sans cesse l’impression d’avoir hâte d’en finir. Loin des entretiens non-directifs caractéristiques des autres rencontres, il ne constitue pas le récit d’un parcours activement construit par un sujet et ponctuellement soutenu par les reformulations d’un clinicien, mais une quête d’informations par un chercheur confronté à une série de longs silences vécus contre-transférentiellement comme des vides exempts de tout travail psychique et tentant de relancer de plus en plus laborieusement un désir de parole et de témoignage.

La faible quantité de matériel recueilli m’a longtemps fait hésiter à utiliser cette situation comme une observation significative pour ma recherche. Le caractère soporifique des premières lectures de la transcription de l’échange m’a également poussée dans un premier temps à l’écarter de mes données cliniques. Il m’a toutefois secondairement paru suffisamment puissant pour mériter que j’en cherche le sens. Je me suis donc contrainte à dépasser le désir de rejet d’un matériel asensé pour rester ouverte et réceptive au déploiement d’un sens potentiel.471 Il m’a semblé possible d’articuler cette tentative d’interprétation autour de différents blocages caractérisant cette situation : blocage de la parole de Mme Herbaud, blocage de ma pensée pendant l’entretien, blocage de mes capacités élaboratives après-coup. Cette articulation s’est en fait effectuée autour du qualificatif « bloqué » utilisé de manière particulièrement répétitive par Mme Herbaud pour décrire sa situation comme si se condensait dans ce terme son désir de communiquer la détresse qui l’habite et son impossibilité à y parvenir. Le mot « bloqué » semble en fait se substituer à toute tentative langagière plus élaborée et plus apte à transmettre ce qu’elle vit vraiment, mais il apparaît aussi comme un indice de ce qui cherche à se dire.472 La présentation de ce cas restera, malgré cet effort de mise en sens, très succincte, et le caractère très hypothétique des commentaires interprétatifs ne devra pas être oublié.

Notes
471.

J’emprunte les termes d’A. Ciccone dans son ouvrage « L’observation clinique » (1998). « Laisser se déployer un sens potentiel suppose d’être ouvert et réceptif à cette potentialité, de ne pas décider d’avance du sens ou du non-sens d’un événement ». p 104.

472.

Outre les associations et les dissociations, certains signes du discours auront valeur d’indice, attirant l’attention sur « leur fonction significative. Par exemple, un mot ou une expression revenant fréquemment témoignera d’un contenu préconscient qui cherche à se manifester » A. Ciccone, L’observation clinique, p 66.