2.1 Un renoncement apparent à l’objet-travail.

Mme Herbaud a accepté très rapidement l’entretien que je lui ai proposé par téléphone, sans poser de question ni faire aucune remarque.. Elle me reçoit à son domicile et me signale tout de suite qu’elle souhaite terminer au plus tard dans une heure parce qu’elle a rendez-vous pour un entretien d’embauche en fin de matinée. Sa présentation vestimentaire est soignée, elle est très coquettement maquillée et coiffée, l’appartement impeccablement rangé et nettoyé.

Mme Herbaud a presque 50 ans. Après avoir obtenu un CAP, elle a travaillé comme secrétaire pendant 25 ans avant de « tomber au chômage technique ». La convention de conversion effectuée suite à son licenciement économique lui a révélé que ses savoir-faire étaient devenus obsolètes et qu’une formation en informatique s’avérait indispensable pour espérer un poste dans son domaine de compétences. Mme Herbaud s’est toutefois estimée, après quelques jours d’initiation, totalement incapable de s’adapter à cette nouvelle technologie et a refusé de s’engager plus avant dans cet apprentissage. « Je n’ai rien trouvé dans le secrétariat, j’étais un peu bloquée parce que je n’ai jamais fait d’informatique, parce que je ne PEUX pas en faire, ça c’est... ça me donne des boutons de voir un ordinateur ». Elle est alors restée deux ans au chômage avant de trouver un poste de vendeuse en prêt-à-porter dans lequel elle s’est beaucoup investie mais qui a du être abandonné après un an et demi parce qu’il était trop contraignant physiquement. Mme Herbaud opérée du dos une dizaine d’années plus tôt savait choisir avec ce nouvel emploi une voie totalement contre-indiquée par son médecin car nécessitant de trop nombreux ports de charges et une station debout permanente. L’avis d’inaptitude l’obligeant à mettre fin à son contrat n’est donc que venu confirmer un diagnostic déjà ancien, mais a été vécu comme un choc, suivi d’une période de dépression nécessitant un traitement, toujours en cours au moment de l’entretien. «  ç a a été un choc quand il a fallu que j’arrête le boulot(...) j’ai fait un peu de dépression, donc j’ai été sous traitement et là j’en prends toujours, je me suis sentie diminuée...»

Bien qu’elle affirme prudemment en tout début d’entretien être en recherche d’emploi, Mme Herbaud n’a pas mené de véritables recherches depuis cette deuxième interruption professionnelle.

Elle a suspendu ses recherches depuis six mois parce qu’elle n’avait pas bien la forme et qu’elle ne se sentait pas de repartir travailler pendant l’hiver à cause de l’état des routes. Aujourd’hui, elle ne souhaite toujours pas reprendre :

  • « Maintenant, [je la rencontre au printemps] je dis que je n’ai plus envie parce que si je travaille maintenant, je n’aurais pas de vacances. Alors j’attends les vacances d’été, l’océan, parce que c’est tout pour moi, si je ne pars pas, après je ne suis pas bien, j’ai besoin de ça, donc je dis non. Si je commence à travailler maintenant je n’aurai pas de vacances d’été... C’est un cercle vicieux, il y aura jamais... »

Mme Herbaud explique alors qu’avec son allocation chômage et le revenu de son mari, elle n’est pas dans l’obligation financière de travailler. Elle déclare donc se contenter d’une recherche purement formelle pour ne pas avoir de souci avec l’ASSEDIC*. Elle envoie quelques lettres, se rend aux entretiens d’embauche proposés par l’ANPE* sans croire ni souhaiter que cela aboutisse. Elle affirme d’autre part ne pas souffrir de son inactivité. Elle s’occupe de son ménage, aide ses parents et beaux-parents âgés. Elle répond par la négative à l’ensemble des questions sur les plaintes habituelles exprimées par les chômeurs : perte du rythme, manque de contact, baisse du moral... « Non, non... ç a va... ç a ne me gêne pas trop ». Elle limite le préjudice du chômage à « un petit problème d’apport financier ». Lorsque son allocation se terminera, si elle ne trouve pas quelque chose, elle sera obligée d’être attentive à certaines dépenses. Elle réalise toutefois qu’elle a encore deux ans devant elle, ce qui donne le temps à ses deux fils âgés d’un peu plus de 20 ans de s’installer. Elle laisse entendre que quand ils partiront, il y aura moins de frais et que finalement elle ne sera peut-être pas obligée de reprendre du tout. Peu lui importe, pour les mêmes raisons, d’avoir une faible retraite : les enfants partis, ils n’auront pas de problème pour se débrouiller. Contrairement à beaucoup d’autres chômeurs, Mme Herbaud ne voit donc pas dans son manque d’annuités une raison rendant indispensable la reprise d’un emploi.