En accord avec la deuxième idée clef portée par cette recherche, je montrerai maintenant à quelles conditions les dispositifs d’insertion peuvent conduire à une relation moins exclusive à l’objet-travail et contribuer en cela à favoriser le travail de gestion de la crise du chômage. Je repérerai en particulier deux facteurs pouvant jouer un rôle déterminant dans l’évolution de la relation :
La position personnelle des professionnels de l’insertion par rapport à l’emploi et ses manifestations dans les comportements quotidiens d’accompagnement.
L’ouverture de certains dispositifs sur des cadres non professionnels mais pouvant tenir des fonctions similaires.
Je signale auparavant que l’objectif de moins grande exclusivité me semble tout aussi intéressant pour des personnes ayant perdu leur emploi après une longue carrière professionnelle que pour des primo-demandeurs d’emploi. Ces jeunes à qui l’on propose de multiples stages pour réduire la phase intermédiaire entre scolarité et activité professionnelle gagneraient en effet beaucoup à découvrir des modalités variées d’investissement du monde extérieur. Si l’emploi reste pour eux la voie essentielle de satisfaction des besoins du Moi, ils risquent, faute de parvenir à cet objet, de s’enfermer dans une logique de désinvestissement de la réalité et d’attente infinie (Cf. La transition durable, chapitre V, § 3.2.2). Leur comportement s’apparentera à celui des « jeunes abandonniques » choisissant par crainte d’une nouvelle déception de se retirer de tout engagement, de ne rien attendre du monde, d’être spectateur d’une existence sans avenir. Cette absence d’illusion, cette incapacité à anticiper une vie meilleure, ce non-sens existentiel est déjà, on le sait d’après certaines recherches sociologiques, une réalité pour des jeunes dont la situation scolaire et sociale ne laisse que peu d’espoir d’insertion professionnelle dans notre système économique actuel.605
Cf. F. Dubet, La galère, jeunes en survie (1987).