4.4 Synthèse.

Ce quatrième parcours apporte en premier lieu illustration à différents éléments théoriques présentés en partie 2 sur les modalités de construction du lien à l’objet-travail et sur les entraves qu’elles constituent à la rupture de ce lien. Il offre parallèlement des éléments intéressants pour comprendre les conditions favorables et le travail psychique nécessaire pour rétablir un équilibre en l’absence d’activité professionnelle. Synthétisons successivement ces deux points.

Mme Canna a d’abord trouvé dans le travail une réponse à ses besoins du Moi et en particulier à son besoin de donner sur lequel repose son équilibre narcissique et défensif. Son choix de l’objet-travail découle directement des modèles identificatoires dont elle a disposé et confirme la logique de la psychogenèse de la relation à l’activité professionnelle proposée en chapitre IV (§ 1.3.1). Notons par ailleurs que sa situation d’enfant de l’assistance publique ne lui laissait sans doute pas beaucoup de liberté quant à l’orientation de sa mission narcissique : le travail apparaît ici central car accessible à tous. Le lien à l’objet-travail a par ailleurs été renforcé par l’obligation d’assurer ses besoins d’auto-conservation et par la logique défensive conduisant Mme Canna à faire de cette aliénation une nouvelle manière de satisfaire ses besoins du Moi. La force du lien unissant Mme Canna à l’activité professionnelle est donc indiscutable et il est d’autant plus intéressant de voir comment sa rupture a pu, malgré tout, être gérée.

Notons en premier lieu que si le travail du deuil a été long et douloureux, il n’aurait pu évoluer favorablement sans l’existence d’un environnement propice au transfert des fonctions antérieurement tenues. Cet environnement semble avoir joué deux rôles essentiels. Il a démontré la possibilité d’être stimulé matériellement et humainement, d’être utile et responsable et de trouver un sens à sa vie hors activité professionnelle. Il s’est donc constitué comme support concret d’un réinvestissement de l’énergie pulsionnelle détachée de l’objet-travail. Il a ensuite renvoyé à Mme Canna une image positive d’elle-même en lui permettant de se dégager des sentiments de honte et de culpabilité qui la submergeaient.

Ce soutien environnemental ne doit pas faire oublier la part du travail psychique incombant à Mme Canna. Ce travail a essentiellement consisté au détachement des normes sociétales auxquelles elle s’était conformée tout au long de son existence pour définir par elle-même ce qui lui paraissait profitable à son propre cheminement. Ce détachement a notamment concerné son niveau de revenu. Si l’existence d’une AAH* a paré à la prégnance des angoisses concernant les besoins d’auto-conservation, elle ne l’a donc pas dispensée du travail psychique consistant à accepter de vivre avec un revenu peu élevé. Cette prise de recul n’aurait pas été possible sans l’étayage d’un nouveau groupe d’appartenance mais a conduit à une réelle maturation des relations aux objets d’étayage. En effet, si Mme Canna reste attachée aux valeurs premières qui lui ont été transmises, celles-ci ont pu, grâce au transfert, être relativisées. Son idéal du Moi est devenu moins tyrannique.

Constatons enfin que le sentiment de réconciliation avec soi-même qui émane de ce témoignage peut être considéré comme un indice de la réussite du travail du deuil : ce sentiment semble aller de pair avec le maintien des missions narcissiques confiées initialement à Mme Canna. Cette problématique constituera un des axes de ma réflexion finale sur le travail psychique nécessaire à la construction d’une relation moins exclusive à l’activité professionnelle.