4.1 Les trois étapes d’un processus de deuil.

Revenons donc à l’histoire de Mme Canna.

4.1.1 Une phase de refus.

La première phase traversée par cette personne à la suite de la déclaration d’inaptitude à son poste de travail est une phase de refus de la perte d’emploi.

  • « ... du jour au lendemain, on m’a dit “Vous êtes inapte au travail, vous ne pouvez pas travailler”, et moi je ne concevais pas une vie sans travail ».

Cette incapacité à admettre la réalité s’explique d’abord par des raisons matérielles, Mme Canna est veuve, seule avec deux enfants, mais est également immédiatement argumentée par l’impossibilité de justifier sa situation à son entourage : « Les gens me disaient “Tu as vu ta tête ? On ne comprend pas pourquoi tu ne travailles pas.” (...) Je le disais à mon médecin : “Ce n’est pas possible que je ne puisse pas travailler... Ça ne se voit pas que je suis malade... Tout le monde me le dit”. En définitive, à la limite, j’aurai voulu avoir une marque différente, que ça se voit à l’extérieur pour qu’on puisse savoir que je ne fainéantais pas (...) J’aurai voulu une marque distinctive pour prouver ma bonne foi vis-à-vis des yeux... C’est ça, du regard des autres. C’est terrible de vivre avec le regard et le “qu’en dira-t-on” des autres ».

Vient enfin une explication liée à son histoire.

  • « J’ai continué à me lever à des heures indues parce que ça ne se faisait pas de rester au lit... (...)... c’était quelque chose qui était un non-sens pour moi, ça ne se faisait pas... Et puis on vit avec des choses ancrées en soi... Mais j’ai connu des personnes qui travaillaient... Les jeunes de maintenant ne connaissent plus les parents qui travaillent, mais nous, on nous avait inculqué ça... »

  • « J’avais trop cette idée qu’il faut travailler, travailler... (...) ça me paraissait inconcevable de toucher de l’argent sans l’avoir vraiment mérité, même si c’est la santé qui n’est plus bonne et qui fait qu’on a droit d’avoir de l’argent... Pour moi, ce n’était pas de l’argent... Il fallait de la sueur, il fallait quelque chose, mais il ne fallait pas que ce soit donné comme ça ».

Confrontée à une réalité inacceptable, Mme Canna essaie alors de se battre contre le verdict d’inaptitude en s’engageant dans un parcours de reclassement professionnel pour essayer, à tout prix, d’accéder à un poste de travail compatible avec son état de santé. Elle s’investit pendant deux ans dans une formation éprouvante physiquement et moralement puisqu’elle nécessite de longs trajets et l’éloignement de ses enfants. Ces efforts restent cependant vains et contribuent au contraire à accentuer les problèmes de santé puisqu’ils conduisent à une déclaration d’inaptitude définitive et sur tout type de postes de travail par la COTOREP*.

Mme Canna n’accepte pour autant pas plus le principe de réalité et continue à se battre pour ne pas rester sans emploi. Elle trouve alors une solution intermédiaire entre l’interdiction de travailler et sa conception d’une vie forcément basée sur l’emploi, en travaillant au noir chez des particuliers. Cette activité par laquelle elle prouve qu’elle n’est pas fainéante et retrouve un revenu digne de ce nom, ne suffit cependant pas à compenser l’emploi perdu. La très faible rémunération n’apporte ni reconnaissance financière ni reconnaissance sociale.

  • « Je rendais plus service que ça ne me rendait service parce que j’étais archi sous-payée(...) Je me sentais vraiment lésée quelque part... Et puis on n’a plus de statut... »