8.1.3 Choix et gestion des sentiments de culpabilité.

Le choix réduit enfin considérablement et pour plusieurs raisons les sentiments de culpabilité liés à la disparition de l’objet-travail. La culpabilité ressentie par les chômeurs résulte en premier lieu, on l’a vu, de la désintrication des composantes pulsionnelles attachées à l’activité professionnelle et de l’impossible gestion de la part agressive de cet investissement. Mme Sagine a au contraire pris sa décision en pesant le pour et le contre, c’est-à-dire en prenant conscience de la relation ambivalente l’unissant à son emploi. Elle sait qu’il lui apportait beaucoup — comme je le développerai ultérieurement — mais qu’il était également source de souffrance et de frustration. Elle évoque en particulier les relations difficiles entretenues avec sa directrice et qui ont pesé lourd dans son choix.

«  ‘Mon emploi était fort intéressant, mais travailler avec la directrice de l’école, je ne pouvais plus, parce que recommencer à travailler à 45 ans avec une certaine expérience derrière moi et ne pas pouvoir travailler en tant que collaboratrice, moi, je n’ai pas pu. J’ai tendu le dos, j’ai supporté, mais je ne pouvais plus’  ». Notons que cette possible reconnaissance de l’ambivalence est largement facilitée par la présence de l’objet : il ne s’agit pas d’un travail élaboratif dans l’après-coup, après une perte amenant à l’idéaliser ou à le haïr. Rappelons également que la position active caractéristique du choix protège des interrogations sur les origines de la perte : contrairement aux chômeurs, Mme Sagine n’éprouve pas un sentiment de rejet dont elle aurait à rechercher la cause.

Ces conditions n’empêchent pas que subsiste certaines difficultés : une part de culpabilité reste liée à la légitimité de la décision. Mme Sagine trouve toutefois de nombreux arguments pour remédier à ses doutes et renforcer le gain narcissique trouvé dans sa nouvelle situation. Ces arguments confirment la difficulté d’adopter une position différente de celle classiquement définie par le contrat narcissique et permettent de réaliser encore plus précisément la pression imposée par les normes sociales et que les chômeurs ont à gérer.

Mme Sagine justifie d’abord son choix en rappelant qu’elle a travaillé suffisamment longtemps pour ne pas être accusée de fainéantise, le fait qu’elle perçoive un revenu témoigne concrètement de ce passé.

Mme Sagine complète cette justification en évoquant l’intérêt de son choix, tant pour le bien-être de ses enfants que pour la satisfaction de plus jeunes collègues qui ont été bien contents de pouvoir la remplacer.

« J’en ai assez fait, comme infirmière, j’ai fait mon compte (...) J’ai dit “Place aussi à des jeunes, hein ?” Mon poste de toute façon, il y en a qui attendent après... »

Elle insiste enfin très longuement sur le fait qu’elle demeure active et utile à la société par les nouveaux engagements qu’elle a choisi de prendre depuis sa retraite. L’analyse de ces activités constituera le deuxième temps de cette étude de cas. Remarquons préalablement que cette possibilité de réinvestir de nouveaux objets résultent directement d’une bonne gestion des sentiments de culpabilité et de la possibilité de se dégager d’une pression environnementale disqualifiante. L’énergie disponible n’est pas étouffée, le statut de Mme Sagine autorise de nouvelles formes du contrat narcissique.