2.2 Mme Herbaud.

  • Le rendez-vous est fixé à 10 heures Mme Herbaud me dit tout de suite qu’elle aimerait terminer à 11 h au plus tard parce qu’elle a un rendez-vous pour un entretien d’embauche.

  • - Je suis en recherche d’emploi.

  • - D’accord, depuis longtemps ?

  • - Il y a un petit moment que je cherche... parce que là je suis en arrêt maladie depuis le mois de novembre 96 jusqu’en mai 97,634 ensuite, on m’a mise au chômage pour incapacité... Euh, comment ça s’appelle ?

  • - Pour maladie professionnelle ?

  • - Pour invalidité... Oh ! j’ai oublié635... suite à la maladie quoi... je ne me rappelle plus... Bon, bref, et après donc je suis au chômage depuis novembre... parce qu’avec le préavis... depuis le mois de novembre, je suis au chômage...

  • - Quel a été votre parcours ?

  • - J’étais secrétaire depuis 67, ça fait 30 ans, jusqu’en 92. Après je suis tombée au chômage technique... licenciement économique... Je n’ai rien trouvé dans le secrétariat, j’étais un peu bloquée parce que je n’ai jamais fait d’informatique, parce que je ne PEUX pas en faire, ça c’est... ça me donne des boutons de voir un ordinateur... 92... Après donc je suis restée au chômage deux ans et puis j’ai retrouvé autre chose, mais complètement différent... j’avais vraiment pas envie de me reformer sur ce qui est secrétariat informatique, alors j’ai été [vendeuse en prêt-à-porter]. Je l’ai fait pendant un an et demi et c’est suite à ça qu’il a fallu que j’arrête, parce que je faisais beaucoup de déplacements, je faisais que du déplacement, [d’un bout à l’autre du magasin avec des cartons trop lourds], près de 20 kg à porter... Il y avait les étages [jusqu’à la réserve], sans ascenseur, du coup... j’ai été opérée du dos 10 ans plus tôt, le médecin m’avait dit, il ne faut surtout pas porter de sac, même pas vos sacs de courses... alors là, c’était vraiment pas ce qu’il fallait avec les étages, les cartons, il a fallu que j’arrête, voilà.

  • - Donc maintenant il faut que vous retrouviez un travail sans port de charge...

  • - Voilà... parce que vu que je suis bloquée en informatique... c’est un handicap, mais c’est quelque chose je ne peux pas... je ne peux pas...

  • - Oui, vous n’avez pas pensé à autre chose ?

  • - Je ne sais pas trop quoi.

  • - Et vous avez envie de reprendre ?

  • - Oh j’ai pas bien la forme, alors... non pas plus que ça en ce moment. Non ça me... non je ne me sentirais même pas capable...

  • - A cause de votre santé ?

  • - C’est l’état général. Moins on en fait, moins on a envie d’en faire, je ne sais pas.. et puis, je sens que si j’avais un but, je pourrais essayer de chercher... Mais là, je me sens vraiment bloquée. Le secrétariat, c’est impossible parce que je n’ai pas de notion en informatique, et avec mon dos je ne peux rien faire d’autre, même pas femme de ménage, il faut se baisser. Vendeuse sans port de charge, bon, il y aurait encore ça qui me plairait, mais pour trouver à 50 ans, c’est pas évident. Et puis de toute façon, là où j’habite tout est bloqué. C’est pour ça que je ne vois pas ce que je pourrais faire.

  • - Financièrement, vous êtes dans l’obligation de travailler ?

  • - Disons que ça aide. Là, pendant que j’ai le chômage, ça va bien,. Mais l’obligation, non... J’ai quand même un mari qui a un salaire... mais on a des dépenses qui sont en proportion. Il faut quand même que j’aie un petit apport...

  • - Vous n’imaginez pas ne pas reprendre une activité... comme certaines personnes que j’ai rencontrées et qui m’ont dit qu’elles avaient décidé de ne pas retravailler ? Ça ne vous conviendrait pas ?

  • - Oh si ! Tant que j’ai le chômage, ça ne me gêne pas trop (rire)... c’est sûr qu’après, il faut quand même qu’il y ait un petit apport.

  • - En dehors de l’aspect financier vous pourriez l’imaginer, ça vous conviendrait ?

  • - ...

  • - Ce n’est pas trop gênant pour vous ?

  • - ...

  • - Vous ne tournez pas en rond ?

  • - Oh non ! ça va.

  • - Vous arrivez à avoir des activités ?

  • - Oui. Et puis, je crois que moins on en fait, moins on va vite après... On perd... Il me faut bientôt toute une journée pour arriver à faire mon petit ménage. (rire)

  • - Oui, et sur le plan moral, le fait de ne pas avoir de travail ne vous gêne pas ?

  • - Non... pas trop...

  • - Comment se passent vos journées ?

  • - ...

  • - Vous faites votre petit ménage ; autrement...

  • - Je vais souvent voir mes parents, ils sont âgés, au contraire ça les arrange, après je fais les courses, celles aussi de ma belle-mère, parce que mon mari est aussi fils unique, donc c’est pareil, elle a que lui... C’est moi qui m’en occupe aussi, donc quand c’est pas chez les uns, c’est chez les autres... bon, j’ai aussi mes courses... non, j’arrive bien toujours... Il y a des jours où je fais relâche (rire). Je me mets devant la télé, je ne bouge plus. Non, pour ça, je ne m’ennuie pas. Je ne vais pas dire : « Tiens, qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui, ça va être long ? ».

  • - Donc c’est vraiment le problème financier qui vous pousse à retrouver quelque chose...

  • - Voilà...

  • - Mais en ce moment, vous n’êtes pas dans des recherches ?

  • - Pas encore, j’ai fait des lettres quoi...

  • - Mais vous n’y comptez pas trop ?

  • - Non...

  • - Vous avez reçu beaucoup de réponses négatives ?

  • - Tout est négatif... J’en ai fait une quinzaine...

  • - On vous répond quand même...

  • - Non. Pas toutes, la moitié... Et puis disons, il ne faut pas attendre vraiment après ça, parce qu’ils vous écrivent un mois après...

  • - Oui, ce n’est pas évident en ce moment...

  • - ...

  • - Et jusqu’à présent le travail que vous aviez, c’était un temps plein ?

  • - Disons que [j’avais des horaires très variables]. Ça me prenait beaucoup de temps, mais c’était bien payé, j’arrivais à me faire un SMIC... et ça me plaisait.

  • - Oui, et si vous repreniez quelque chose, vous voudriez retrouver quelque chose qui vous plaise...

  • - Oui, parce que moi je ne me vois pas derrière l’ordinateur toute la journée et puis là ce qu’on me propose, c’est que des CES... Alors l’informatique... pour 2 500 F par mois, comme j’ai pas était habituée à ça dans mon travail avant...

  • - Votre entourage est satisfait de vous avoir plus à la maison, ou vous encourage à reprendre ?...

  • - Oh ! C’est comme j’ai envie. Eux ils travaillent, donc ils s’en fichent...

  • - Votre mari travaille... Vous avez un fils ?...

  • - Deux... Ils travaillent tous les deux.

  • - Vous faites comme vous voulez ?

  • - Voilà.

  • - Par rapport à l’EPSR,636 vous leur demandez quand même de vous aider à trouver quelque chose... ou vous avez pris un peu de distance ?...

  • - Disons que j’avais vu M. Ferrat637 au mois d’octobre et c’est là justement que j’ai dit « Là j’ai pas bien la forme, je vais attendre de passer l’hiver » parce que je ne me sentais pas de partir... Il m’a dit « Bon, d’accord on verra au printemps. » Là il m’a téléphoné la semaine dernière : « faudrait peut-être qu’on se revoie »... mais... (grimace)

  • - Vous n’avez pas tellement envie ?

  • - Non...

  • - Il ne faut pas vous forcer remarquez.

  • - C’est ce que je dis, c’est ridicule, parce qu’au mois de novembre je disais « je vais attendre que l’hiver passe, les routes sont mauvaises... » et maintenant je dis que je n’ai plus envie parce que si je travaille maintenant, je n’aurai pas de vacances. Alors que j’attends les vacances d’été, l’océan, parce que c’est tout pour moi, si je ne pars pas, après je ne suis pas bien, j’ai besoin de ça, donc je dis non. Si je commence à travailler maintenant je n’aurai pas de vacances d’été... C’est un cercle vicieux, il n’y aura jamais...

  • - Et vous allez percevoir des allocations chômage pendant encore combien de temps ?

  • - Deux ans.

  • - ça vous laisse du temps devant vous.

  • - Oui, c’est pour ça que j’aimerais bien cette année encore profiter un petit peu.

  • - Avec l’ANPE vous n’avez pas de problème ?

  • - Eh bien... j’espère... Enfin, pour l’instant, je ne me suis inscrite que depuis le mois d’octobre... Là, je fais des lettres, tout ça et puis ils m’ont déjà proposé deux CES, dont un qui n’a pas fait parce que ça ne correspondait pas du tout. Et puis là, c’est là que je vais à 11 h 30, je vais voir un autre CES à la mairie, mais c’est de l’informatique, alors ça fera pas. Non, je ne veux pas me prendre la tête à 50 ans, j’en rêve déjà la nuit...

  • - Oui, ça a vraiment l’air de vous affoler.

  • - Oui. Surtout pour un salaire comme ça. Si c’est des trucs à pas dormir la nuit... à penser...

  • - Vous n’avez pas envie d’avoir toutes ces contraintes ?

  • - Ah non ! J’en ai eu assez quand j’étais jeune... Je dis, je voudrais avoir un travail beaucoup plus cool, ne plus avoir de responsabilités comme quand j’avais 30 ans.

  • - Quand vous étiez secrétaire, vous aviez des postes à responsabilité...

  • - Oui, je faisais tout moi-même... La petite comptabilité, l’accueil, les factures, le courrier. Ça me plaisait, mais maintenant, non, je n’en ai plus envie. Je n’ai pas envie... à la limite, on me dirait de coller des timbres sur une enveloppe toute la journée, ça m’irait très bien (rire). Oh non ! Je n’ai pas envie de réapprendre...

  • - Vous arrivez à comprendre comment les choses ont évolué. Vous êtes passée de postes à responsabilité à... qu’est-ce qui a changé pour que vous n’ayez plus envie de responsabilités ?

  • - Parce que ça me plaisait, je faisais mon travail, quand ça plaît, on se donne à fond... mais là, je ne vois pas dans quoi je pourrais faire... c’est pour ça... alors.

  • - Et de la vente... sans port de charge ?...

  • - Oui ça me plairait... si par exemple on me dit « Tu peux y aller », là pour repartir, oui ça me plairait.

  • - Vous seriez encore prête à repartir, à vous donner pour quelque chose qui vous convient ?

  • - Oui, voilà, qui me convient...

  • - Du coup, vous voyez l’avenir comment ?

  • - ...

  • - Deux ans en essayant de tenir tranquillement ?

  • - Oui. C’est ce que j’aurai aimé..

  • - Vous pensez que ça va être possible ?

  • - Du point de vue de moi... ou... à moi, oui. C’est plutôt l’ANPE. Est-ce qu’ils seront d’accord ? Comme je suis prioritaire, je passe par la COTOREP, donc c’est pour ça sans arrêt, ils m’envoient des CES, alors...(rire)

  • - Oui, il y a des gens qui ne reçoivent jamais d’offre, mais vous, vous en recevez...

  • - Eh bien avant, je n’en ai jamais reçu, en 92... quand je cherchais comme secrétaire, je n’ai jamais rien reçu.

  • - Vous n’aviez pas de problème de santé...

  • - Non. Maintenant que je voudrais être un peu au calme, je n’y arrive pas. Ils m’envoient des lettres, des offres.

  • - Ils sont peut-être aussi plus conciliants, dans la mesure où vous avez des problèmes de santé, si vous refusez...

  • - Je ne sais pas... de toute façon, ce n’est pas moi qui ai refusé jusqu’à présent, mais si jamais je refuse et trop souvent, je risque d’avoir des problèmes... J’ai demandé dans la vente... Ils me proposent que des choses... secrétariat informatique.

  • - Vous avez toujours travaillé, ou il y a des périodes où vous n’avez pas travaillé ?

  • - Un an, quand j’ai eu mon deuxième garçon et après j’ai toujours travaillé. Si, j’ai eu du chômage encore une fois, mais je n’y suis pas restée longtemps, je me suis débrouillée, j’ai trouvé autre chose. Non, j’ai pratiquement toujours travaillé.

  • - C’était quelque chose d’important pour vous d’avoir une activité professionnelle ou c’était lié à l’époque à des raisons financières ?

  • - Oui aussi, surtout.

  • - Surtout ?...

  • - ...

  • - En ce qui concerne votre éducation... Vous avez toujours imaginé travailler ? Pour vos parents les filles devaient travailler ?

  • - Oh oui, oui, oui. On allait à l’école... on apprenait un métier donc c’était bien pour travailler.

  • - Et autrement, dans les gens que j’ai rencontré, certains se sentent inutiles. C’est une chose qui vous est arrivé de dire ?

  • - Non... (rire) ça me va bien comme ça... Non, et puis j’ai un traitement depuis le mois de... depuis que je suis en invalidité. Parce que ça a été un choc quand il a fallu que j’arrête le boulot, ça ne me plaisait pas... j’ai fait un peu de dépression, donc j’ai été sous traitement et là j’en prends toujours, alors je crois que c’est ça aussi qui fait que je n’ai pas d’entrain, que je ne suis pas...

  • - Oui, parce qu’au départ, le fait d’être mise en invalidité, ça vous a...

  • - Oh oui ! ça m’a fait quelque chose...

  • - C’était par rapport à votre corps qui ne suivait pas comme vous vouliez ?

  • - Voilà... être obligée de s’arrêter pour des problèmes de santé, ça m’a fait quelque chose.

  • - Les problèmes de santé sont venus brutalement ?

  • - Eh bien, disons, je m’y attendais... parce qu’on m’a dit de ne rien porter de lourd quand je me suis fait opérer. Bon, en tant que secrétaire, j’ai été opérée en 82, je n’ai jamais eu de problème... et puis bon, j’ai pris ça, chose que je n’aurais pas du prendre parce qu’il aurait pas fallu que je le fasse... et donc [X] je ne savais pas que j’allais avoir 15 kg à porter [X]... et petit à petit, à force de porter, j’ai plus pu, le dos a lâché. C’est sûr, ça fait un choc d’être obligée d’arrêter comme ça. Quand on arrête parce qu’on a envie d’arrêter, ce n’est pas pareil, mais des problèmes de santé, je me suis sentie diminuée.

  • - Diminuée ?...

  • - Oui, j’ai reçu un coup, c’est pour ça que je suis sous traitement antidépresseur... et à cause je n’ai pas... pas d’envie...

  • - Sur le plan moral, ça vous aide... ça vous a aidé à passer le cap difficile ?

  • - Les médicaments ? Oh, je ne sais pas comment ça aurait été.. Je ne sais pas sans médicaments... ça va... mais comme je vous dis, je ne sais pas si c’est les médicaments, si ça aurait été comme ça sans médicament.

  • - Vous ne savez pas si c’est ça qui vous enlève l’envie de faire ou pas ?

  • - Voilà... oui...

  • - ça vous permet d’être moins déprimée... que vous ne l’étiez ?

  • - Peut-être un peu aussi... je serais peut-être...

  • - Vous n’êtes pas sûre...

  • - Oh, je vois moins tout en noir, je pense moins à ma maladie... quand même... mais je vous dis, ça m’a coupé un peu l’entrain de repartir.

  • - Le médecin qui vous prescrit le traitement vous a dit que ça pouvait être en lien ? Vous en avez parlé avec lui ?

  • - Oui. Il dit qu’il faut déjà soigner la dépression, que c’est le plus important, et qu’on verra par la suite.

  • - La priorité est de s’occuper de la dépression...

  • - ...

  • - Vous n’aviez jamais été malade avant ?

  • - Non, jamais.

  • - C’est peut-être d’autant plus difficile...

  • - ...

  • - Et vous voyez encore les choses en noir malgré les médicaments ?

  • - Non, pas trop... en noir... ça m’arrive des fois comme tout le monde... quand ça me lance dans le dos, ça fait un peu mal, j’y pense, mais pas... non...

  • (Suit un long silence)

  • - Je vais prendre mes questions pour voir si vous avez oublié d’aborder certains thèmes. - Vous pouvez me rappeler votre niveau de formation de départ ?

  • - CAP de comptabilité.

  • - Le moment où vous vous êtes arrêtée, vous m’avez dit que ce fut un choc. Vous pouvez m’en parler davantage ?

  • - D’abord j’ai été en maladie...

  • - Vous vous êtes retrouvée ici, chez vous ?...

  • - Oui, j’étais bien fatiguée, complètement à plat. Là, je n’ai pas trop bien réagi, mais je me suis dit « un petit peu de vacances, enfin de repos, ça va me permettre de me remonter... » et puis bon, quand le médecin m’a dit : « Non, il ne faut pas reprendre, c’est suicidaire ce que vous faites ! » C’est là que j’ai pensé arrêter.

  • - Oui, ça ne vous a pas été dit tout de suite. Vous pensiez d’abord vous reposer.

  • - Voilà, voilà...

  • - Vous avez réalisé ?...

  • - Oui, il ne faut pas reprendre ce genre de travail.

  • - Oui, donc c’est là qu’il y a eu une période difficile pour arriver à l’admettre.

  • - Et puis le fait que je me suis dit « Qu’est-ce que je vais faire ? » Il fallait quand même que je travaille un petit peu, enfin, que j’aie un revenu. Je me suis dit : « Qu’est-ce que je vais faire ? » C’est d’ailleurs la question qui m’angoisse « Qu’est-ce que je vais pouvoir faire ? » Ce n’est pas question que j’ai vraiment envie de travailler, mais il faut que j’aie un petit revenu.... Alors, si l’ANPE ne m’embête pas, me laisse tranquille, ça ira. Mais sinon, s’ils me posent des questions parce que je n’ai pas... ça, ça m’angoisse un peu...

  • - Oui, je ne sais pas si ça arrive, mais en tout cas, les allocations vont diminuer progressivement.

  • - Oui, progressivement...

  • - Et l’idée d’avoir un petit revenu, c’est pour être indépendante vis à vis de votre mari ?...

  • - Je trouve que c’est encore nécessaire, on a encore pas mal de crédits, on a acheté un appartement et tout...

  • - Oui, ça vous obligerait à vous priver d’un certain nombre de choses...

  • - Voilà...

  • D’accord. Dans votre situation actuelle, si l’ANPE ne vous pose pas trop de problèmes, est-ce que ça vous satisfait, est-ce qu’il y a des choses que vous aimeriez changer ou pas ?

  • - Non, ça va...

  • - Ça va.

  • - Oui.

  • - Oui. Dans les témoignages déjà recueillis, il y a quelque chose qui revient souvent, c’est le problème du rythme : « Quand j’avais du travail, je savais pourquoi je me levais. Je savais qu’il y avait des temps de vacances ». Vous, le rythme qu’est ce qui vous le donne ?

  • - Je n’ai jamais de problème pour me lever. C’est l’habitude, il faut se lever à telle heure, il faut.

  • - Vous vous levez parce que vous avez des choses particulières à faire ?

  • - Non, non. Non, il faut le faire, c’est tout (rire). Il y a mon petit chien à sortir à 8 h, donc j’ai quand même...

  • - Il y a des matins où c’est dur de se lever ?

  • - Non, ça va. Je sais que je dois me lever à telle heure...

  • - Vous gardez bien votre rythme...

  • - Oui, ça va pas... ça va.

  • - Vous aviez beaucoup de contacts avec votre métier, vous les avez maintenus ?

  • - J’ai des amis, j’ai des... Ca ne me manque pas... ça va... J’en ai bien toujours...

  • - Quand il vous arrive de vous présenter, vous dites que vous êtes au chômage ou en invalidité ?...

  • - Je suis au chômage, si on me demande pourquoi, ça ne me gêne pas de le dire... Voilà...

  • - D’accord.

  • (Suit de nouveau un long silence...)

  • - Bon, eh bien, je pense que l’on a fait le tour... Vous voyez, on n’en a pas eu pour longtemps...

  • - Peut-être juste quelques dernières précisions. Par rapport à une retraite, vous avez travaillé suffisamment longtemps pour avoir droit à quelque chose...

  • - ...

  • - Il vous faudrait encore travailler ?...

  • - ...

  • - Vous avez commencé à quel âge ?

  • - A peine à 18 ans en 1967...

  • - Vous ne savez pas... Vous ne vous êtes jamais posé la question ?...

  • - Non...

  • - Parce que des personnes me disent « Je pense avoir assez travaillé et je m’arrêterais bien, mais il me manque encore des annuités ».

  • - Il me manque encore 10 ans... C’est 40 années maintenant.

  • - Et ça, pour vous, ce serait une motivation pour retravailler ?

  • - Non, je ne pense pas. Je pense au présent là... (rire) Non. Je n’ai pas encore pensé à après... Bon, j’ai mon mari... Les enfants dans 3 ou 4 ans... en ce moment ils ont bien du travail, mais en intérim, le deuxième attend pour partir à l’armée. Donc ce n’est encore pas quelque chose de bien stable, il faut qu’on soit encore derrière un peu pour assurer... Ils ont 21 et 24 ans... Ils sont tous les deux à la maison. Tant qu’ils n’ont pas de travail... mais dans 3 ou 4 ans, quand l’armée sera faite, c’est pour ça que dans 4 ou 5 ans, je pense qu’ils arriveront à se débrouiller. Après, avec un salaire, même si je ne touche pas une grosse retraite, ça irait...

  • - C’est pour la période entre le chômage et la retraite ?...

  • - Oui, pour passer 2 ou 3 ans...

  • - Du coup, le chômage vous permet de tenir là, maintenant...

  • - Là pour 2 ans, ça serait presque bon, parce qu’il doit partir en 99... à peu près 2 ou 3 ans...

  • - Ça va peut être réussir à passer sans que vous soyez obligée de faire quelque chose qui vous...

  • - S’ils ne me proposent pas trop souvent... (rire) Parce qu’au bout d’un moment, ils vont me dire : « il faut faire une formation en informatique. Vous êtes coincée, vous ne trouvez rien. » J’en rêve la nuit, j’en ai fait pendant quinze jours, ça ne m’a absolument rien apporté... J’ai fait mes quinze jours, c’est comme si je n’avais rien fait, c’est rentré par une oreille, ressorti par l’autre.

  • - Vous avez fait une formation ?...

  • - Quand je suis tombée au chômage en 92, après mon licenciement économique, j’ai fait une convention de conversion. Et dans ce cadre là, j’ai voulu, je me suis dit : « Il faut que je fasse un effort. » mais.... Je sais ce que c’est une souris, mais à par ça (rire)...

  • - Le problème de l’ANPE, c’est que si vous dites « Je n’ai envie plus envie de reprendre une activité » ça vous supprime vos allocations ?...

  • - Oui, c’est ça...

  • - C’est idiot, quand on voit le nombre de personne au chômage, d’être obligée de travailler quand on n’en a pas envie...

  • - C’est dur parce que je suis coincée... Ce serait quelque chose qui me plait, on me donnerait un travail intéressant, quelque chose que je suis capable de faire. Si on me dit : « On vous met dans un bureau pour voir des gens, faire de l’accueil », je pars volontiers. C’est quelque chose qui est à ma portée, que je suis capable de faire, ce n’est pas que je ne veuille pas travailler, mais là, je ne m’en sens pas capable.

  • - Vous avez peur d’être dans une situation où vous serez en échec, en difficulté ?...

  • - Voilà, voilà...

  • - Vous avez l’impression que vous avez perdu de la confiance en vous ? Parce que vous avez déjà été capable d’apprendre un autre métier... ça ne devait pas être facile non plus...

  • - Je ne sais pas, j’étais moins fermée que ça, c’est vrai, j’étais capable encore, c’est vrai. Ça a été dur au départ, à 45 ans de trouver un poste, surtout que je n’avais aucune formation. Et puis, il a tout fallu réapprendre sur [les produits que l’on vendait et leur utilisation], mais ça me plaisait, je l’ai fait volontiers. Mais ça, c’est quelque chose que je ne peux pas... (larmes aux yeux).

  • - Oui, du coup... ça a l’air de vous chagriner vraiment l’idée de l’informatique...

  • - Ah, oui !...

  • - Ça vous rend malade...

  • - Ah, oui !...

  • - Oui, et maintenant, c’est vrai que l’activité économique de [votre ville] a bien diminué...

  • - Oui. Il n’y a plus rien...

  • -- Et M. Ferrat, il n’a pas eu d’autre idée,...

  • - Il est comme vous, parce qu’il dit que secrétaire sans informatique, c’est dur...

  • - Du coup, ce matin, vous allez voir pour un CES où il n’y a pas d’informatique.

  • - Si, il doit y en avoir. Alors je ne me fais pas d’illusion. (rire) Et puis, je préfère que ce soit eux qui me disent « Non », plutôt que moi d’avoir à refuser. Si c’est eux qui disent non, c’est parfait. Si c’est moi qui refuse trop souvent...

  • - Oui, du coup vous allez à l’entretien, vous vous dites que comme ça, au moins...

  • - Oui, ce n’est pas moi... de toute façon, on est obligé d’y aller.

  • - Pour pouvoir dire que vous faites des recherches, pour qu’ils vous laissent tranquille ?...

  • - En 92, je n’ai jamais rien reçu, tandis que là, en trois semaines, c’est déjà la deuxième proposition. Je dois être considérée comme super prioritaire. Ils doivent croire me faire plaisir en m’envoyant l’annonce, sûrement...

  • - Il y a tellement de gens qui doivent leur reprocher de ne jamais rien envoyer (rire)...

  • - Ben oui, ben oui...

  • - Ils doivent être contents de se dire « On s’occupe bien de cette dame ». Et vous leur avez dit que vous ne voulez pas d’informatique ?

  • - Non, j’ai rempli un dossier... Ils mettent les voeux. J’ai mis vendeuse...

  • - Ils ne vous envoient pas d’annonce dans ce domaine car ils ne doivent pas en voir... Bon, écoutez, je vais vous laisser vous préparer pour l’entretien (rire).

  • - Je ne suis pas très motivée, bon...

  • - Il y a vraiment des situations complètement opposées parmi les gens que je rencontre. Il y a des gens qui voudraient absolument reprendre parce qu’ils ne se voient pas rester chez eux, ils n’arrivent pas à s’occuper, le temps leur paraît long et on ne leur propose rien. Et vous, c’est l’inverse.

  • - C’est peut-être des gens plus jeunes ?...

  • - Non, je rencontre des gens de tout âge. J’ai rencontré récemment un monsieur de 52, 53 ans qui n’arrive pas à rester à la maison...

  • - Oui, mais pour un homme c’est peut être plus difficile de rester à la maison.

  • - C’est quelqu’un qui bricolait chez lui, mais il n’y arrive plus. Il n’y a pas beaucoup de personnes dans votre situation, qui comme vous, me disent « J’ai un intérieur à gérer ». Souvent on me dit : « ça ne va pas, je m’ennuie, je tourne en rond... »

  • - Oui, mais c’est peut-être lié au fait... Pour deux raisons, parce que peut-être mon traitement... qui me ralentit le cerveau, je ne sais pas, et puis, je suis bloquée, je ne sais vraiment pas quoi faire, c’est ça... C’est peut-être ça...

  • - Et par rapport à vos loisirs, ça ne vous bloque pas trop ? Qu’est-ce que vous aimiez faire en dehors de votre travail ? Marcher, faire du sport, lire ?...

  • - Le sport non... Oui, je lis un peu, je fais des promenades, ça n’a pas changé, je continue...

  • - Oui, ce ne sont pas des activités que vos problèmes de santé vous ont obligée à abandonner.

  • - Non, parce que ce que je faisais avant et que je peux toujours faire, c’est la natation. Je n’étais déjà pas très sportive avant, donc c’est pas un handicap...

  • - Oui, ça vous a limité d’abord dans ce que vous aimez faire dans votre travail.

  • - Voilà... Je crois (...) 638 parce que je ne vois pas ce que je pourrais faire. C’est ça... Si c’est pour trouver quelque chose où je dois partir le matin avec l’angoisse... Mais si on me trouve quelque chose que je sois vraiment capable de faire, qui me plaise, je serais contente de partir.

  • - Oui, vous pensez que vous pourriez retrouver l’envie.

  • - Voilà, je pense que ça pourrait revenir, au contraire, ça me ferait peut-être du bien aussi. Je verrais peut être moins en noir. Des jours, je n’aurais peut-être plus besoin de mon traitement, mais là, je me sens bloquée...

  • - Parce que sans le traitement, vous pensez que ça ne serait pas possible, vous ne tiendriez pas ?

  • - Ou alors, il faudrait que j’essaie et si je trouve quelque chose qui vraiment me convient... Mais si c’est quelque chose où il y a de l’informatique, où je parte avec l’angoisse, il faudra mon traitement, il faudrait même l’augmenter... Oui, je crois que c’est ça surtout qui me bloque... sinon... j’aurais... je serais contente de partir au travail et tout... mais c’est vrai que je ne peux pas le faire... C’est vrai qu’à l’époque quand j’étais secrétaire, il y avait pas d’informatique, donc quand je perdais une place, j’en retrouvais une parce que je savais ce qu’on allait me demander. J’étais capable de le faire sur une machine à écrire... Aujourd’hui, c’est un autre problème, c’est tout sur informatique...

  • - ça vous paraît un palier insurmontable ?...

  • - Oui...

  • - Ou alors il faudrait trouver de l’accueil pur...

  • - ...

  • - C’est vrai que parfois, reprendre une activité peut permettre de se passer du traitement parce qu’on est plus occupé...

  • - Voilà... Si c’est quelque chose qui me plait, c’est sûr que ça me ferait du bien...

  • - Ce serait valorisant ?...

  • - Oui, bien sûr, mais là, partir avec de l’angoisse, ça je ne peux pas...

  • - Vous préférer rester...

  • - Oui.

  • - Comme ça, au moins, vous ne faites pas de cauchemar ?

  • - Voilà, je ne me demande pas si j’ai fait des bêtises, si je vais y arriver.

  • - Vous ne l’aviez pas ce tempérament anxieux quand vous travailliez ?...

  • - Si, j’ai toujours eu un caractère anxieux...

  • - Vous voulez que les choses soient toujours parfaites ?...

  • - Peut-être, mais c’est vrai que maintenant, ça s’accentue.... Si, si, j’ai un caractère anxieux...

  • - Même dans vos postes précédents ?

  • - Oui, mais j’arrivais à assumer quand même. Je faisais des choses que j’étais capable de surmonter.

  • - Vous ne faisiez pas de cauchemars ?

  • - Non, non. Si un jour j’avais un problème, ça arrive toujours au travail, je savais que j’allais arriver à le résoudre ou quelque chose comme ça...

  • - Ce n’était pas trop difficile ?...

  • - Oui, il n’y avait pas d’informatique, c’était bon. (rire)

  • - Ça, ça vous paraît insurmontable.

  • - ...

  • - Ecoutez, j’espère que vous arriverez...

  • - Oui, j’aimerai trouver quelque chose que je sois capable de faire.

  • - Quelque chose qui vous convienne ou au moins, rester dans votre situation sans trop de problème.

  • - ...

  • - Est-ce que par rapport au chômage, à votre situation, d’autres choses vous viennent à l’esprit ?

  • - Non.

  • Je la remercie d’avoir accepté de me recevoir.

Notes
634.

L’entretien a lieu au printemps 1998.

635.

Mme Herbaud cherche en fait le terme d’« inaptitude médicale ».

636.

Equipe de Préparation et de Suivi du Reclassement : Organisme d’aide au placement des personnes reconnues travailleur handicapé qui m’a transmis les coordonnées de Mme Herbaud.

637.

Le conseiller du travail chargé de la soutenir dans ses démarches.

638.

Passage incompréhensible lors de la retranscription.