8. Mme Sagine.
Une retraite de bonheur.

‘« Une seconde carrière procède d’une motivation différente, plus sociale. Elle vise un but, une mission, ce qui implique une organisation, une fidélité, même une priorité sur d’autres plaisirs plus égoïstes, non par devoir, puisqu’il ne s’agit pas d’une activité professionnelle, mais par amour des hommes. C’est donc, non une évasion, mais une présence au monde. »
P. Tournier, Apprendre à vieillir.’

J’ai sollicité Mme Sagine pour ma recherche après l’avoir rencontrée une première fois au cours d’une journée d’échanges sur la valeur travail.558 Elle était intervenue lors d’un atelier sur les liens entre travail et identité pour dire qu’elle avait choisi quelques années plus tôt de prendre une retraite anticipée et qu’elle vivait donc concrètement le fait d’exister et de se sentir bien sans emploi. Son très bref témoignage m’avait donné envie d’en savoir davantage sur le nouvel équilibre qu’elle avait pu mettre en place.

L’entretien, très volontiers accepté, a duré un peu plus d’une heure. Je propose de l’exploiter comme une situation particulière de deuil : bien que Mme Sagine ait délibérément, et après avoir mûrement réfléchi, choisi de ne plus travailler, son changement de situation l’a conduite à réaménager son existence en l’absence de l’objet-travail. Son expérience me paraît donc intéressante pour clarifier, par comparaison avec le vécu des chômeurs, certaines conditions de possibilité du deuil de cet objet.

Traçons en premier lieu un très rapide panorama du parcours de Mme Sagine. Infirmière de profession, elle a exercé une dizaine d’année avant de suivre une formation dans une école de cadres soignants. De nouveau salariée après cette période, son parcours professionnel a été brièvement interrompu par un congé de maternité puis longuement suspendu pour la naissance de son deuxième, puis troisième enfant. Mme Sagine a en effet choisi à ce moment là de prendre une disponibilité qu’elle a renouvelée de 6 mois en 6 mois aussi longtemps que son administration de rattachement le permettait, c’est-à-dire jusqu’aux 8 ans de son dernier enfant. Elle a ensuite accepté un poste d’enseignante à mi-temps et s’est fortement investie dans cette activité très intéressante et réclamant un considérable travail de préparation. Elle a enfin fait le choix au bout de trois ans, et dans la mesure où son ancienneté dans la fonction publique le lui permettait, de mettre fin à ce contrat et de prendre, à 45 ans, une retraite anticipée. Je la rencontre un peu plus de cinq ans après cette décision. Mme Sagine est très contente de son choix et de la liberté qui caractérise sa vie de jeune retraitée. Examinons plus précisément ce qui l’a conduite à ce nouvel équilibre sans l’étayage d’une activité professionnelle.

Notes
558.

Les objectifs de cette journée ont été présentés en chapitre IV (§ 1.3.3.2).