Postulat et hypothèse de recherche

  1. La citoyenneté est un concept politique occidental qui, une fois bien appris, acquis et adopté par les Rwandais, pourrait les aider à résoudre leurs conflits socio-politiques, qui deviennent interminables.
  2. L'éducation (formelle, informelle et non-formelle) est le moyen par lequel la citoyenneté sera instaurée chez les Rwandais.

D’emblée, une question se pose à partir du premier postulat: faut-il imposer des conceptions politiques étrangères? Depuis que les pays d'Afrique ont été colonisés, les conceptions politiques occidentales sont présentées aux africains comme des modèles à suivre et elles leur ont été petit à petit imposées. Après les indépendances, les pouvoirs africains n'ont pas cessé de baser leurs discours politiques sur ces conceptions occidentales, apparemment adoptées, sans toutefois être mises réellement en application. Ces conceptions se rapportent entre autres à l'Etat, à la Nation, à la République, à la démocratie et à la citoyenneté. Ces notions étaient-elles appropriées à la gestion des sociétés africaines ?

Pour ce qui est du Rwanda, son évolution socio-politique suscite beaucoup de questionnements, quant à l’adoption et à l’intériorisation des notions d’Etat-Nation et de citoyenneté dans sa politique. Les Rwandais étaient-ils convaincus de la nécessité de changer leurs mentalités politiques en faveur d’une citoyenneté nationale ? Le refus du partage de pouvoirs ayant été régulièrement à l’origine de conflits sanglants au Rwanda, la notion de citoyenneté à base nationale n’était-elle pas une option politique idéale pour les Rwandais ?

Introduites par les colonisateurs et maintenues par les autorités indépendantes, du moins théoriquement, les notions de ‘’nation’’ et de ‘’citoyenneté nationale’’ n’ont pourtant pas apporté aux Rwandais la cohabitation, le respect mutuel, le développement collectif et la paix qu’ils en attendaient. Ces attentes étaient-elles fondées ? Pourquoi n’ont-elles pas été atteintes ?

La conviction de Chain Hou-Chan est aussi la nôtre: ‘“ Du fait qu'elle constitue le principal élément moteur du changement social et économique, l'éducation peut contribuer, dans une très large mesure, à souder les éléments disparates qui composent une société multiraciale ou, au contraire, constituer un processus qui, par des voies souterraines, aura, à dessein ou non, pour effet de renforcer ou d'aggraver les divisions et les tensions existantes’ 1  .

Nous nous sommes demandée pourquoi les nouvelles institutions politiques, introduites au Rwanda par les colonisateurs, n’ont pas apporté aux Rwandais ce qu’ils en attendaient. Autrement dit, les divisions qui caractérisaient la société rwandaise traditionnelle n’ont pas trouvé de solution dans les nouvelles institutions. La raison ne s’en trouverait-elle pas au niveau de l’éducation ou de la préparation de la population à ces nouvelles notions ? Celle-ci a-t-elle bénéficié d’un encadrement et dd l’apprentissage requis par ces concepts nouveaux, qui devaient désormais conditionner sa vie ?

Le passage des institutions socio-politiques traditionnelles aux institutions politiques modernes suppose un changement profond des mentalités, des comportements, du système des valeurs. Cela demande la destruction d'un certain nombre de structures mentales, pour en construire d'autres. Cela demande un changement de convictions, une philosophie de la vie, qui requièrent un encadrement, un apprentissage, une éducation 2 . Il fallut donc éduquer les peuples colonisés aux nouvelles institutions et, pour ce qui nous concerne, il faut éduquer les Rwandais, enfants et adultes, dirigeants et dirigés, à la "citoyenneté rwandaise". La question fondamentale de ce travail, notre problématique, c’est en définitive de savoir si une éducation à la citoyenneté aurait pu remédier aux conflits qui ont affecté le Rwanda en 1994 et si elle pourrait en prévenir la réactivation.

Notes
1.

CHAIN HOU-CHAN. Planification de l’éducation pour une société pluraliste, Unesco, Paris, 1971

2.

RODINSON (M.). Nation et idéologie. Encycopédia Universalis, 16, Nations-Orchidales, Paris, p.16