6.2.2 Les affects de haine et les fantasmes de persécution.

Ne reconnaître que les composantes hostiles qui unissait à l’objet perdu est un mécanisme utile, quoique partiellement efficace comme nous venons de le voir, pour se protéger de la dépression. Il est d’autre part gratifiant narcissiquement, car à l’origine d’un sentiment de triomphe, mais soumet en revanche le sujet au renforcement des sentiments de culpabilité et des fantasmes de persécution. C’est ce type d’affects que nous allons étudier à présent dans le témoignage de M. Otavalo.

Le sentiment de triomphe est décrit par M. Klein comme un sentiment se rattachant inévitablement au deuil normal dans la mesure où il réactive la position dépressive et donc les éprouvés de haine à l’égard des objets originaires. Ces éprouvés sont en partie liés au désir de l’enfant de renverser la relation qu’il a avec ses parents, c’est-à-dire d’avoir un pouvoir sur eux en accédant à une toute puissance qui leur est enviée et dont ils seraient à leur tour démunis. Toute situation de perte, en libérant des aspects aliénants d’un objet haï, procure la satisfaction d’avoir inversé le rapport de domination. L’ardeur de M. Otavalo à dénigrer le travail illustre ce sentiment de triomphe. L’objet qui pendant des années ne lui laissait pas le temps de vivre est rejeté, il n’est plus en position d’imposer ses contraintes, il est réduit à une activité que l’on peut choisir et abandonner sans scrupule. Le discours de M. Otavalo perd son caractère mesuré lorsqu’il évoque avec beaucoup de mépris les personnes qui restent esclaves de cet objet. Il semble jouir alors de la puissance dont témoigne sa capacité à vivre sans travail.

Les sentiments de culpabilité venant en retour de ce rejet de l’objet-travail et de la société qui en défend la valeur centrale, sont catégoriquement niés.

Cette dénégation de la culpabilité n’empêche toutefois pas que M. Otavalo ait à gérer le retour de l’agressivité lié à son regret de l’objet perdu. Ce retour apparaît dans quelques extraits témoignant des fantasmes de persécution et des conduites défensives qu’ils induisent.

Sa description de la société est marquée par le sentiment qu’il faut se protéger contre ses pièges et contre ses menaces. Il ne se laissera pas, par exemple, de nouveau « enfermer » dans un CDI qui est pour lui l’équivalent « d’en prendre pour perpette », la promesse d’une dépendance inéluctable à un employeur. Il rêve d’une vie autarcique grâce à laquelle il échapperait à la sécurité sociale, aux hypermarchés et à toutes les institutions d’une société qui détruit ses membres en leur proposant un modèle contraire à leurs besoins : salariat, consommation, système scolaire s’opposent en effet en tout point au monde dans lequel il voudrait vivre.