2.6 M. Otavalo.

• Comme M. Bonnet, M. Otavalo a refusé d’être enregistré, ce qui suit est donc, comme pour M. Bonnet, la retranscription des notes prises lors de l’entretien et complétées juste après celui-ci.

• A arrêté pour des problèmes de santé. Le médecin du travail n’a jamais voulu le reconnaître inapte malgré les absences, la fatigue ; a du se mettre en arrêt maladie, puis en longue maladie pour « réussir à se faire mettre dehors ».

• Ce n’est qu’après ça que le patron a accepté de négocier un licenciement. Avant ne voulait pas en discuter même si ça ne l’engageait pas financièrement. Et M. Otavalo ne voulait pas partir sans licenciement pour avoir droit aux indemnités de chômage. A arrêté de travailler fin juin 1996. A fait une formation suite à un bilan de compétences.

• - Comment vivez-vous votre situation actuelle ?

• - « Oh, je ne suis pas un fan de boulot » donc satisfait (relativement) de sa situation actuelle. Le travail salarié ne lui convient pas.

• - « Comment vivez-vous le fait de ne pas avoir de travail ?

• - Si le travail c’est être salarié, je n’en ai pas, mais j’ai beaucoup d’activités... Alors si c’est ça bosser, je bosse autant que ma condition physique et mon état de fatigue le permettent. » A monté un SEL avec un ami (et s’occupe d’une association de [personnes handicapées]). Il vit avec une invalidité PI 1ère catégorie (2500 F) à laquelle s’ajoutent les indemnités chômage. M. Otavalo explique que la PI est cumulable avec le droit à travailler un certain nombre d’heures. Donc s’en sort sur la plan financier. Est hébergé par sa grand-mère.

• - Est-ce que ses activités lui conviennent ?

• - Ce n’est pas toujours tout rose, c’est comme dans tout, mais ça va. Le problème rencontré est le suivant : par moments sa puissance de travail est presque nulle et cela peut correspondre à un moment de réunion. Pour le SEL, pour arriver à le faire démarrer, il faut faire des réunions régulièrement, de la pub, du « public relation » comme on dit, des relations publiques. Il faut assurer : c’est très riche du point de vue humain : rencontre des gens de tout âge, de tout milieu.

• Avant travaillait [dans une autre ville de la région], ça n’avait rien à voir. Là, il faut organiser, gérer, faire de la pub. Avant, lorsqu’il travaillait, il n’avait pas le temps de s’investir dans des choses comme ça. « Il fallait déjà arriver à trouver le temps de dormir, c’était déjà bien ».

• Explique qu’il participe à l’organisation d’un réseau national des SEL pour voir comment ça fonctionne ailleurs et pouvoir se défendre. Association nationale Sélidaire. Explique que le premier SEL en Ariège vient de perdre un procès. Plainte des artisans suite à la réfection d’un toit. Selon les régions, attaques diverses : impôts, procureur, artisans,... donc doivent s’organiser. Autre projet : La route du SEL pour héberger des gens en voyage faisant partie d’un SEL régional. Lui s’est engagé à participer à une université d’été. Il n’est pas vraiment d’accord sur le nom, mais peu importe, c’est beaucoup de travail pour la logistique...

• - Sans ses problèmes de santé aurait-il pu faire ce choix de vie ?

• - Problèmes de santé comme « facteur aidant » parce que financièrement n’aurait pas pu. Mais s’ennuyait dans son travail. A un BEP. A fait pas mal de petits boulots quand il était jeune, comme tout le monde : la plonge... après électricien pendant 12-13 ans dans différentes boites.

• A longtemps pensé se mettre à son compte pour ne pas avoir un patron sur le dos mais cela demande de beaucoup trop donner pour ne gagner presque rien. A un copain qui a fait le pas et qui a de grosses dettes. Il vaut mieux jouer au loto.

• - Pourquoi la formation de commercial, il avait l’intention de travailler la dedans ?

• - Pas spécialement envie, mais cela faisait longtemps qu’il était dans les entreprises et il était intéressé par l’organisation des entreprises, et c’est un aspect qu’il a pu travailler en formation.

• Et puis cela suivait un bilan de compétence. Les tests montraient à 80% un esprit chercheur , 50% commerce. Les psychologues lui avaient dit qu’il n’était pas fait pour le commerce, mais avec son niveau BEP, pas moyen de faire de la recherche. Il n’y a pas d’école de chercheurs, alors a pris le commerce. « Et puis, je suis curieux, ça me permettait de découvrir un nouveau domaine de compétences ». Se décrit comme quelqu’un de curieux de beaucoup de choses. N’approfondit pas. Ne se passionnera jamais pendant 10 ans pour la même chose. A besoin de choses variées. Et c’est une des choses qu’il reproche aux métiers d’aujourd’hui : trop spécialisés. Sur son dernier poste, ne s’occupait plus que du [câblage d’armoires électriques]. D’ailleurs, n’allait pas bien après 10-12 ans de boulot, était quasiment en dépression nerveuse. Il n’y a pas que ça qui a joué, mais en partie.

• Explique aussi l’influence d’un essai thérapeutique pour un nouveau médicament [qui aurait pu diminuer ses douleurs]. A l’époque, on ne connaissait pas tous les effets du médicament, maintenant on ne donne plus ce genre de produit à des personnes fragiles sur le plan psychique. Il faut avoir un psychisme en béton. Donc causes multiples à sa dépression. A un naturel dépressif, mais bien moins aujourd’hui, maintenant qu’il ne travaille plus.

• Et puis, de toute façon, la contrainte de se lever tous les jours à 6 heures ne lui convenait pas. Est capable de se lever à 5 heures de temps en temps mais pas systématiquement : « C’est trop comme une horloge ». N’est pas « réglé sur du papier à musique ». Dit qu’il a un comportement assez anarchique. [X]

• - Est-ce qu’il y a des choses qui ne le satisfont pas dans sa situation actuelle ? Qu’aimerait-il changer ?

• - Oui, il aimerait être plus riche pour aller faire de la voile en Bretagne, également avoir une meilleure santé.

• - Que pense son entourage du fait qu’il n’a pas d’emploi ?

• - Quand il a arrêté de travailler, à quitter la [ville où il travaillait] pour revenir dans sa [ville d’origine] et ici il côtoie surtout des gens sans emploi, par le SEL. Parmi ceux qui travaillent, certains sont jaloux de le voir « peinard, tranquille ». N’aurait pas pu rester sans travailler [dans la ville où il travaillait] parce qu’il ne connaissait pas trop de monde. N’aurait pas su quoi faire. Il supportait la ville, c’est tout. Ici, peut s’investir, en 10 minutes est dans la nature, peut se balader, se détendre, cueillir les champignons...

• - Le fait d’être célibataire a rendu les choses plus simples ?

• - « Oui, avec une femme et deux enfants (se reprend, ne sait pas pourquoi il imagine forcément une famille comme ça), c’est plus difficile de déménager à quatre. Si j’avais une femme, je pense qu’elle aurait un revenu... je ne sais pas... » Connaît des gens qui sont coincés sur Paris, qui ne peuvent pas revenir...

• Evoque les discours de la télé sur l’insertion. Dit que ça le rend dingue, ne comprend pas ce discours. « Je me sens inséré, je n’ai pas besoin d’être inséré dans une société dont je fais partie, forcément, puisque j’en suis un des éléments de base. »

• - Je lui fais remarquer que ce n’est pas seulement un discours médiatique, que des personnes se décrivent comme exclues, tournent en rond...

• - Pense que c’est lié à la ville où l’on n’a rien à faire. Les gens qu’il voit vivent très bien leur chômage, ne s’en portent pas plus mal, au contraire. Beaucoup de gens font des petits boulot pour toucher des indemnités chômage après... C’est tout. Mais c’est vrai que pour certains, le travail, c’est leur faire-valoir, c’est là qu’ils s’expriment. Pour lui, c’est plutôt un étouffoir. Ajoute en riant « Et puis, de toute façon, je ne peux pas travailler, je ne pourrais pas emmener mon chien pisser ! ».

• Mais reconnaît qu’il faut arriver à s’organiser tout seul. Il faut se dire « Aujourd’hui, je vais faire ça, pas rester à glander devant la télé. On a vite fait de devenir un glandeur professionnel ». Lui, a toujours quelque chose sous le coude, parce que le boulot, dans une maison, ce n’est pas le problème, il y en a toujours. Mais c’est vrai qu’il y a des jours où il n’a rien envie de faire. Les jours où il est fatigué à cause de [son hernie].

• - Du coup, profite des moments où il va bien pour faire des choses ?

• - Oui, mais c’est bien d’avoir des obligations. Les rendez-vous pour les associations, il n’est pas pris tous les jours comme aujourd’hui (a eu un rendez-vous le matin, un avec moi et un le soir), mais il a des obligations parce que les choses sont fixées à l’avance : « il y a des obligations qui font que je suis obligé de me secouer à des moments où je n’en aurai pas envie ». « Il y a eu une période où pendant deux mois ça n’allait pas. Je n’arrivais plus à me lever. J’ai demandé à l’ANPE de faire un mini-bilan de compétences. Comme ça, pendant deux jours, ça m’a obligé à me lever, à ne pas dormir jusqu’à midi et ça m’a aidé à repartir. C’était une période où j’avais un gros coup de pompe. J’avais pris un rythme où je dormais beaucoup et j’ai eu beaucoup de mal à casser ce rythme. Dans ces moments-là, si je me forçais tout seul à me lever, je me réveillais gazé. sans obligation, je ne faisais rien et j’étais gazé jusqu’à midi. Ce n’était pas mieux que dormir toute la matinée. Le mini-bilan, ça ne m’intéressait pas pour le contenu, j’avais fait la même chose en bilan de compétences et en formation, mais c’était le moyen de retrouver un rythme. »

• « Ça me fait mal au coeur que des gens cherchent vraiment du boulot et que moi on m’emmerde... » On lui demande régulièrement des justificatifs de ses recherches... Le jour où le chômage va s’arrêter, ça va faire une grosse différence. Va passer de 7 200 F à 3 300 F. Il envoie les justificatifs puisqu’il le faut. « Mais en fait, c’est vrai je recherche du boulot, je cherche une branche d’activité adaptée à mon handicap, à temps partiel, mais pas tous les matins ». Moments où il est fatigué, d’autres non. Il faudrait un travail à la tâche, établir quelque chose en tant de temps... Cherche sur Internet, mais les justificatifs sur internet... « Oh, puis en fait, je ne cherche pas beaucoup. On a vite fait de dévier sur autre chose quand on est sur Internet. »

• - Comment voit-il son avenir ?

• - Ne sait pas trop... « J’ai envie de faire chier le monde !... » (rire). Créer une association pour fouiller dans les comptes de la Sécu, savoir ou l’argent passe... Avec tout l’argent qu’il y a, il y a forcément des magouilles. A une dent contre la Sécu à cause du médicament testé. Beaucoup d’argent est là dessus alors que c’est une molécule dont l’effet est très contestable. Rien a côté, pas d’autres recherches. Alors que ça tourne en rond... Pas d’effet, mais ils continuent. Les entreprises pharmaceutiques sont représentées au CA de la Sécu, et influencent les choix des programmes. Sans le médicament, il n’aurait pas son statut actuel à la Sécu. « Si j’avais refusé les soins classiques, ils auraient dit que je ne voulais pas me soigner et je n’aurais rien eu. » C’est un moyen de piéger, de contrôler.

• Des idées pour l’avenir, il en a... mais rien sous le coude, là... « Je ne me souviens plus. L’objectif dans un proche avenir, c’est de développer le SEL et à plus long terme, avoir une maison plus tranquille, avec deux ou trois bestioles, hors de la ville. »

• - D’où lui vient ce goût pour la tranquillité ?

• - « Ben, je suis célibataire... J’ai besoin de longs moments de solitude. Je me ressource plus en forêt qu’en ville (rire). J’aime avoir devant moi, un pré, des bestioles qui courent. Aller chercher des oeufs quand j’en ai besoin. »

• - Besoin de beaucoup d’indépendance ?

• - Oui, très indépendant, ça va même jusqu’à des idées autarciques. Ne veut pas se passer de la société complète, mais être en marge de la Sécu, des hypermarchés.

• - Pourtant aime le contact puisqu’il s’investit dans des associations...

• - Oui mais n’aime pas les contacts permanents. Tout comme il est capable de faire des boulots très désagréables, s’il sait que ça va s’arrêter, qu’il y en a pour 15 jours par exemple. Avoir un CDI dans une entreprise, pour lui, c’est comme « en prendre pour perpette ». Ne se laissera pas de nouveau enfermer dans un CDI. S’est laissé piégé une fois avec le patron qui ne voulait pas le laisser partir. Le gouvernement ne voit que par les CDI, mais c’est un piège, on n’a pas le chômage si on veut partir, on n’a pas la possibilité de négocier une augmentation. L’entreprise où il était ne voulait pas le renvoyer, c’était une atteinte à leur image de marque (pas un problème financier). « Moi, je voulais partir, mais eux ne voulait pas me renvoyer, ou uniquement pour faute ! » On dit que la liberté est dure à vivre, mais je préfère que ce soit dur, mais que ce soit moi qui décide.

• - Pourquoi ces deux associations ? Est-ce important qu’elles soient utiles ? (Par rapport à une association de dessin par exemple ?)

• - L’utilité ?... Si c’est un choix, il n’est pas conscient, il n’y avait pas pensé... Association de personnes handicapées, il l’est, donc ça se comprend facilement. Le SEL, c’est un choix politique, la motivation est politique, elle est venue à force d’en parler, c’est tout. Dans la forme, c’est une autre chose. Pour les choses personnelles, n’a pas besoin d’association, les fait tout seul. S’est intéressé à l’astronomie par exemple. A pris des bouquins et a appris tout seul, il ne va pas chercher ailleurs. Se rappelle qu’il a été membre d’une association de yoga pour essayer de récupérer et que ça lui avait fait du bien. Autrement, quand il était dans la [ville où il travaillait], avait fait [du sport] pour nouer des relations sociales. Mais s’est vite aperçu que ça ne permettait pas de nouer des relations, en plus avait des problèmes d’horaires avec son travail.

• « J’ai habité pendant un moment chez un copain. La journée on travaillait de droite, de gauche, et le soir, on buvait le rouge et on discutait. On a eu des projets de jouets en bois, d’entreprise, mais c’est tout tombé à l’eau et il fallait bien faire quelque chose. »

• Lui revient en mémoire à ce moment là une association qu’il a sous le coude : Association visant à utiliser des matériaux Bio dans le bâtiment et à expliquer comment les employer... A déjà contacté des fournisseurs, est allé dans des salons. Doit déjà se former lui-même. Projet bien élaboré dans sa tête. A pris contact avec la Maison de l’écologie [de la ville où il travaillait]. Lors du dernier contrôle des ASSEDIC, leur a « sorti cette sauce-là » et cela a convenu. Ils veulent des adresses, a donc mis le nom de toutes les personnes contactées. « Je ne leur ai pas raconté de bêtises, j’ai donné toutes les adresses. »

• - Est-ce qu’il pense que ça va se concrétiser ?

• - A besoin de trouver des partenaires motivés et besoin d’avoir confiance.

• - Pour le SEL, a bien réussi à passer au stade concret.

• - Le SEL, c’est plus facile, les médias sont partant. Deux articles dans le journal régional. Au début il n’y a eu qu’un article dans un journal local, une seule personne les a contactés du fin fond du département, plus deux ou trois copains, et chaque copain en parle à d’autres... ça se fait tout seul. Ce qui est difficile, c’est de doper les échanges, de faire un véritable troc. Le relationnel marche très bien, les gens sont contents de venir aux réunions, de manger ensemble, mais pour les échanges, c’est plus difficile. [Dans le département], les gens ne sont pas vraiment dans le besoin, c’est riche. En Ariège c’était nécessaire, car il y a beaucoup de gens au RMI, donc le SEL permet de boucler les fins de mois.

• Ici c’est plus par conviction, c’est politique, philosophique, idéologique, c’est plus le côté entraide, et puis il y a le problème de la légalité...

• Du coup, n’a pas beaucoup de temps pour s’occuper de son projet d’association Bio.

• - Quelle était la place du travail dans son éducation ?

• - Va avoir du mal à répondre à ça. C’est le trou noir sur une bonne partie de son enfance, Pense qu’il était déjà dépressif. Son père était artisan. « Lui, il travaillait, moi je n’avais pas grand chose à voir là dedans. J’étais exclus du travail de mon père. J’étais à la maison avec les femmes. Les seules choses que j’entendais c’était du style : “Au boulot, il me fait perdre du temps”. C’est tout ».

• Trouve dommage qu’il y ait une vie bien séparée entre la vie de travail des parents et les enfants. Dans le temps, quand il y avait beaucoup d’agriculteurs, les enfants étaient au boulot avec leurs parents. Ils les voyaient.

• Sa mère a travaillé un moment dans un commerce, avec sa grand-mère.

• - Je lui explique les raisons de ma question sur la place du travail dans son éducation : A-t-il de la culpabilité à recevoir de l’argent sans avoir travaillé ?

• - « Moi je n’ai vraiment aucune culpabilité par rapport à ça. Je ne me culpabilise pas du tout. Les attaques du style : “Tu es à la charge de la société, on paye pour toi” ne me blessent pas, au contraire, elles me mettent en colère. J’ai été volé pendant des années en payant des charges excessives, si je peux en récupérer un peu maintenant, c’est bien légitime. (...) Les gens qui pensent toucher de l’argent pas mérité, ils ne se posent pas la question, quand ils ont un plan d’épargne logement ou des intérêts sur les SICAV. Là ils ne se culpabilisent pas, mais ce n’est pas de l’argent gagné à la sueur de leur front. »

• - C’est plus lointain ? Même raisonnement pour le revenu d’existence ?

• - « Moi, je trouverais ça normal, un revenu d’existence. On fait partie de la société, on en est un élément de base, ça serait normal qu’on touche quelque chose. Comme un actionnaire dans une société, dans la mesure où il est un élément de base... C’est pour ça qu’il ne donne jamais au Téléthon, parce que quand ils font des bénéfices avec l’argent donné, ils ne les redistribuent jamais. Pour lui, mathématiquement, l’idée de s’insérer dans un groupe dont on est un élément de base est vraiment aberrante. Pense qu’il y a une aliénation par le salariat qui fait que les gens se sentent exclus. Et puis, il y a la maladie de la consommation, c’est quelque chose de très récent dans l’histoire de l’humanité. Dans le temps, quand on voulait faire une maison, on n’allait pas à « la boîte à outils », on allait à la carrière tirer des câbles pour descendre des cailloux. »

• - Les maths. Pourquoi a-t-il fait cette formation ?

• - Explique que de 18 à 22 ans, a eu de gros problèmes de drogue ; chite, acide... A arrêté tout seul et s’est mis à boire, un an d’alcool, ça a été le pire de tout. N’arrivait plus à parler tellement il buvait. A l’armée, a été pris pour une désintoxication, camp semi-disciplinaire en Allemagne. Même avec la bière qu’il volait au mess, il ne pouvait pas se saouler, donc s’est sevré petit à petit. Au bout d’un mois, a commencé à réfléchir et a décidé de refaire des études : Maths et informatique, puis maths pures jusqu’à un niveau bac+1, à la fin, il ne faisait plus que des maths, plus que pour le plaisir. Avait laissé tomber le reste, la physique... Mais pour revenir à son éducation, c’est vrai que c’était l’ambiance catho : tout travail mérite salaire, mais il faut aussi mériter son salaire. Pense qu’il a pris le contre-pied de toutes les idées de sa famille. S’il y a eu beaucoup de problèmes de drogue, c’est bien qu’il y avait un problème avec eux. D’ailleurs encore aujourd’hui, évite de parler de politique avec son père parce que ça hurle.

• S’il avait plus de fric, aurait acheté un voilier, une baraque, mais c’est un trop gros budget pour lui. Pour le reste, les belles bagnoles, n’aime pas, enfin, s’il en a une tant mieux, mais ce n’est pas un problème de ne pas en avoir... Si, aimerait avoir une gouvernante parce que n’a pas envie de faire le ménage et mangerait mieux. Ne cuisine pas pour lui tout seul.

• - Certaines personnes ont l’impression de ne pas utiliser leurs capacités.

• - « Moi, c’est le contraire. Au boulot, je m’ennuyais pas. J’avais l’impression de n’utiliser que 10 % de mes compétences. Et en plus, celles que j’utilisais, j’arrivais à ne plus les aimer, parce que j’en avais marre de les utiliser. » Je m’éclate plus maintenant, c’est ce que je disais à la dame de l’ANPE (personne qui s’occupait du mini bilan de compétences) : « les gens qui s’éclatent dans leur boulot, vous en connaissez vraiment ? ». Parle d’une entreprise nouvellement installée qui embauche pour du travail à la chaîne, payé 4 000 F. « Pour moi, ces conditions, là c’est de l’esclavage, mais les gens se battent pour avoir une place. Je ne comprends pas.... Je leur ai dit très clairement à l’ANPE, moi, je ne cherche pas du travail, mais des moyens de subsistance, ce n’est pas pareil. Mais il y a des trucs qui sont très ancrés dans la tête des gens. Je travaille donc je suis. » Lui ne pourrait pas faire tourner une boîte, la faire démarrer oui, et puis passer le relais à quelqu’un d’autre. Aime organiser... Cela rejoint l’esprit de recherche révélé au bilan de compétences. Aime mettre en place.

• - Comment se présente-t-il quand on lui demande ce qu’il fait ?

• - « Je ne fais rien. Je suis au chômage ou je glande. Ça dépend qui le demande. L’autre jour j’ai dit : “Je suis directeur de je ne sais quoi”. Ça impressionne. Mais quand je bossais, c’était déjà comme ça, c’était difficile de dire ce que je faisais.... Difficile de se mettre dans une catégorie. »

• - Comment pense-t-il que la société va globalement évoluer par rapport au chômage ?

• - Ne sait pas trop. Mais certainement conflit entre l’Europe économique et les autres systèmes que se mettent en place. Donne l’exemple de la récupération des produits Bio par les grandes sociétés. Ils savent qu’il y a de l’argent à faire, donc ils veulent produire en masse du Bio, donc détruire le Bio... Mais il y a des mouvements économiques aux Etats-Unis qui commencent à apparaître avec l’idée que ça ne sert à rien de gagner plus, mais qu’il faut apprendre à dépenser moins, donc des choses qui vont dans le sens d’un système autarcique. Dit que chez lui, il y a finalement beaucoup de choses qui ne sont pas indispensables. Il ne peut pas vivre comme un ermite, mais...

• Parle du discours politique sur la croissance, même si les hommes politiques savent qu’au niveau économique c’est faux, la croissance ne peut pas durer toujours.

• C’est triste de penser que pour certaines personnes, il n’y a que le travail qui compte...

• - Ne pense-t-il pas que son point de vue est lié à des lectures, des connaissances, des références que tout chômeur n’a pas ?

• - Ne pense pas que c’est un problème de connaissances, mais d’imagination, d’avoir été confronté à des situations où il faut se débrouiller tout seul. A un copain qui a fait de longues études : jusqu’à l’agrégation d’anglais. Il n’a jamais quitté l’école, pour lui c’est un peu comme Papa - Maman, il y a toujours une instance qui lui dit ce qu’il faut faire. Serait perdu s’il n’avait pas ça. Par contre, quand on a été confronté dans l’enfance à des situations où il faut imaginer. C’est pour ça qu’il n’aime pas le système scolaire actuel, avec la passivité de l’élève. C’est son côté rebelle, anarchiste. Essaie toujours de voir les choses à l’envers. Pense que c’est en lien avec son histoire de défonce : la drogue est très positive du côté imaginatif, même s’il y a beaucoup de côtés négatifs. On sait qu’on peut aller plus loin parce qu’on l’a déjà fait. On ne se limite pas à ce que l’on sent, voit ou entend.

• Dit que dans l’histoire de l’humanité, on parle souvent du rôle de la main pour la découverte et la possibilité d’aller plus loin. Pense que la drogue aussi a eu son rôle...

• Est allé l’été dernier faire le tour de certains départements pour chercher une maison où s’installer : Creuse, Corrèze, Aude, des endroits où on peut se loger pour très peu.

• Demande si je connais [un responsable d’association de chômeurs qui se présente à toutes les élections]. Avait eu l’impression qu’il cherchait le pouvoir pour lui, qu’il était prêt à n’importe quoi pour atteindre son objectif. Alors qu’eux [les membres du SEL] essaient de faire les choses avec leur conscience, ne pas faire n’importe quoi.

• L’entretien se termine sur des questions de M. Otavalo sur l’avancement de ma thèse. Le recueil des données lui fait penser au travail de Théodore Monod qui parcourt les déserts à la recherche de pierres ou d’autres trésors. Il me parle de son admiration pour ce personnage.