6.3.2 Le cheminement vers davantage d’ambivalence.

S’interrogeant sur le possible maintien d’un équilibre psychique chez des sujets qui se protègent de la souffrance d’un deuil en étouffant leurs sentiments d’amour au détriment de la haine à l’égard de l’objet perdu, M. Klein (1939) notait :

Une telle analyse me semble tout à fait adaptée à la situation de M. Otavalo. Les composantes libidinales antérieurement associées à l’objet-travail ont été transférées sur un autre objet, qui ressemble à l’activité professionnelle perdue mais qui a l’avantage d’être exempt de ses aspects aliénants. Lorsque M. Otavalo évoque les recherches d’emploi qu’il mène toujours, il déclare être en quête d’une activité adaptée à son handicap, à temps partiel, un travail à la tâche où seul le délai de réalisation serait imposé et qui lui permettrait de s’organiser selon sa forme physique. L’activité associative présente ces caractéristiques : comme pour Mme Canna, elle peut être décrite comme une forme de travail, mais un travail compatible avec l’état de santé. Le SEL apporte satisfaction aux besoins du Moi, d’agir sur le monde, d’être reconnu par un groupe, d’être engagé dans un contrat narcissique. Les fonctions défensives, narcissiques et élaboratives y trouvent soutien. L’obligation, seule perte dont M. Otavalo reconnaît les conséquences périlleuses pour l’équilibre psychique, est, elle aussi, en partie retrouvée, si l’on en croit les analyses économiques et sociologiques des SEL : l’impératif de l’emploi est remplacé par l’impératif de l’échange. Chaque adhérent « s’intègre à un échange circulaire qui le dispose à la fois comme obligé et obligeant. (...) ; les membres du SEL qui se contraignent à échanger perçoivent qu’en se pliant ainsi à l’obligation, ils prennent leur place dans ce groupe ».497

Les activités associatives apparaissent finalement comme un moyen indirect de se passer de la haine à l’égard de l’objet perdu pour en reconnaître aussi les aspects positifs : aspects positifs qui transparaissent déjà dans les regrets de M. Otavalo pour une société agricole où les enfants voyaient travailler leurs parents, alors que lui n’a jamais très bien su ce que faisait son père. Le SEL — projet dont les formes d’origine au Canada étaient liées à une volonté de retour à la terre — peut ainsi être compris comme une tentative de retour à un objet-travail valorisé.

En attendant le moment où les affects dépressifs pourront être tolérés, M. Otavalo est toutefois contraint à défendre sa position de rejet de l’activité professionnelle et « de faire avec » les angoisses que ce rejet suscite. Il paraît alors logique que son admiration se porte sur un personnage sur lequel ces angoisses ne semblent pas avoir de prise : Théodore Monod, vieux marcheur solitaire, capable de traverser des déserts à plus de 80 ans malgré ses limites physiques, de trouver satisfaction à ses besoins en comptant sur un environnement suffisamment bon, toujours poussé par le désir d’avancer et de découvrir de nouveaux secrets de la Terre.

Notes
496.

M. Klein, Le deuil et ses rapports avec les états maniaco-dépressifs, p 368.

497.

J. Blanc, G. Malandrin, J.-M. Servet, Les systèmes d’échange local. Laboratoires d’une économie différente ? In Sciences humaines, n° 93, Avril 99, p 29.