2.5 Mme Chesnais.

• - Je me suis mise à travailler dès que je suis sortie de l’école... J’étais obligée... La conjoncture n’était pas comme maintenant. Les parents n’ayant pas d’argent... les enfants, dès qu’ils avaient l’âge de travailler, ils étaient... et c’est vrai qu’on trouvait du travail très facilement à l’époque.

• - Vous aviez quel âge ?

• - J’avais 16 ans, l’âge limite, j’ai arrêté l’école le vendredi, le lundi matin je travaillais. (rire) La conjoncture n’était pas la même, c’est vrai qu’on se présentait à une place, on était pratiquement sûr d’avoir de boulot... c’est vrai qu’au départ, j’ai un peu galéré parce que ce n’était pas ce que je voulais faire. J’ai pris le premier travail que j’ai trouvé, j’étais [X] . Ce n’était pas évident...

• - Qu’est-ce que vous auriez aimé faire ?

• - Dès petite, dès gamine, je voulais faire de la couture, ça a toujours été mon... bon, c’est vrai que maintenant il n’y a plus de débouchés en couture dans [mon département], c’est difficile.

• - Vous aviez eu une formation en couture à l’école ?

• - Non, parce qu’on allait jusqu’au certificat d’études, après on a essayé de me mettre en sixième, cinquième. Ça n’a pas marché... On pouvait faire comme on voulait le soir... et puis ma mère travaillait, mon père n’était jamais là, donc automatiquement, il y avait personne pour nous aider, pour pousser un peu, pour expliquer certaines choses... donc on a coulé aussi bien mes frères et soeurs. Et puis mon père, pour lui, les études, ça ne servait à rien. Il fallait se mettre tout de suite au travail, donc en fin de compte, il nous a mis à l’école parce que c’était obligatoire et après, dès que c’était plus l’âge... J’ai fait une sixième et une cinquième et après j’ai arrêté. Je n’ai pas pu aller plus loin. J’aurais aimé continuer parce que mon rêve, c’était d’aller dans la haute couture, pas rester en bas, mais bon... Il faut de tout. On fait comme on peut. [Elle décrit alors son premier métier : ouvrière sur une chaîne de production.] Ce n’était pas évident au départ, [X], mais après quand ils on vu que je commençais à m’intéresser... Moi ce que je faisais, comme je ne voulais pas rester toujours au même endroit, faire toujours la même chose, comme on était à la chaîne, dès que j’avais avancé mon travail, comme la personne derrière me donnait pas assez de travail, donc automatiquement, j’arrivais à avoir du temps libre, j’allais voir les autres filles sur la chaîne, voir ce qu’elle faisait. Comme la chef de chaîne me voyait aller d’un côté et de l’autre, elle s’est un peu intéressée à moi, elle voyait que je m’intéressais, donc... et petit à petit elle m’a mise sur des machines, elle m’a appris autre chose que le... C’est comme ça que ça m’a intéressé, parce que j’aurais peut-être pu me lasser, alors que là. J’ai vraiment appris ce qu’était [ce métier], sur le tas... Après, vu que la conjoncture... Mon père nous poussait toujours un peu parce que c’était une période où on avait... Ce n’est même pas un respect total, il y avait beaucoup de crainte envers les parents et nous, comme la majorité était à 21 ans, c’était mon père qui ramassait la paye. Moi, dans ma tête de gamine, je me suis dit [la fabrique B.], à ce moment là, c’était florissant, je vais rentrer chez eux], je gagnerais mieux, comme ça je pourrais avoir un petit peu de sous.

• - Vous n’aviez rien du tout ?....

• - Ah non !.. Mon père prenait la paye... L’enveloppe il fallait déjà pas l’ouvrir. Je me rappelle, c’était des petites enveloppes marron, il y avait la paie en espèces et la feuille de paie. Il ne fallait pas ouvrir. Il fallait lui remettre l’intégralité et il fallait pleurer chaque fois qu’on voulait quelque chose. Alors je me suis dit en allant à [la fabrique B.] des fois que... peut-être que ça donne quelque chose en plus... Bon, je ne sais pas... en expérience professionnelle disons ça m’a donné quelque chose, parce que c’était [un nouveau matériau à travailler] donc j’ai quand même appris, ça m’a appris... C’était dur parce que c’était la chaîne aussi et puis les conditions de travail n’étaient pas les mêmes que maintenant. Maintenant vous avez droit à un repos, un quart d’heure le matin. Vous avez le droit, si vous êtes un peu fatiguée, indisposée, vous avez le droit d’aller au WC, de vous lever. Tandis qu’à l’époque, c’était 8 heures devant la machine... On n’avait pas le droit de sortir... C’est qu’après, par la suite petit à petit, ça c’est amélioré. C’est vrai que c’était, ce n’était pas du travail vraiment...

• - Vous gagniez un peu mieux votre vie ?

• - Eh bien, disons... je gagnais plus, mais je n’en avais pas plus dans la poche parce que mon père prenait toujours pareil... J’avais pensé... Je sais pas combien ça faisait en plus, c’était pas énorme. Mais pour moi c’était énorme parce que je me disais, même 50 ou 100 F par mois en plus, pour moi dans ma poche, c’était... Et puis, bon, ça a toujours continué, jusqu’au moment où j’en ai eu marre... et puis, je fréquentais un copain du boulot parce qu’on était plus ou moins ami d’enfance et puis on s’est retrouvé à travailler l’un à côté de l’autre, ça a créé un peu de lien. Lui, dans sa famille, ce n’était pas facile non plus parce que c’était un peu le même style que mon père : « Tu ramènes la paye et puis tu te tais ». Ça fait que j’ai décidé de partir de chez moi et pour partir de chez moi, je me suis fait mettre enceinte (rire) radicale... Donc en fin de compte, je suis partie très tôt de la maison, et là, j’ai commencé à savoir vraiment ce qu’était la vie, parce que je me suis retrouvée obligée de payer un loyer, obligée de compter...

• - Vous étiez tous les deux avec le bébé ?...

• - Disons que le premier je l’ai perdu, donc... ça a été un peu galère... Du côté de sa famille à lui, il espérait beaucoup, et puis moi, je ne voulais pas du mariage, ça les a d’ailleurs beaucoup déçu, c’est parti à la dérive à cause de ça. Mais disons, je me suis retrouvée du jour au lendemain avec ma paye. J’étais toute seule, au début j’ai fait pas mal de dépenses... Je dépensais un peu.

• - Vous n’aviez jamais eu l’occasion de le faire ?..

• - Voilà, on ne savait pas... et puis lui, il n’était pas mieux que moi, il ne savait pas non plus... Et puis non seulement ça, mais lui, ses parents ne l’ont jamais poussé dans les études non plus. Lui c’était encore pire que moi parce qu’il savait tout juste lire et écrire. Ce n’était pas évident pour la monnaie. Pour payer, il se faisait avoir très souvent... Alors c’est vrai... Après, j’ai arrêté à [la fabrique B.], j’ai retravaillé [ailleurs]. C’était plus dur, il y avait plus d’heures... On finissait à 7h, 7 h 30 le soir...[X] Il y avait des tas de contraintes... Quand on est jeune on ne se rend pas compte, mais ça pèse... pour gagner deux ou trois sous de plus... Je gagnais un peu plus parce que je faisais plus d’heures, j’avais beaucoup d’heures sup’... La patronne était sympa, c’était boulot, boulot, mais il faut reconnaître, elle était gentille... Quand elle voyait qu’on en voulait, elle essayait de nous pousser pas mal... C’est vrai... souvent je travaillais le dimanche matin, c’était [une structure] qui ouvraient le dimanche à l’époque, elle me passait tout en heures supplémentaires...J’arrivais... Parce que normalement elle n’avait pas le droit parce que je n’avais pas 21 ans, donc elle me payait de la main à la main et ça me faisait presque doubler mon salaire... On gagnait 3 ou 400 F par mois... après, c’est vrai que je suis tombée enceinte de mon aîné, j’ai arrêté un temps de travailler, [X], j’ai été bien fatiguée et puis j’ai galéré, j’avais plus envie de travailler, j’avais juste envie de m’occuper de mon fils, en plus je me suis retrouvée toute seule avec lui parce qu’avec son père, ça marchait plus. Je suis restée une bonne année sans rien... C’était l’époque où les allocations commençaient à nous aider un petit peu, donc à la limite je suis arrivée à m’en sortir.... J’avais un revenu parce qu’ils ont mis l’allocation de parents isolés, on appelait ça l’allocation de fille-mère à l’époque, on a eu droit à l’allocation logement, donc toutes ces petites mesures mises en place, ça nous aidait à vivre. Ça faisait un salaire finalement parce que je gagnais plus en allocations familiales que si j’avais travaillé... donc...

• - Surtout si vous étiez fatiguée à ce moment-là...

• - Ben, j’avais du mal à me remettre de mon accouchement... [X] ça a traîné... [X].

• - Donc vous êtes restée avec votre fils.

• - J’ai pouponné. Je me suis bien... Et puis j’ai rencontré mon mari qui était aussi un ami d’enfance... [X] donc de fil en aiguille, à force de discuter, on a décidé de vivre ensemble et après je suis tombée enceinte de ma fille... et puis il y a eu des pressions... aussi bien des assistantes sociales et tout, parce qu’à l’époque c’était... déjà avoir un enfant hors mariage c’était déjà quelque chose... mais deux c’était... donc on s’est marié... c’est vrai que là j’ai arrêté de travailler parce que je l’ai suivi sur les chantiers. Comme il était artisan en bâtiment, il faisait des villas clef en mains, dans le midi, les stations... on avait la petite caravane et on suivait... disons que les gosses à cette époque , ils n’en subissaient pas les conséquences, vu qu’ils étaient petits, ils allaient pas à l’école... et l’école était pas obligatoire jusqu’à six ans, c’est pas comme maintenant, ou on dit « mettez-les avant, ça les aidera »... Les écoles maternelles c’était surtout pour les gens qui travaillait, les autres, ils les gardaient avec eux... les enfants étaient avec nous, ils ont été un peu élevés comme ça. Comme c’était que des villas, on mettait la caravane à côté, avec l’électricité et l’eau branchées... L’été, je mettais le parc dehors, tout en travaillant, je les surveillais, ce n’était pas... c’était astreignant parce que c’était un travail assez dur...

• - Votre mari faisait tout, et vous, vous aidiez ?...

• - Oui, c’est là que j’ai appris à faire le placo... ce qu’il ne faisait pas c’était la plomberie, mais revêtement de sol... On rentrait, il y avait les quatre murs et nous, on montait tout... On aménageait les cloisons, l’électricité, à l’époque c’était des pieuvres. Il y avait une central et tous les fils qui partaient. On dispersait dans les cloisons... Et le revêtement de sol.. J’ai tout appris. Disons que maintenant, je suis capable de vous faire une maison complète, sauf la plomberie parce que je n’ai jamais appris... il sous-traitait à une autre entreprise...

• - C’était un artisan indépendant ?

• - C’est là que j’ai appris aussi la dactylographie, la comptabilité. J’ai fait des stages à la chambre des métiers... pour... parce qu’on était tout le temps parti, on ne pouvait pas se permettre.

• - Vous étiez salariée ou c’était comme ça ?...

• - Non, à l’époque, on connaissait pas tellement les lois. On ne s’occupait pas tellement de ça, on aidait et puis terminé... Plus tard on s’est aperçu que ce n’était pas évident... Comme on nous a dit : « il aurait fallu que vous fassiez des feuilles de paye »... C’est vrai qu’on a galéré longtemps de chantier en chantier, après j’ai eu deux autres enfants... Trois enfants en trois ans parce que je me suis aperçue que je ne pouvais pas prendre la pilule ni rien. j’avais un mari, ce n’était pas son problème, (rire) comme beaucoup, c’était le problème de la femme : « Tu fais ce qu’il faut. » et comme on ne savait pas trop ce qu’il fallait faire... Après on est revenu [dans notre département d’origine] parce que mes parents avaient une maison en allant sur [une ville] et un jour j’en ai eu marre. J’ai dit à ma mère : « Ecoutes, tu as la maison là-bas, il y a personne dedans. Moi j’en ai marre de galérer comme ça » Surtout que j’avais quatre gamins, je ne voulais plus faire les chantiers, j’en avais marre. On était trop serré, et puis, il n’y avait plus rien... Déjà j’avais un mari qui était volage, j’étais pratiquement toujours toute seule avec les quatre gosses. Ça se dégradait de plus en plus à l’époque. J’étais pratiquement toujours toute seule avec les petits, en caravane , il n’y avait pas de sécurité. Il n’y avait rien ! Les enfants n’allaient pas à l’école, donc j’ai dit : « C’est fini ».Mon père a été sympa... Il m’a dit : « Tu restes dans la maison tant que tu as besoin ». Comme il savait que je n’avais pas de sous, il m’a dit : « Tu restes là ». Voilà... ça a été vraiment... Ce n’était pas une belle maison, même après les assistantes sociales m’ont dit : « C’est un logement insalubre »... Mais j’étais encore mariée, mon mari nous avait fait une petite salle de bain, parce qu’il n’y avait pas de commodité... Bon on avait quand même deux chambres en haut ; la salle à manger , la cuisine. Par rapport à la caravane, rien que le fait de pouvoir laver le linge, faire sécher... C’est vrai que ce n’était plus pareil. On n’avait plus de place et une stabilité pour les petits... J’ai pu me permettre de les mettre à l’école...Ils ont eu une vie à peu près normale... En 197-, je suis revenue là, sur [la ville]. J’ai eu une occasion, un ami qui a déménagé d’un F6 et j’ai pu reprendre son appartement. Et comme moi, je voulais retravailler... Il m’a dit : « Si tu veux reprendre l’appartement, tu trouveras plus facilement du travail ». On s’était arrangé avec [l’office de HLM], j’ai pu avoir l’appartement, donc j’ai repris le travail, j’ai fait un stage qualifiant.

• - Les enfants étaient à l’école ?

• - Oui, alors je me suis dit : « Comme la dernière est à l’école aussi, je tente ». Et puis Maman n’était pas très loin, les premiers temps je me suis arrangée comme ça, et après j’ai pris une nourrice... [X].

• - Vous vous étiez séparée de votre mari ?

• - Oui, il est venu trois ou quatre mois. Il m’a installée dans l’appartement, mais il ne voulait pas vivre en appartement. Il ne voulait pas les contraintes. Lui c’était un peu la bohème. Il n’avait jamais vraiment connu la vie de famille, il avait été de foyer en foyer et il n’a pas su passer le cap. Voir que je commençais à m’acheter des meubles, ça ne lui a pas plu. Donc il est reparti et il a continué sa vie de bohème...

• - Et c’était facile de reprendre ?...

• - Comme je suis passée par un stage, ça n’a pas été trop dur. Ils nous apprenaient à notre rythme, on n’était pas obligé de fournir du rendement. Il fallait quand même être là à l’heure. Mais si on ne comprenait pas une chose, on nous refaisait voir. C’était assez cool, la personne était gentille, elle n’avait pas peur de donner de son temps. Pour bien qu’on assimile les choses, elle nous disait toujours : « Si vous n’avez pas compris, on reprend ». Ça a été un peu dur parce qu’il y avait les horaires, il fallait être là, on ne pouvait pas faire autrement. Mais j’ai apprécié, ça a été un peu un tremplin parce que ça m’a permis de reprendre petit à petit. Pas d’un coup en usine. La formation a duré six mois. J’ai un CAP de [ouvrière spécialisée] qui ne vaut plus grand chose maintenant parce qu’il n’y a plus grand chose [dans ce secteur]. C’est vrai que si on pouvait partir ailleurs... Mais en France... [ce boulot], c’est tout fait par les autres pays. [X] Là j’étais arrivée à me faire réembaucher à [la fabrique B.]... vu que j’avais un bagage de plus et là ils m’ont mis sur les machines, [X], c’était un travail beaucoup plus plaisant, mieux payé... [X]

• - C’était plus varié comme travail ?

• - Oui, je n’étais pas tout le temps sur la même machine, ça dépendait des modèles.[X] On était polyvalente en fin de compte et moi j’aime bien ne pas faire toujours la même chose. Après il y a eu beaucoup de problèmes dans l’entreprise, c’est d’ailleurs à cette époque que j’ai divorcé, j’ai attendu longtemps parce que je pensais qu’avec l’âge... et puis pour les enfants, même si ce n’était pas une de famille normale, on essayait de faire avec. Jusqu’au jour où il a rencontré quelqu’un, il est parti avec... C’est des choses qui arrivent. Il n’y avait pratiquement plus rien entre nous, il y avait juste les gosses qui nous retenaient, c’est vrai qu’on n’était pas bien fait pour vivre ensemble, on n’avait pas la même conception de la vie... Et puis à cette époque [la fabrique B.] a eu beaucoup de problèmes, après ils ont licencié et j’ai été travailler à [la fabrique C.], c’était un peu plus dur, [pas le même travail].
  Vous avez retrouvé facilement ?...

• - Oui par ce qu’en tant qu’[ouvrière qualifiée] c’est assez recherché... [X] Il y avait beaucoup moins de personnes qui faisaient [ce métier], vu qu’il y avait des débouchés. Ils ne faisaient plus de stages, plus rien, donc de moins en moins de personnes, donc ils sont arrivés à arrêter les stages et ils cherchaient quelqu’un et je suis tombée par hasard en allant m’inscrire à l’ANPE... Elle m’a dit « j’ai quelque chose pour vous », j’ai dit OK... De là, j’ai eu une proposition de travail [à quelques kilomètres d’ici]. C’était du travail beaucoup plus dur, mais beaucoup mieux payé parce que c’était en équipe... ça m’intéressait parce que j’avais plus de temps avec les enfants, ça me permettait d’avoir plus de contacts avec les petits qui étaient plus grands d’ailleurs.. Et après j’ai rencontré le père de mes autres gamins... J’ai arrêté de travailler parce qu’il ne voulait pas que je travaille. Il m’a dit : « Tu as assez travaillé, assez galéré ». Alors, pour une fois que je pouvais me le permettre... Et puis, je suis tombée enceinte et j’ai eu des jumeaux. Donc j’ai complètement arrêté de travailler parce qu’avec des jumeaux, ce n’est pas possible de travailler. J’avais les autres devant. Quand même il y avait un écart, entre le quatrième et le cinquième il y a quand même 9 ans et entre le cinquième et les jumeaux, il y a 6 ans. Donc ma fille avait 6 ans quand j’ai eu les jumeaux et les autres étaient toujours à la maison.

• - Ça ne vous a pas coûté d’arrêter de travailler ?...

• - Au contraire, là, j’ai apprécié de pouvoir arrêter, [X] et puis j’ai eu le dernier. je ne m’en serais pas sortie autrement, et puis après, je n’ai pas repris le travail par choix, parce qu’il y avait des allocations parentales qui me permettaient de vivre. Et puis j’ai eu des problèmes, je me suis séparée, je me suis retrouvée seule avec les quatre derniers, cinq parce que ma fille vivait encore à la maison, après elle s’est mariée... Je m’étais inscrite à l’ANPE parce que je voyais arriver le moment où je n’aurais plus l’allocation jeune enfant, je me disais « juste avec les alloc’, je m’en sortirai pas ».

• - Vous vous en sortiez à ce moment-là ?...

• - C’était juste mais je m’en sortais, je touchais 7000 F par mois avec quatre enfants, c’est vrai que ce n’est pas le Pérou mais ça me permettait d’être à la maison et de m’occuper des enfants et après on m’a proposé un stage et suite à ça, je suis arrivée à retravailler, c’est même pas... c’est une remise... [en entreprise d’insertion]... au départ, ils ne vous obligent pas à prendre le travail comme dans une usine... On peut aller à notre rythme et petit à petit ils vous font reprendre de la vitesse. J’étais contente, parce qu’ils m’ont fait passer à des postes très variés et à la fin, ayant pris de la vitesse, je réalisais [les produits du début à la fin]. Mon contrat étant fini et m’ayant été remis en ménage avec le père des petits, j’ai fait un choix de ne pas retravailler tout de suite, un choix dans un sens que d’un côté ça m’arrangeait d’être avec mes enfants et puis de l’autre côté pécuniairement aussi parce jusqu’au six ans des enfants, on est quand même aidé parce qu’on a droit à l’AFEAMA donc ils nous remboursent une bonne partie de la garde. Mais comme les jumeaux avaient 6 ans, je n’y avais plus droit que pour le dernier, ça faisait sortir 2000 F sur une paye de 4000 F... Donc autant rester à la maison. Et puis disons que je... je suis... On ne peut dire pas dire que je suis malade, malade, mais je suis bien fatiguée donc je ne peux pas soutenir un rythme de travail... Donc je n’ai pas renouvelé le contrat, je ne me suis même pas inscrite à l’ANPE, j’ai décidé de laisser tomber, pour le moment, de me soigner et après on verra...

• - Ça fait combien de temps maintenant ?...

• - Ça va faire un an. Ça fera un an dans quelques semaines.

• - Comment ça se passe ? ça vous convient ?...

• - Pécuniairement, c’est un peu dur, mais autrement pour moi, ça se passe bien parce que je peux enfin me consacrer à des choses que j’ai envie de faire : couture, tricot...

• - Vous faites des choses qui vous plaisent ?...

• - Voilà, je peux me permettre de dire « Tiens, j’achète du tissu, je vais faire les pyjamas des gamins, je vais faire des robes pour mes filles ».

• - Vous n’aviez jamais le temps avant ?...

• - Je n’ai jamais eu le temps d’approfondir... C’est une chose que j’aime bien faire, donc ça me permet de faire ce que j’ai envie... Bon, même que c’est pas évident... Il y a des mois où c’est plus dur que d’autres... Mais en fin de compte... mais moi, ça n’a pas été un cap trop difficile de passer de la vie active à... peut-être parce que j’ai les enfants...
  Vous n’êtes pas seule à la maison...

• - Voilà, les enfants reviennent de l’école à 16 h 30... C’est vrai, je n’ai pas bien le temps de mettre les deux pieds dans le même soulier comme on dit, parce que j’ai quand même quatre enfants à charge... Il y a encore beaucoup de chose à faire... Bon, je ne dis pas que dans quelques années je ne reprendrais pas le travail...

• - Peut-être qu’un jour vous reprendrez ?...

• - Même sûrement parce...

• - Quand les enfants seront grands ?...

• - Une fois que les gosses seront tous... disons capables de se débrouiller par eux-mêmes... Bon parce que là je trouve qu’ils n’évoluent pas pareil que les grands, la nouvelle génération elle n’est pas tout à fait pareille, c’est peut-être une idée.. mais ils sont moins autonomes qu’avant... je préfère attendre....

• - Tant qu’ils ont besoin de vous ?...

• - Je n’aurais pas confiance pour les laisser tout seul rentrer de l’école... Le dernier va avoir 5 ans... C’est vrai que ça ne me gêne pas de ne pas retravailler...

• - Vous n’en souffrez pas ? ça ne vous manque pas ?

• - Non, non... C’est vrai qu’il y a certaines personnes elles dépriment... et puis faut dire aussi je suis bien fatiguée...

• - Vous avez un traitement ?...

• - Oui, disons que nerveusement, je ne tiens plus vraiment... Et puis avec toutes les galères que j’ai eues, j’ai les reins qui ont pas mal ramassé, et puis j’ai pris du poids, donc automatiquement ça n’arrange pas les choses.. et c’est vrai, que travailler comme ça, dans des conditions comme ça, ce n’est pas évident.

• - Ça vous fait souffrir ?...

• - Disons quand je prends mes crises, je ne peux pas me déplacer, je marche avec une canne ou je me tiens. C’est vrai que je me mets à la place d’un employeur, si vous manquez trois mois dans l’année... ça ne l’intéresse pas... c’est vrai que [l’entreprise d’insertion] ça m’a permis quand même d’avoir du travail en rapport avec mon état de santé... Mais c’est pour ça que je ne veux pas travailler parce que je ne pourrais pas... puis que même là parfois, il y a certains travaux que je ne peux plus faire, soulever des charges... Je n’ai plus le droit...

• - C’est pendant que vous étiez à [l’entreprise d’insertion] que vous avez réalisé... pendant le stage...

• - Disons...

• - Parce que vous vouliez reprendre...

• - Oui, je voulais reprendre parce que j’avais besoin de sous... Et puis, je voulais reprendre dans un travail qui me plaît et ce qu’on me proposait, ça m’a toujours plu... mais c’est vrai que je me suis aperçue que j’étais plus capable de faire certaines choses.[X]... Il y a plein de choses que je ne peux pas faire et puis sur une machine toute la journée, automatiquement... Quand le soir arrive, on est... et puis il faut reconnaître les choses, j’ai manqué assez souvent, en plus j’ai été obligée de me faire opérer de [X]. Donc automatiquement, à [l’entreprise d’insertion], ils étaient assez cool, mais chez un employeur, je n’aurais pas pu faire ce que j’ai fait avec eux... C’est vrai, j’ai eu des contrats... ils ont accepté de me refaire un contrat quand même après, pour me...

• - Ça a duré ?...

• - J’ai travaillé 8 mois, ils font des contrats de 3 mois.

• - C’est vous qui leur avez dit de ne pas renouveler le dernier contrat...

• - Là au mois d’août, j’ai dit « je ne renouvelle pas ». J’ai dit non parce que je ne me sens plus en état de... et puis, je voyais bien aussi que ça les ennuyait un peu que je manque souvent... alors... on a décidé d’un commun accord d’arrêter. Mais je sais que si vraiment j’ai envie, je n’ai qu’à les appeler. S’il y a une place, ils me reprendront. Mais disons qu’ils voudraient être sûrs avant que ma santé s’est stabilisée... et ce n’est pas bien le cas... Je suis retournée faire des examens, ce n’est pas très brillant. en plus, les circonstances de la vie jouent beaucoup, c’est vrai que je n’ai plus la volonté de me battre comme je me suis battue... disons, j’essaie de faire surface par rapport à mes enfants, mais je n’ai plus la volonté... Ce que je dis, je ne souhaite qu’une chose, c’est que les enfants aillent bien, et après, on verra... Je ne peux pas dire que je me bats vraiment... Je laisse les choses un peu.

• - Mais il vous reste du courage pour faire des choses à la maison ?...

• - D’ailleurs c’est ce qui me sauve parce que là dessus, j’ai toujours été très motivée... Je garde l’envie.... De toute façon, les docteurs le disent, j’ai encore cette envie, autrement j’aurais coulé encore plus facilement.

• - Vous êtes tentée de rester au lit, de ne plus rien faire ?....

• - Rester au lit quand vous avez les gamins qui se lèvent à 6 h 30 ou 7 h !... Comme ils ont été habitués à la nourrice, ils se lèvent de bonne heure. C’est vrai qu’une fois que je les ai emmenés à l’école, je pourrais me recoucher... Mais je ne suis pas du style à dormir, je n’ai jamais été une femme à dormir toute la journée. J’ai été habituée comme ça et quand des fois je suis fatiguée, je vais m’allonger, je me sens mal quand je me relève. Et puis, je ne peux pas rester inactive. On m’a tellement poussée quand j’étais jeune : « T’as rien à faire ? Tiens y a ça à faire ». On n’avait pas le droit de rester assise et de lire un livre.... même devant la télé le soir, des fois, il y a des films qui m’intéressent, ou je tricote, ou je fais du crochet, je ne peux pas rester les mains vides, il me manque quelque chose ou alors je vais fumer deux paquets de cigarettes...

• - Si vous n’avez pas les mains occupez, vous fumez ?...

• - Voilà, il faut que je m’occupe...

• - Et le contact avec les autres, cela vous manque ?...

• - J’ai toujours la maison un peu pleine, entre les enfants et les petits-enfants. J’ai quand même huit enfants, je suis déjà cinq fois grand-mère. Je vais l’être encore deux fois, donc il y a toujours du monde. C’est rare... Comme ils habitent tous le coin... Comme les petits-enfants vont à l’école avec les enfants, les gamins sont à peu près du même âge. Ben tiens, on boit le café ensemble, un coup ils viennent là ou chez eux. Je ne peux pas dire que je suis coupée du monde parce que j’ai toujours quelqu’un. Moi j’ai toujours quelqu’un, si ce n’est pas la journée, c’est le soir, mais je passe pas 24 heures sans qu’il y ait personne à la maison. Je ne peux pas dire que je suis coupée, j’ai encore une vie assez active. J’ai des enfants, des petits-enfants qui me tiennent, qui m’obligent à bouger... parce qu’à la limite, je n’aurais pas les enfants... Les petits-enfants sont presque toujours là aussi... Je suis obligée de bouger... Voilà... Et puis, je ne suis pas d’un tempérament. C’est vrai que j’arrive à déprimer, comme tout le monde... Au bout d’un moment on arrive un peu... Mais disons, je ne veux pas me laisser aller...

• - Vous avez un tempérament à réagir...

• - Oui, je ne vais pas me dire « Je vais me replier dans mon coin. Je vais me coucher ». Ça je n’y arrive pas... même quand je suis vraiment très déprimée, ça m’arrive de faire moins de choses, mais je fais quand même, je m’oblige à les faire.

• - Vous trouvez la force de vous obliger ?

• - Oui, et puis, une fois que j’ai commencé, après... Par exemple, une fois que j’ai commencé à couper un pyjama, après il faut que je le couse, il faut que je le voie fini (la voix de Mme Chesnais devient beaucoup plus tonique et joyeuse).

• - ça vous fait plaisir de voir ce que vous avez réalisé ?

• - Voilà, alors automatiquement ça me maintient... C’est pour ça qu’il y a des moments, je me force un peu pour commencer, pour me mettre en route. Et après, une fois que j’ai commencé, ça va tout seul. Il faut que je finisse... de toute façon, j’ai toujours un ouvrage ou deux de commencé... Toujours...

• - Toujours quelque chose en route ?

• - Toujours.

• - Votre compagnon, l’arrêt de travail, ça lui convient ?

• - Lui, ça lui convient. Il y a toujours quelqu’un quand il rentre, les plats sont prêts...

• - C’est mieux pour lui...

• - Pour lui, oui. C’est l’idéal. Lui, c’est son objectif un peu. Sa maman n’a jamais travaillé. Pour lui, c’est le père qui doit gagner de l’argent et la mère être à la maison. Donc ça ne lui cause pas de problèmes. Au contraire, je crois qu’il était un peu jaloux du travail, le fait que je vois d’autres gens...

• - Ça l’embêtait ?...
  Puis disons qu’en allant travailler, je me maquillais un peu plus, je m’occupais un peu plus de moi alors quelque part... Il ne veut pas le dire, mais...

• - De votre côté, réaliser que vous étiez trop fatiguée pour retravailler, ça a été dur à admettre ?

• - Oui, parce que j’ai toujours été très active et il y a des moments je me sens quand même diminuée mais il faut faire avec, il n’y a pas le choix.

• - Il faut arriver à l’admettre ?...

• - C’est dur d’admettre que l’on a plus 20 ans, qu’on ne peut pas faire certaines choses, c’est ça, en fin de compte. J’ai eu des enfants très jeune et puis plus tard et ça m’a maintenu... Je n’ai pas eu l’impression d’avoir mon âge... Je me sens pas... Avec les enfants jeunes à la maison, on n’a pas l’impression et puis il y a quelques années, les femmes à 50 ans étaient déjà vieilles, elles étaient plus fatiguées que nous physiquement... Alors que moi, je me vois arriver vers 50 ans et je me dis que dans le fond, je ne suis pas vieille. Je n’arrive pas à admettre que le corps s’use et qu’on n’arrive pas à faire ce qu’on faisait avant... d’esprit, je me sens jeune... et le corps ne suit pas tout le temps.

• - C’est ce qui est le plus difficile à supporter ?

• - Oui. Ce n’est pas le fait de ne plus travailler, c’est le fait d’être diminuée physiquement. Ce n’est pas évident, et puis dans ma famille il y a pas mal d’antécédents...

• - Ça vous inquiète ?

• - Mon père ne serait pas mort, il aurait fini sur une chaise roulante... Comme moi, j’ai à peu près les mêmes symptômes que lui, ça me fait peur pour plus tard.. Et en plus je ne voudrais pas être à la charge de mes enfants, parce que je me dis qu’ils ont leur vie à faire, ils n’ont pas besoin d’être embêtés par une grand-mère impotente... Ce n’est pas agréable pour nous et pour eux de dépendre des autres et que les autres soient obligés d’être là constamment. C’est pour ça que j’ai pas mal d’inquiétudes de ce côté là.
  Mais vous disiez tout à l’heure que vous reprendriez quand les enfants seraient plus grands...

• - J’espère... j’espère que je reprendrai le travail... Déjà quand ils sont en vacances ou que je ne les ai pas avec moi le soir, c’est dur...

• - Vous êtes inquiètes pour quand ils seront tout le temps ailleurs ?

• - Oui, quand ils auront leur vie, ils n’auront plus le temps. Une fois qu’on est marié, qu’on a des enfants, c’est plus la même chose. Ils sont toujours là, mais ils ne vivent plus là.. Ils ont leur propre vie...

• - Ce sera plus dur ?...

• - Oh ! Pour moi, oui... Pour les grands, ça n’a pas été trop difficile parce que j’avais à m’occuper des petits, mais quand je n’aurais plus personne, ça risque d’être vraiment dur.

• - Vous pensez que le travail pourra être une solution ?

• - Oui, parce que déjà dans la journée, ça me ferait penser à autre chose tout en me permettant, j’espère du moins, de faire ce qui me plaît et en plus ça améliorera un peu l’ordinaire... parce qu’il faut dire qu’on n’est pas tellement bien placé question retraite... Donc si on peut travailler le plus qu’on peut, ça sera un plus... Ce n’est pas évident de dire aux enfants « il faudra que vous donniez tant à votre mère parce qu’elle ne peut pas »...

• - C’est très important que le travail vous plaise ?...

• - Ben oui... disons, je le ferais par obligation. C’est pas...

• - Vous avez besoin de vous faire plaisir en travaillant ?..

• - Moi oui, il faut que... Pour moi, il faut que ce soit agréable, parce que c’est un travail, c’est vrai qu’on est obligé de travailler, mais pourquoi pas mettre l’utile à l’agréable quand on a la possibilité. Si vraiment il n’y a pas la possibilité, je prendrai ce que je trouverai, mais c’est vrai que j’aimerais bien continuer dans [mon secteur]. Mais je pense qu’il y aura toujours de toute façon des choses à faire la dedans...

• - Pourtant, en ce moment c’est dur [dans ce secteur] !...

• - [En fabrication industrielle c’est dur, mais en atelier artisanal], on peut arriver à trouver. Quitte à prendre un mi-temps au départ pour se remettre dans le bain... Je pense... parce que de toute façon, il y aura toujours besoin de quelqu’un capable de [faire de ce que je sais faire] et puis moi, j’estime que quand on est bon ouvrier, on a toujours...

• - Après, vous serez à la retraite... Enfin, vous avez encore du temps devant vous...

• - Si on y arrive un jour, parce que c’est vraiment mal parti...

• - A cause de votre santé...

• - De toute façon, dans la conjoncture actuelle, parce que déjà, il y a de moins en moins de travail pour les jeunes, de moins en moins d’enfants parce que les gens ne veulent plus faire d’enfant. Faut reconnaître que c’est normal. Moi, à mon époque, des familles de dix, douze enfants, c’était courant. Alors que maintenant, quand vous dites que vous avez huit ou dix enfants : « c’est pas vrai ! C’est pas possible !... » C’est vrai, c’est passé à deux enfants, trois maximum, donc automatiquement il ne va plus y avoir assez de jeunes pour la génération. Parce que c’est vrai... le baby-boom... Il y a une époque où beaucoup de personnes ont fait des enfants qui ne vont pas tarder à arriver dans l’âge de la retraite... qui c’est qui va pouvoir fournir ? Parce que s’il n’y a personne qui travaille derrière... On ne pourra pas payer les retraites. Ça va faire quoi ? Et puis les jeunes en ont marre de galérer, de faire des enfants et de ne pas savoir s’ils pourront les nourrir plus tard, c’est normal qu’ils hésitent à faire des enfants...

• - Vos enfants ont du travail, les grands ?

• - Moi j’ai cette chance là, c’est que les quatre premiers sont casés. [Ils ont tous des métiers qualifiés] il y en a qu’une qui n’a pas envie de travailler, parce qu’elle préfère être mère au foyer, c’est son choix. par contre, là, elle a décidé d’avoir [un diplôme].

• - Ils ont tous des métiers où les débouchés sont nombreux....

• - Et puis, je ne les ai jamais poussés à faire ce que moi je voulais. Ils ont choisi eux, mon aîné depuis tout petit, c’était [sa passion], il en a fait son métier, et il en est dingue... Ma fille aînée c’est pareil. Elle c’était [un autre secteur], donc il n’y a pas de problème. [Le troisième] c’est pareil. Depuis tout petit, ils ont toujours pris la tendance de ce qu’ils voulaient. C’est pour ça que je vous dis que ça fait une différence avec les petits. Parce que dès 7 ans, l’aîné il savait déjà ce qu’il voulait faire. Les jumeaux, ils vont arriver vers 7 ans, vous leur demandez « Tu veux faire quoi plus tard ? » « Je sais pas. » Même ma fille qui a 13 ans, elle ne sait pas... Les grands, ils ont toujours eu une idée, ils voulaient faire ça. Et ils ne sont peut-être pas arrivés exactement à ce qu’ils voulaient, mais ils ont pris le métier qu’ils aimaient et comme je dis : « Rien de tel que travailler dans un métier qui nous plaît... » Je sais que si je devais faire du ménage, je le ferai parce que je suis obligée de le faire, mais c’est tout. Mais automatiquement on se dit « il est que 10 h, il est que 11 h »... alors que dans un travail qui plait « Oh, il est déjà midi ». On n’a pas la même notion du temps. C’est pour ça que je dis toujours, si on peut avoir l’utile et l’agréable autant en profiter... en fait, je les ai toujours laissés faire ce qu’ils voulaient dans la mesure où... des possibilités... c’est toujours pareil...

• - Pour revenir à vous, en ce moment, vous n’avez plus de revenu ?...

• - J’ai juste les allocations familiales...

• - Il y a le salaire de votre ami...

• - C’est vrai que c’est un peu juste, parce que là, il y a eu une liquidation judiciaire, il est au chômage depuis six mois. Il travaillait pour un artisan. [X].

• - Il touche le chômage ?

• - Oui, mais là on attend, je pense que ça va repartir... là il fait froid mais après, ça va repartir... De toute façon, ça repart toujours vers mars, avril... donc on ne se fait pas de soucis...

• - Les périodes où vous avez vécu d’allocations... cela a été gênant pour vous ?...

• - Moi, ce qui m’a gênée, ce n’est pas les allocations, c’est le fait d’être obligée de demander des aides, parce qu’il y a eu des périodes où j’étais obligée, je ne pouvais pas faire autrement.

• - C’était dur d’aller voir une assistante sociale pour demander une aide ?...

• - Voilà, parce que quelque part, moi, on ne m’a pas habituée à demander et quelque part, ça gêne... parce qu’on se dit... on a l’impression de vivre un peu sur le dos de la société... de ne pas être capable de s’assumer. C’est ça le plus dur...

• - Ça a été un problème ?

• - Oui, ça a été un peu dur, même maintenant des fois... comme là, je suis obligée d’aller à la banque alimentaire parce que c’est une période assez dure. C’est un peu dur de faire la démarche toutes les semaines, d’y aller... Je pourrais m’en passer, je le ferai, mais avec les enfants, je ne peux pas me permettre. Mais c’est vrai que je me sens un peu diminuée par rapport aux autres... on n’est pas... à la limite on ne se sent presque pas apte à faire ce qu’on a à faire...

• - C’est comme si vous n’étiez pas capable...

• - Oui... C’est peut-être bête, peut-être prétentieux de ma part de la dire... mais moi, je pars du principe, on met des enfants au monde, on doit savoir s’en occuper... On doit être capable d’aller jusqu’au bout...

• - Toute seule, sans demander de l’aide...

• - Ben non... parce que normalement... Si vous mettez vos enfants au monde, c’est que vous vous sentez capable de les élever, de vous en occuper...

• - C’est ce problème qui vous ennuie le plus...

• - Disons que j’ai eu une éducation assez stricte la dessus... C’était : « Si t’es pas capable de t’assumer t’es un bon à rien ». C’était net et clair... Donc moi, j’ai encore un peu cette optique là. Je ne juge pas les gens, mais moi, par rapport à moi, je me sens un peu... diminuée...

• - Autrefois il n’y avait pas d’aide, on n’avait pas le choix...

• - Voilà, pas le choix... C’est vrai que c’est une bonne chose ces aides, mais je trouve que certaines fois, les gens sont trop assistés et dans d’autres pas assez... Regardez, il y a des gens qui touchent le RMI depuis longtemps, qui ne cherchent même pas du travail, qui s’en foutent et qui disent « après tout, je ne paye pas ça, je ne paye pas ça, je ne paye pas ça... » d’autres qui essaient difficilement de s’en sortir, qui sont obligés de s’en sortir, qui sont obligés de passer par l’aide d’une assistante sociale et compagnie, parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement soit vis à vis des gosses, soit ci, soit là... moi je dis qu’il y a trop de différences... Une personne, disons qui a travaillé toute sa vie, qui est obligée de s’arrêter de travailler parce qu’elle ne trouve pas de travail ou parce qu’elle a des problèmes de santé, qui se trouve au chômage, elle gagne très peu. Alors qu’une personne qui n’a jamais travaillé touche le RMI, c’est un peu paradoxal, c’est injuste quelque part... parce qu’on peut dire « Nous, on a trimé, on a essayé ». En plus, le chômage, il ne dure pas longtemps, on arrive, on n’a plus de sous et eux qui n’ont jamais travaillé, ils ont droit au RMI, tout de suite, alors ça sert à quoi de se... de tant peiner... C’est vrai qu’il y a beaucoup de jeunes qui réagissent comme ça, qui se disent « Si je ne travaille pas je gagne autant que si je travaille », donc ça soulève.... pas mal de points, parce qu’il y en a qui se demandent pourquoi se tracasser pour travailler... Moi, je sais que je ne suis pas tellement comme ça parce qu’en étant toute seule, je ne pourrais pas me voir sans travail, sans rien...

• - Vous chercheriez de toute façon ?...

• - Ah oui !... A la limite, je prendrais le premier travail venu pour m’occuper... J’ai besoin d’être occupée et puis pour voir autre chose quoi.

• - Et en ce moment, vous avez décidé ne pas vous inscrire à l’ANPE.

• - Moi, j’aurais le droit à l’ASSEDIC si je m’étais inscrite. J’ai le droit puisque j’ai travaillé, mais j’ai fait le choix.

• - Pourquoi avez-vous fait comme ça ?

• - Moi, je veux m’en sortir par moi-même, je ne veux pas... Je me dis que je suis un peu assistée quelque part, et je veux pas.

• - Etre inscrite à l’ANPE, ça vous donnerait plus l’impression d’être assistée ?

• - Oui...

• - Vous préférez couper...

• - Voilà... Le jour où je déciderai de reprendre le boulot, je me réinscrirai à l’ANPE. Ça me semble plus logique... M’inscrire à l’ANPE, pourquoi ? pour être sur la liste d’attente, ils vont me proposer du travail, je n’ai pas envie d’y aller... déjà je n’ai pas envie, et puis j’ai... Je veux me soigner... Donc je me dis « Pourquoi être inscrite à l’ANPE ? » On est sur des listes, à la limite, on peut peut-être empêcher quelqu’un d’autre d’avoir du travail alors qu’on n’a pas envie de le faire. Donc il faut être logique, ce n’est pas la peine d’être inscrite quand on n’a pas envie. Le jour où j’aurai vraiment envie, je m’inscrirai.

• - Même si ça vous fait perdre vos droits ?

• - Oui, parce que j’estime que c’est un choix que je fais. Je choisis. J’ai dit que je n’ai pas envie de travailler en ce moment donc je vois pas pourquoi je bénéficierai d’une place qui peut aider quelqu’un.

• - L’assistante sociale, [l’entreprise d’insertion], ne vous ont pas poussée à reprendre ?...

• - Si, ben disons, un petit peu, mais chacun... mais on a encore le libre arbitre en France, quand même ! Heureusement, et puis, vu que j’ai les petits, pour eux, ça ne leur pose pas trop de problèmes. Je suis à la maison avec les enfants, je peux faire des activités avec eux, je ne suis pas obligée d’avoir une nourrice à côté... C’est vrai qu’il y a beaucoup de choses qui s’enchaînent donc automatiquement ça ne pose pas trop de problèmes... Le dernier aurait 10 ans, peut-être qu’elles insisteraient plus, mais là... vu que le petit n’a que 4 ans, c’est pas encore un grand problème ni pour elles, ni pour moi... et puis, je vous dis même, je me sens plus utile à la maison que dans un travail pour le moment... je peux me permettre.

• - Vos enfants doivent être contents...

• - Oui, hier je leur ai fait des bugnes. C’est des choses que je ne peux pas me permettre quand je travaille, je leur fais beaucoup de gâteaux, de petits plats... et puis, de toute façon, dès que je ne suis pas là : « Elle est où Maman ? »...

• - Ils ne doivent pas avoir envie que vous repreniez...

• - Non. Des fois, en rigolant, je dis « Moi, je vais travailler, comme ça vous me casserez plus les pieds ! » « Oui mais tu seras pas là quand on rentre, on sera obligé d’aller chez... l’un ou l’autre de leur frère... Parce qu’à la limite, je n’aurais plus besoin de nourrice, je peux m’arranger avec mes belles-filles. Mais ça ne m’intéresse pas... Et puis, ils n’ont pas envie... Quand je dis que je vais travailler « Oh non, pas maintenant ! »

• - Ils ont besoin de vous...

• - Quand ils arrivent le soir, j’ai fait mon ménage, à manger, je peux me permettre de leur faire un peu de câlins, d’être là, présente, de discuter avec eux, alors qu’en travaillant, on arrive le soir, il faut faire le ménage... On n’a pas le temps... Là, on est plus disponible. C’est un âge où ils ont besoin, après ils ont plus d’indépendance... Après, la maman derrière, ça agace plutôt qu’autre chose, mais jusqu’à 7, 8 ans, des fois 10 ans. Je vois ma fille a 12 ans, elle ne veut pas que je reprenne le travail.

• - Elle a encore besoin de vous ?

• - Ça, si j’étais obligée de travailler : « Oh non ! Tu ne vas pas travailler ». Ils acceptent mal. On les a aussi élevés dans cette optique là, maman à la maison, les bons petits plats, ils arrivent le lit est fait. « Je ne suis pas obligé de faire mon lit. » Moi, Maman, elle travaillait... On faisait les lits le soir quand on arrivait. » Faire les lits pour aller se coucher, c’est un peu bizarre ! Là, ils arrivent, c’est rangé. Ils ont leurs aises. Un enfant c’est ce qu’il cherche et puis pouvoir profiter un peu de Papa, pour eux, c’est normal.

• - C’est une satisfaction pour vous de voir qu’ils sont heureux ?...

• - Oui, parce que je trouve que mes enfants sont plus épanouis que les premiers. Ils n’avaient pas le même comportement du fait que moi je travaillais et que je n’étais pas disponible... C’est vrai, c’est très dur de tout mener de front, le boulot, les enfants... quand on est obligé...

• - Pour vos filles, vous imagineriez une vie sans travail du tout, uniquement au foyer ?

• - Pour ma deuxième fille, oui, pas de problème, pour la première, non. C’est pas... Elle n’est pas maison, maison. Elle a besoin de contact avec les autres.

• - Ça dépend des tempéraments...

• - La deuxième, c’est sa maison, son gamin, son petit intérieur. La première, elle le fait parce qu’il faut le faire, mais disons, elle n’aurait pas la possibilité d’aller à l’extérieur, je pense qu’elle le vivrait très mal. Ça dépend du tempérament des gens... Et puis, il faut dire aussi qu’elles m’ont toujours vu travailler, il y a l’exemple des parents. Si on voit travailler les parents, on a cette optique là...Je vois les premières, elles ont toujours parlé de travailler.... Sauf [celle] qui a eu l’occasion de rester chez elle pour s’occuper de son enfant... Elle se plait comme ça, c’est très bien... Mais je vois ma troisième fille, quand on lui demande ce qu’elle veut faire plus tard : « Ben, je resterai à la maison, je m’occuperai de mes enfants... » Alors que les autres c’est : « Je vais faire ça »... « je vais chercher ça ». Alors qu’elle, elle s’imagine rester chez elle...
  Elle voit peut-être que pour vous, c’est positif, ça vous intéresse...

• - Oui, d’un côté, ça me faisait du bien de travailler parce que je voyais des gens, je sortais, mais d’un autre côté, c’est vrai que moi, on me dirait « On te paye tant pour rester à la maison », pas de problème, je resterais...

• - Oui, en dehors du revenu, il n’y a pas de problème ?...

• - Pas de problème... C’est vrai qu’il y en a qui ne peuvent pas. Il y en a qui ne peuvent pas se voir à la maison. Moi j’ai toujours quelque chose à faire, je ne m’ennuie pas, je n’ai pas le temps de m’ennuyer.

• - Vous ne tournez pas en rond. Certaines personnes au chômage disent : « ça ne va pas, je tourne en rond ».

• - Oh moi, ça va. Je n’ai pas le temps. Ma belle-fille me dit qu’elle s’ennuie. Je lui dis « Mais comment tu trouves le temps de t’ennuyer ? ! » Moi, je n’ai pas le temps, au contraire, je n’ai jamais assez de temps pour faire ce que j’ai envie... alors... (rire)... C’est pas des jours de 24 heures...

• - Il faut avoir l’envie de faire...

• - Oui, mais ce qui compte, c’est beaucoup la façon dont on a été élevé, parce que si on a été obligé de toujours bouger, on ne peut pas rester sans rien faire..

• - Le corps a des habitudes...

• - Oui.

• - Votre mère travaillait ?

• - Elle a toujours travaillé... [dans une administration]... On était trois, mais j’avais un père [X] un peu je-m’en-foutiste... Par contre ma mère, elle n’aurait jamais été mère au foyer... Elle n’aurait pas supporté. Même maintenant à la retraite, elle s’ennuie.

• - Vous avez été obligée de travailler au début... vous auriez pu ne pas savoir vous occuper...

• - Disons d’être obligée d’entrer dans la vie active étant jeune, je crois que ça joue un rôle, on est obligé de travailler, c’est un fait, mais moi je dis qu’une femme à la maison, elle travaille autant qu’à l’extérieur. C’est vrai qu’elle s’organise comme elle veut, elle peut prendre des moments de repos. Elle est fatiguée, elle va s’asseoir dix minutes, boire un café... C’est vrai que ce n’est pas la même chose, c’est astreignant mais c’est du travail quand même... Moi, ma grand –mère, elle disait toujours, une mère à la maison, elle fait sept métiers à la fois, il y a infirmière, sage-femme, pouponnière, ménagère, couturière... je ne sais plus ce qu’elle me disait...

• - Votre grand-mère valorisait bien toutes ces activités...

• - Ma grand-mère, je l’ai toujours vu tricoter ou coudre. On tricotait ensemble, à 8 ans j’étais capable de tricoter une paire de chaussettes. Maintenant ça ne se fait plus... En tout cas, moi je ne me plains pas de l’éducation que j’ai eue. C’était dur, il y avait des moments où j’en avais marre, mais maintenant, ça m’aide beaucoup, parce que maintenant je trouve que je réagis pratiquement dans toutes les situations... Je ne me laisse pas enfoncer...

• - Et vos enfants, vous leur apprenez tout ça ?...

• - Oui, mes enfants... Les petits sont encore trop petits, mais ma fille, à 12 ans, elle est capable de faire à manger, comme les grands d’ailleurs. Je n’ai pas regardé si c’était garçon ou fille. C’est : « Tu débarrasses la table, tu es en âge maintenant, tu fais le déjeuner ». « Je fais à manger tu regardes comment je fais » et les gamins, ça leur plait. Ils participent, ils sont contents : « Tiens, j’ai réussi ça ». Je me rappelle ma fille, la première robe qu’elle a faite à une poupée dans une de ses vieilles robes, tout le monde était au courant. Elle l’avait même emmenée à l’école pour faire voir. C’est un plus, ça les valorise par rapport aux autres enfants. « Chez toi, t’as peut-être ça, moi j’ai pas ça, mais je sais faire ça, donc j’ai la même valeur que toi. » A la limite, c’est un peu ça...

• - Par rapport aux autre enfants qui ont plus de choses facilement ?...

• - Oui, parce qu’on n’a jamais beaucoup de sous, donc les gamins n’ont jamais bien.. Mais je vois ma fille, souvent quand une robe ne lui allait plus, elle me disait « Tu fais une robe à ma poupée » donc... Et puis, même les jumeaux, quand je leur ai fait un pull, la première fois qu’ils le mettent, ils disent : « C’est maman qui l’a fait ». Ils sont heureux de faire voir... Alors quelque part, ça les valorise quand même...
  Et quand vous travailliez, vous n’aviez pas le temps de la faire ?...

• - J’ai toujours tricoté, toujours cousu. Je le faisais le soir ou le week-end. J’ai toujours cousu.

• - Par plaisir ou par obligation ?

• - Il y a un peu d’obligation parce que c’est vrai, je disais : « Voilà l’hiver qui arrive, il va falloir que je les habille, c’est cher... Et puis, ce qu’on a fait nous-mêmes dure plus longtemps, et puis, c’est le plaisir de faire, de créer quelque chose. »

• - Même fatiguée vous trouviez du plaisir dans cette activité ?

• - Si je n’ai pas beaucoup de temps, je tricote un quart d’heure, mais ça me relaxe. Le tricot, pour moi, c’est une détente, et même quand je suis bien énervée, je prends mon tricot souvent... C’est un palliatif... Je fais ça pratiquement machinalement

• - Sans peiner ?...

• - Non, je regarde la télé en même temps que je tricote... Ma belle-fille, qui n’en fait pas beaucoup, me dit : « Je ne sais pas comment vous faites, vous regardez même pas votre tricot ! » C’est une question d’habitude... Il y a plus de 20 ans, après c’est machinal... C’est comme quand vous êtes dans un travail, à la limite, vous pouvez penser à quelque chose tout en faisant votre travail. Là, c’est pareil... Le soir, quand les enfants rentrent, ils ont leur petit confort, leur petit moment de détente... Ce n’est pas tout à fait compatible avec la vie de travail, parce qu’on est obligé de leur donner même quand on travaille, donc ça empiète sur un autre travail et petit à petit ça s’enchaîne, ou on arrive au travail et on est fatigué, ou il n’y a plus le temps pour les gamins. C’est pour ça que je dis, ils parlent du chômage, je veux bien, c’est vrai qu’il y a du chômage, mais dans certaines branches de chômage, s’ils aidaient les femmes au foyer, il y aurait moins de chômage.

• - Vous pensez qu’il y a pas mal de gens que feraient comme vous ?

• - Oui, il y en a... Vous discutez à la sortie des écoles ou quoi, il y a beaucoup de femmes qui disent « Moi, j’aurais un salaire décent, jusqu’aux 7 ans de mon enfant, je ne travaillerais pas ». Pourquoi ça s’arrête tout à 3 ans, l’allocation parentale d’éducation ? ça ne reviendrait pas plus cher au gouvernement... Parce que les gens qui ne peuvent pas travailler, ils les paient au chômage... Que ce soit allocation jeune enfant ou chômage, ils pourraient payer jusqu’à ce que l’enfant rentre en primaire. Ça ne leur reviendrait pas plus cher et peut-être que les gens s’occuperaient un peu plus de leur enfant... Parce que quand les deux parents travaillent, c’est pas possible, on n’a pas le temps de s’en occuper.

• - Et ceux qui ne trouvent pas de travail dépriment...

• - Voilà... Que ceux qui ont vraiment ce besoin de travailler, qu’on leur laisse le choix de travailler, mais c’est vrai que je pense qu’il y a beaucoup de femmes, jusqu’aux 7 ans de leur enfant, c’est vrai que c’est les premières années qui comptent le plus... Parce que les liens que vous avez avec vos enfants, c’est tout petit que vous les faites. Quand ils sont trop grands, c’est déjà trop tard. Il y a un autre lien mais ce n’est pareil, c’est pour ça que souvent je me dis que s’il y avait un effort de ce côté là.... Il y aurait moins de chômage parce qu’automatiquement toutes les femmes qui prendraient le choix de s’arrêter de travailler, ça ferait de la place... donc automatiquement.

• - Mais pour le moment, les gens qui prennent cette décision ont l’impression que donner de l’argent à des gens qui restent à la maison, c’est de l’assistance...

• - Oui, dire à une mère « Vous restez chez vous, vous vous occupez de vos enfants » pour eux, c’est de l’utopie. Mais donner le RMI à des fainéants, ce n’est pas de l’utopie. Parce que moi, la plupart, j’appelle ça des fainéants, parce que j’en connais plusieurs qui disent « On s’en fiche, de toute façon dès qu’on a 25 ans, on a droit au RMI ». Alors on galère jusqu’à 25 ans et pouf ! On a le RMI. Ou alors, on fait un gosse, comme ça, automatiquement on a droit à l’allocation de parent isolé ou autre. Parce que ça, vous l’entendez !...

• - Du coup c’est plus facile que travailler ?...

• - Voilà. C’est vrai que ça donne une situation immédiate, pas dans l’avenir, mais dans l’immédiat. Ça leur donne une solution, ça ne les incite pas à chercher du travail ou à s’en sortir d’eux-mêmes. C’est pour ça que je dis qu’il y a beaucoup de mesures qui ne sont pas justes. C’est vrai... que vous soyez une personne de 20 ans ou de 40 qui a arrêté de travaillé pour une raison x, que vous soyez aidé pendant un certain temps, c’est normal parce que vous avez donné de votre temps, vous avez donné quelque chose, vous avez contribué à l’essor de la vie. C’est peut-être minime, mais regardez dans un atelier, si vous avez 50 personnes, ces 50 elles aident à la réalisation de quelque chose. Si vous en aviez 48, il y aurait peut-être un petit problème pour y arriver. Chacun donne, apporte quand même quelque chose. Donc le jour où cette entreprise les licencie, c’est normal de les aider. Mais aider des gens qui ne veulent vraiment rien, rien faire ou qui s’en foutent complètement, je trouve ça aberrant.

• - Aider ceux qui ne veulent pas participer...

• - Voilà... Moi je dis que chacun a une place bien déterminée dans la vie.

• - C’est votre éducation qui...

• - Sûrement, parce que j’ai eu une éducation assez rigide... C’est peut-être ça qui me fait parler comme ça... Mais c’est vrai que chacun doit mettre un peu du sien pour y contribuer, on ne s’en sort pas plus mal à la sortie... Moi ne je sais pas, quand je vois des personnes qui me disent « Je touche le RMI, je me lève à 1 heure ou 2 l’après-midi »... Quelle valeur ils ont pour eux-mêmes ?...

• - Vous avez l’impression qu’ils souffrent ?...

• - Ben oui, au bout d’un moment ils en souffrent parce qu’au bout d’un moment, ils doivent se dire : « Je vis pourquoi ? Je fais quoi ? ». Au bout d’un moment, c’est vrai... Pourquoi il y a de plus en plus de suicides, de truc comme ça ? Moi, ça ne m’étonne pas... parce qu’automatiquement, ils ont été trop aidés au départ ou pas assez. C’est un engrenage et c’est fini. Parce que de toute façon, je ne suis pas là pour juger ni les uns ni les autres, parce que chacun mène sa vie comme il veut, chacun mène sa barque... C’est pas des critiques, c’est juste une constatation, mais c’est vrai que le gouvernement ne fait rien du tout... Parce qu’au lieu de dire il y a des chômeurs, on va créer un emploi là, un emploi là... Ils en créent un, il y en a 50 autres qui se cassent la figure derrière... alors... Ils pleurent tout le temps parce qu’il n’y a plus assez d’enfants. Hier encore sur Canal +, ils en parlaient... Il y a 1,2 enfant par habitant, ils n’ont qu’à aider les personnes, parce que la France elle a des sous, elle est riche, donc s’ils veulent vraiment trouver les moyens...

• - Et vous, avec vos problèmes de santé, vous n’avez jamais essayé de demander une allocation d’adulte handicapé ?

• - Non, j’estime que non. Tant que j’ai mes bras, mes jambes pour travailler.. J’estime que si on commence dans un cercle comme ça, c’est un cercle vicieux et après... Là, on a tendance à se laisser aller. Parce que si vous avez une AAH, vous vous sentez diminué... Moi, je trouve que c’est trop difficile à vivre après... d’admettre que vous êtes diminué...

• - Ça serait une manière de dire « Là, de toute façon...

• - Voilà. « Maintenant, il n’y a plus le choix, t’es diminuée, t’es comme ça, t’es...dans une catégorie comme ça ». Et puis, vous êtes obligé de passer par la COTOREP, et après vous n’avez plus le droit de travailler dans certains trucs... Non....

• - Vous voulez garder la liberté...

• - Voilà. Il y a des contraintes... mais je veux choisir ce que je veux faire, je veux être... je ne veux pas qu’on me mette un panneau dans le dos en disant « celle-là, elle peut faire ça ou ça ».

• - Vous voulez rester indépendante...

• - Oui.

• - C’est en réaction à votre père qui serait...

• - Sûrement, parce que je me suis toujours dit « quand je serais grande, je m’en sortirai toute seule » et malgré toute cette galère que j’ai eue, parce que c’est vrai que j’ai eu des moments assez pénibles quand on regarde, je pense que ça m’a plutôt forgé le caractère... C’est vrai qu’il y a certaines personnes, elles ont des épreuves, ça les incite à couler. Moi, je pense que ça m’a justement incité à me tenir la tête hors de l’eau, à me dire que de toute façon, il y a les autres qui font ça, pourquoi pas moi ? Je me dis qu’il y a toujours plus malheureux que moi et c’est un peu ça qui me sauve. Parce que, disons, je ne veux pas arriver en bas, je ne veux pas me retrouver sous l’eau. Il faut au moins que j’ai la tête hors de l’eau, donc pour avoir la tête hors de l’eau, il faut lutter, il n’y a pas le choix...D’un moyen ou d’un autre... C’est vrai qu’il y a des moments très difficiles... où on baisserait les bras, où je me dis : « Après tout, pourquoi tu te bats, c’est toujours pareil, c’est un éternel recommencement ?... » Mais bon, mon caractère n’est pas de baisser les bras. Donc automatiquement, j’arrive à remonter...

• - Où trouvez-vous la force ?...

• (elle répond immédiatement sur le même ton calme)

• - Surtout dans mes enfants, le plus... une fois je me suis retrouvée seule avec les enfants, ça a duré 4 ans... quand ça n’allait pas, je vous dis franchement, je prenais une chaise, je descendais, je regardais dormir mes enfants, et je me disais : « Non, de toute façon, ils sont là, t’as pas le droit de les laisser tomber, ils n’ont pas demandé à vivre, donc il faut te battre ». Puis petit à petit l’idée a fait son chemin... Je reconnais que j’ai eu des moments vraiment bas mais quand vraiment ça n’allait pas, c’était mes enfants... et mon fils, le dernier, devait le sentir, parce qu’aux moments où j’allais vraiment mal, il ne voulait pas dormir... Oui, j’étais obligée de m’occuper de lui.

• - Il restait réveillé pour...

• - Oui, à croire qu’il sentait, c’était chaque fois que je me... que ça n’allait pas... Il n’y avait pas moyen de le faire dormir...

• - Il le sentait sûrement, c’était sa manière à lui de vous aider...

• - Oui... Si j’avais eu le choix, je n’aurais pas eu autant d’enfants, c’est vrai, mais sans enfant ma vie aurait été inutile. On leur apporte quand même beaucoup de choses... Après, c’est vrai, avec leur caractère, c’est eux qui font leur vie. Mais au départ, c’est nous qui leur apportons l’essentiel. J’estime qu’il n’y a rien de plus beau qu’aider un enfant à grandir, donner la vie à un enfant... C’est pour ça que je comprends les femmes qui sont désespérées de ne pas avoir d’enfant, parce que... et de rien, vous arrivez à faire... c’est vraiment quelque chose d’extraordinaire et il y a rien de plus beau que ça...

• - Vous pensez que si vous aviez eu le choix vous en auriez eu moins quand même ?

• - Moins, oui, surtout dans l’époque actuelle, j’aurais peut-être plus réfléchie avant d’avoir des enfants, j’aurais plus fait le nécessaire...

• - Les derniers, ce n’était pas un choix non plus ?... Parce que vous disiez que le premier, c’était à vous de vous débrouiller...

• - Le premier, je l’ai voulu, les premiers je les ai voulus. Après quand j’ai eu ma fille, je voulais m’arrêter, je n’en voulais plus. Mais, bon... J’en ai eu trois en trois ans... Ils sont venus, ils sont venus, ils sont là. C’est un peu cette optique là que j’avais.. C’est vrai que les jumeaux, j’en voulais un... J’avais fait pas mal de fausses couches avant, j’en voulais un autre. Je m’étais remise avec quelqu’un, je voulais au moins un enfant avec lui et puis après, j’ai eu un traitement ce qui fait que je me suis retrouvée enceinte... mais c’est vrai que le dernier surtout, ça a été très, très dur à accepter... Je m’en voulais, je voulais avorter, je ne voulais plus, pourtant je suis contre l’avortement, mais là, je crois qu’il n’aurait pas fallu me pousser beaucoup... Maintenant je ne regrette pas...

• - C’était par rapport au travail que ça représentait ?...

• -Disons qu’ils n’ont que 20 mois d’écart avec les jumeaux. C’était dur déjà avec les deux, mais le père, il est comme moi, il est contre l’avortement, donc il m’a poussé pas mal à le garder... Oh, du jour où je l’ai senti bouger en moi, après, ça a été fini. Mais avant, tant que je n’ai pas réalisé qu’il était là, je n’en voulais pas. Je me disais que ça allait encore être une galère, encore... Non seulement le travail que ça donne, mais qu’est-ce qu’on va leur donner plus tard ?...

• - Ça vous inquiétait ?...

• - Oui, parce déjà, les grands, ça a déjà été dur pour leur donner quelque chose.... Bon... Et comme là, la conjoncture ne s’y prête pas du tout, je me demande ce qu’ils vont devenir quand ils seront grands...

• - Ça vous fait du souci ?...

• - Moi, ça me fait du souci, parce que nous, on était valorisé par le travail, par... Un peu la vie de famille tandis que là... J’essaie pour la vie de famille de les mettre dans certains paramètres, on est un peu obligé, mais s’ils n’ont pas de travail, ils n’ont rien... Surtout les trois derniers, c’est des garçons, donc pour un garçon c’est plus valorisant d’avoir du travail... Parce qu’il se sent abaissé s’il ne travaille pas lui-même alors que sa femme travaille, quelque part il a une fierté quand même...

• - Du coup vous avez peur...

• - C’est vrai que je pense que ça va être dur...

• - Même s’ils ont de bons points de repère dans la famille, ce n’est pas suffisant pour vous ?...

• - Non, parce qu’il faut autre chose, parce qu’il n’y a pas que la famille dans la vie, il y a l’extérieur. Il faut qu’il y ait une place dans la société, c’est ça en fin de compte. Le plus important, c’est avoir sa place quelque part.

• - Il n’y a pas que la place dans la famille ?...

• - Non, parce que la place dans la famille, ils l’auront tout le temps parce que même si votre enfant n’a pas de travail... même s’il n’est pas comme les autres, qu’il est handicapé ou quoi, il aura toujours sa place... Vous ne pouvez pas regretter l’enfant que vous avez porté, ce n’est pas possible... Enfin, moi, personnellement... C’est aussi souvent la question que je me suis posée, si j’avais eu un enfant handicapé, comment j’aurais... Parce que c’est vrai que c’est lourd à porter, mais je pense qu’on ne peut pas regretter un enfant qu’on a eu, moi je n’aurai pas pu, donc un enfant dans la famille, il peut toujours avoir sa place... plus ou moins... mais il peut toujours avoir sa place, c’est dans la société que c’est dur... Donc même en essayant de lui donner le plus de bagage possible, ce n’est même pas sûr qu’on arrive à lui donner la place... ça fait quand même pas mal de soucis... On se dit « Quand je ne serais plus là, est-ce qu’il va arriver à gagner sa vie, est-ce qu’il... » Et moi non plus, je n’ai pas des revenu...

• - Vous ne pourrez pas toujours assumer tout le monde ?... pas tout le temps...

• - On ne peut pas... Donc c’est pour ça que maintenant ça fait réfléchir d’avoir des enfants...

• (appel téléphonique)

• - Je vais vous laisser, ça fait un bon moment...

• - Eh bien, si j’ai pu vous apporter quelque chose...

• - Oui, c’est intéressant de voir un peu comment les gens se situent parce qu’il y a de nombreuses situations différentes finalement...

• - Oui, non seulement il y a des situations différentes, mais il y a la façon d’aborder la situation. Parce que face à la même situation, une peut sombrer, alors que l’autre peut toujours arriver à s’en sortir parce que...

• Mme Chesnais me fait alors par de ses croyances religieuses. Je ne la relance plus sur la question du travail et l’entretien prend fin sur cette discussion. Seuls quelques extraits directement en lien avec ma problématique sont retranscrits ci-dessous.

• - De toute façon, si on n’a pas quelque chose en quoi croire, tout s’effondre... C’est vrai, moi je ne suis pas catholique parce que la plupart des français sont catholiques, et d’ailleurs, moi, ça a fait beaucoup de bruit quand j’ai changé de religion.

• - Vous êtes de quelle religion ?

• - Je suis témoin de Jéhovah.... J’étais... Bon, j’ai arrêté à cause de ça. (Me montre sa cigarette).

• - Vous n’aviez pas le droit de fumer ?

• - Bon, il y a certaines règles de vie que vous n’avez pas le droit d’avoir, mais au fond de moi, j’ai toujours mon optique, c’est ça qui m’aide à vivre dans beaucoup de cas...

• - Vous n’en faites plus partie ?...

• - Je ne fais plus partie de la... la.... Société, de la... mais au fond de moi, je suis toujours...

• - Oui, vous avez gardé votre croyance en un Dieu...

• - Oui, j’ai... c’est peut-être pour ça que je suis très famille... Je vous dis, j’ai quand même galéré dans beaucoup de religions, j’ai fait pas mal de parallèles...

• - Oui, ça peut être une aide...

• - C’est pour ça que je dis que ce soit n’importe quelle religion, on a une croyance, donc cette croyance, elle nous pousse quelque part en avant... Par exemple, comme pour les catholiques, pour eux, le suicide c’est quelque chose d’horrible, parce qu’ils disent qu’on n’a pas le droit... Je ne sais plus parce qu’il y a tellement longtemps que je n’en fais plus partie. Disons que quand ils sont déprimés, parce que moi j’ai une copine catholique à fond, elle me dit « Je n’ai pas le droit parce que si je me laisse aller, c’est une forme de suicide et il ne me pardonnera jamais ». Donc automatiquement elle se bat par rapport à ça... Elle, c’est ça son optique, moi c’est autre chose... Donc c’est vrai que si on a une certaine croyance, même si ce n’est pas une croyance religieuse, une croyance en la vie, en l’avenir, on a toujours une croyance en quelque chose... autrement on ne vivrait pas... Parce qu’on vivrait pour quoi, si on n’avait pas un espoir au bout, quelque chose qui vous tient ?