1.2.1 La prépondérance du passé et de la réalité psychique.

Une analyse historique de la notion de traumatisme permet d’abord de repérer le passage d’un déterminisme extérieur à un déterminisme intérieur de la souffrance psychique.564 L’idée de « déclenchement instantané et événementiel de l’aliénation mentale » a d’abord évolué vers une conception d’altération progressive de l’équilibre psychique puis vers la mise en évidence que plus que le choc éprouvé du dehors, c’est la façon dont il est subjectivement élaboré qui doit être prise en compte. « L’important, ce n’est pas l’événement dans lequel le sujet est pris, c’est ce qu’il en fait, alors même qu’il paraît débordé et déterminé par lui ».565 Cette relativisation du poids de la réalité environnementale deviendra totale avec la proposition freudienne du passage de la séduction subie à la séduction fantasmée.

« L’intériorisation de l’événement-cause est cette fois achevée : non seulement, c’est ce que le sujet fait de l’événement qui compte, mais c’est lui qui fait l’événement, qui en suscite fantasmatiquement l’occurrence. Non seulement les marques du monde (...) sont radicalement enfouies, mais encore leur réalité est elle indécidable — indémélable la part de l’irruption du dehors et la part de projection du dedans ».566

Cette position, bien que régulièrement remise en cause par des interrogations, notamment sur la réalité des agressions et maltraitances subies dans la petite enfance de la part de parents proches, conduit à privilégier la réalité psychique à la réalité extérieure et contribue en cela l’un des fondements de la théorie et de la méthodologie psychanalytique. Elle se manifeste concrètement par l’intensité de l’attention accordée au poids des premières années de la vie et de la structuration psychique initiale sur le fonctionnement psychique de l’individu par rapport au poids de l’« ici et maintenant ». On peut d’autre part remarquer qu’elle a donné lieu à des propos très catégoriques dont j’ai dû me démarquer pour construire mon travail. Je prendrai pour exemple un extrait de l’ouvrage « La dépression » de J. Bergeret (1987).

« Quelle que soit en effet l’importance indéniable des contraintes, des obstacles extérieurs, l’expérience clinique montre que le rôle des facteurs sociaux demeure toujours secondaire par rapport aux composantes spécifiques de la personnalité de base du sujet. Ce ne sont pas la nature des conflits sociaux, leur degré d’intensité, ni même leur situation historique qui spécifient chez un sujet ayant dépassé l’adolescence, tel mode de réaction affective. Devant la même pression sociale, l’un se comportera en révolutionnaire authentique, l’autre en passif docile, un autre en humaniste, un autre en dépressif, et un autre encore en dément. Chacun réagit à l’événement selon les lignes de force ou de faiblesse de sa personnalité de base, telle qu’elle a été inscrite dans sa psychogenèse personnelle au cours de son enfance et de son adolescence bien avant l’événement actuel. »567

J. Bergeret confirme plus loin cette critique d’une « position tendant à voir l’origine des troubles mentaux dans l’exclusivité d’une pression sociale allant à l’encontre de l’épanouissement spontané de l’individu »,568 en critiquant ironiquement les diagnostics de certains psychiatres, parlant de névrose traumatique, donc de poids de l’actuel là où lui-même repère une décompensation chez un état limite.

  • « Au point où nous en sommes dans son récit, Gilberte nous présente son cas comme s’il s’agissait de névrose traumatique dont nombre de psychiatres demeurent friands puisqu’elles sont si faciles à concevoir intellectuellement ; elles ne surviennent en réalité que sur terrain préparé par une préhistoire personnelle tout à fait particulière. »569

Ces propos m’ont d’abord amenée à douter de l’intérêt de mon angle d’approche et de la validité de la modélisation proposée. Ils m’ont en particulier conduit à m’interroger sur la nature de mon matériel clinique. Les entretiens réalisés et dont j’ai décrit les particularités en chapitre I, tout comme le matériel rassemblé dans ma pratique professionnelle, restent relativement pauvres en informations sur le bagage historique du sujet, même si — on l’a vu lors de la présentation des parcours — celui-ci est loin d’être négligé. Cette pauvreté ne risquait-elle pas de conduire à des hypothèses et à des conclusions valorisant à l’excès la place de l’actuel, faute tout simplement, de pouvoir montrer autre chose ?

Notes
564.

Cf. par exemple l’article de G. Swain : De la marque de l’événement à la rencontre intérieure. Images populaires et conceptions savantes en psychopathologie.

565.

Ibidem, p 59.

566.

Ibidem, p 63.

567.

J. Bergeret, La dépression, p 16.

568.

Idem.

569.

Ibidem, p162. C’est moi qui souligne