7. J.P. Dautun et A. Ratouis.
« Des mots à la recherche de leur employeur ».498

‘ « ... il me fallait poser un geste exprimant ma confiance, un acte signifiant mon envie de vivre. C’est pourquoi j’ai décidé, irrévocablement, d’écrire mon exil. »!
A. Ratouis, 28 mois au pays du chômage.’

Cette septième analyse clinique ne repose pas sur un matériel clinique recueilli lors d’un entretien mais sur des témoignages écrits de chômeurs de longue durée. Elle s’appuie principalement sur l’ouvrage de J.P. Dautun « Chroniques des non-travaux forcés » et est complétée par celui d’A. Ratouis « 28 mois au pays du chômage ». Ces deux livres publiés respectivement en 1993 et 1987 ont retenu mon attention dans la mesure où ils peuvent être compris comme l’aboutissement d’une stratégie individuelle de dépassement de la souffrance induite par la perte d’un emploi : l’écriture servant ici de voie privilégiée pour retrouver et conserver l’équilibre psychique. Même si une telle voie est quantitativement peu significative, ces deux exemples me semblent compléter les cas présentés antérieurement en apportant un matériel riche en détails et d’une grande précision quant à la formalisation des difficultés rencontrées. Ils offrent une nouvelle façon de mettre à l’épreuve les hypothèses sur les vécus de détresse liés à un chômage de longue durée et sur la possibilité d’y échapper en désintriquant du travail les fonctions habituellement tenues par cet objet.

La méthodologie d’analyse utilisée ici sera similaire à celle employée précédemment : je serais attentive au contenu des discours, mais aussi à leur forme et à ce qu’ils font vivre au lecteur. Ma tâche sera facilitée pour le livre de J.P. Dautun par l’existence au sein même de son ouvrage de quatre chapitres se distinguant nettement de la structure globale du texte et constituant déjà un « méta-regard »499 sur son travail d’écriture. Ces quatre chapitres500, contrairement à l’ensemble des chroniques de 3 à 6 pages constituant l’ouvrage, ne sont pas précédés d’une numérotation indiquant le nombre de jours de chômage au moment de la rédaction (45ième, 230ième, ...). Les deux premiers portent la mention « Notes de carnet ». L’auteur avertit « les lecteurs pressés de connaître la suite qu’ils peuvent passer aussitôt au chapitre suivant » 501, que ces passages sont des moments où « le livre n’avance pas », des pages « écrites en espérant que les mots mèneront bien à quelque chose » mais qui ne « s’en sortent pas toujours ». Les deux dernières sont les deux discours imaginés par l’auteur si son livre était publié et donnait lieu à une invitation à une émission littéraire télévisée ou s’il était récompensé par un prix et suivi d’une allocution de remerciement devant des responsables politiques.

J’utiliserai dans une même perspective un article de presse502 ayant accompagné la publication de l’ouvrage et donnant à la fois l’occasion à l’auteur de s’exprimer après-coup sur son ouvrage et à un critique d’en définir les principales caractéristiques. L’ouvrage d’A. Ratouis possède également quelques passages dans lesquels l’auteur analyse les fonctions tenues, pour elle, par l’écriture.

Notons enfin que le choix d’une analyse simultanée de deux livres est lié aux nombreux points communs entre les stratégies de gestion du chômage développées par les deux auteurs, même s’ils utilisent par ailleurs des styles très différents et ne possèdent que peu de ressemblances par leur profil et leur histoire personnels.

Notes
498.

J.P. Dautun, Chroniques des non travaux forcés, p 267.

499.

J’utilise cette expression par analogie au concept de métacommunication utilisé dans les travaux de Palo Alto, concept construit lui-même à partir de l’idée de métamathématique.« Quand les mathématiciens ne se servent plus des mathématiques comme d’un outil, mais font de cet outil lui-même l’objet de leur étude (...) ils utilisent un langage qui n’est plus une partie des mathématiques, mais un discours sur les mathématiques (...).Lorsque nous ne nous servons plus de la communication pour communiquer, mais pour communiquer sur la communication, ce qui est absolument nécessaire dans des recherches concernant la communication, nous avons recours à des conceptualisations qui ne sont pas une partie de la communication mais un discours sur la communication ».P. Watzlawick, J. Helmick Beavin. Don D. Jackson, Une logique de la communication, p 35.

500.

Deux en début d’ouvrage, pp 27-42, et deux à la fin, pp 255-265, sur les 271 pages totales.

501.

Les ouvrages de J.P. Dautun et A. Ratouis étant utilisés comme matériel clinique, j’adopterai la convention typographique des témoignages, et non celle des citations d’auteurs, pour les passages cités.

502.

J.-C. Raspiengeas, Détresse Humaine, Télérama n° 2284, 20 octobre 1993. Cf. Annexe I, § 2.7.