1.2.2.2. Les dernières annexions du Rwanda actuel (au 20è s.) : le Nord et l’Ouest

Les populations dont les Etats ont été annexés récemment au territoire du Rwanda ont un certain regret ou ressentiment, comme le montre Nahimana 12 à partir des entretiens qu’il a menés avec certaines d’entre elles. Par exemple, elles disent :

- “ Actuellement nous voulons que notre histoire soit dite, que nos vieux livrent leurs connaissances et que tout soit connu. Il faut que nos enfants sachent toutes nos valeurs car sans cela ils risquent d'avaler la culture des Blancs et de penser que nos ancêtres n'ont pas travaillé, qu'ils n'ont pas créé de bonnes choses. Il faut que tout le monde sache comment nos pays, dans cette région, ont été constitués et dirigés pendant des milliers d'années par les abami hutu avant de succomber sous la gouverne combinée des Blancs et des Tutsi; il n'y a pas longtemps!...”’ ‘- “ Je suis baptisé, ma femme également et même mes enfants. Les Pères Blancs et d'autres Blancs ont aidé les Tutsi à évincer nos abami qui nous donnaient la pluie et garantissaient la fécondité. Ils ont installé les Tutsi qui nous ont forcés à cultiver pour eux et qui nous ont contraints à nous soumettre à tous les étrangers même à des petits hommes chétifs qui sont blancs. Depuis, on a parlé d'un seul mwami dans tout le pays. Résignés, nous avons cessé d'appeler les abami hutu d'ici abami; ils ont été dénommés abahinza. ”’

Pour les régions étudiées par F. Nahimana, les populations semblent partager les sentiments négatifs qu'ils ont gardés de l'annexion de leurs "pays" au Rwanda du 20ème siècle. Le colonisateur a donc forcé l'unification des Etats, qui ont formé le Rwanda actuel, sous un même gouvernement central. Ce n'est pas parce qu’ils avaient compris l'utilité (économique, politique, sociale...) de se réunir en un seul Etat qu'ils ont accepté la soumission ; c'est parce qu'ils étaient faibles militairement; ils ne pouvaient donc plus résister.

L'étude de F. Nahimana signale même l'existence de rancune chez les populations victimes des expéditions de conquête de leurs Etats. Il écrit que, depuis la fin du 19ème siècle jusqu'à la fin des années vingt, les populations ont vécu un cauchemar presque perpétuel, dont l'élément mentalement dominant fut l'expédition militaire mené de concert par le pouvoir colonial et le pouvoir tutsi. D’autres maux étaient vus comme "justes" conséquences ou résultats de cet élément-expédition. Celui-ci fut sans aucun doute une des causes des relations socio-politiques et administratives peu aisées entre les populations du nord, du nord-ouest et les représentants indigènes du pouvoir colonialo-nyiginya. En effet, ces derniers étaient vus comme de véritables inzigo (= meurtriers d'un parent), sur lesquels, sans la peur du fusil et de la prison du Blanc, il fallait exercer la loi de la vengeance dans le cadre de la vendetta. 13

Notes
12.

NAHIMANA (F)., Emergence d'un Etat, l'Harmattan, Paris, 1993, pp. 20-23

13.

NAHIMANA (F). op-cit., p. 282