1.3.2. Du point de vue socio-culturel

Au point de vue socio-culturel, certains auteurs n'établissent aucune différence entre les pratiques des Hutu, des Tutsi et des Twa, alors que d'autres y mettent des nuances. “  ‘Au-delà de la langue, écrit F. Imbs , les Banyarwanda se reconnaissent tout un ensemble de pratiques sociales et culturelles analogues : divisions du temps et de l'espace, règles de convivialité, proverbes et malédiction, contes et chants des veillées, rites de mariage et de funérailles, culte familial des ancêtres, etc.. Des formes plus élaborés et plus sélectives de l'activité religieuse telles que le culte de Lyangombe regroupent des initiés qui sont indifféremment Hutu, Tutsi ou Twa. Les Rwandais sont très fiers de la richesse de leur littérature orale, qui relève de genres très divers, et nul ne songe à exclure des programmes scolaires, destinés à tous, les poèmes pastoraux que l'on pourrait imaginer être l'apanage des Tutsi. La culture matérielle, continue-t-elle, n'est pas en reste de convergences. Rien ne distingue, en matière de techniques, les cultivateurs et éleveurs Hutu de leurs voisins tutsi. Ils partagent aujourd'hui le même héritage, multiséculaire et sans cesse enrichi. Ils cultivent les mêmes plantes, élèvent les mêmes races animales, disposent du même outillage. Et pour tous, la bière de banane est la boisson la plus riche de signification sociale ”’ ‘ 16 ’ ‘.’

En 1962, Marcel D'Hertefelt avait relevé l'existence de variations culturelles sur le territoire rwandais. Serait-on autorisé à dire que, avec le temps, ces variations auraient disparu? Pour répondre à cette question, il faudrait s'appuyer sur des études spécifiques à chaque région et à chaque ethnie, mais nous n’en disposons pas maintenant. Néanmoins, certains témoignages actuels tendent à confirmer la position de D'Hertefelt. “  ‘La culture du Rwanda, écrit-il, n'apparaît pas comme un bloc monolithique, bien qu'une description générale, valable pour tout le pays, puisse être donnée. On peut considérer qu'il existe deux ordres de variation : les variations dans l'ordre vertical, qui concernent les différences d'une caste à l'autre, et la variation dans l'ordre horizontal, la plus importante, qui concerne les différences régionales par rapport au pattern culturel du Rwanda central. Ces deux ordres sont corrélatifs et sont fonction de l'histoire. Au fur et à mesure qu'on se rapproche de la culture du Rwanda central où l'emprise de la caste supérieure a été la plus profonde et où l'acculturation entre les groupes, en particulier tutsi et hutu, a également été la plus intense, les différences culturelles entre les castes se réduisent pour une large part. Dans les régions périphériques, au contraire, où l'administration centrale n'a pu réaliser les mêmes normes culturelles qu'au centre et où, en général, l'équilibre démographique des castes diffère beaucoup de celui du Rwanda central, la variation culturelle s'accroît ’ 17 .

En 1993, F. Nahimana, historien rwandais, va dans la même ligne que M. D'Hertefelt quand il compare ‘’i Mukenke’’ et ‘’mu Nkiga’’. ‘“ Sur le plan culturel, la zone dite "i Mukenke" (=expression qui référait à des régions politiquement dominées par le pouvoir nyiginya, à savoir surtout le centre, l'est et le nord-est du Rwanda actuel, donc l'aire géographique de basse et moyenne altitude, des plateaux centraux, des plaines de l'Est et du nord-est) est opposée à la zone dite "Inkiga" (= les régions de haute altitude du nord, du nord-ouest et de l'ouest, qui s'étaient farouchement levées contre la pénétration du pouvoir nyiginya). I Mukenke fut utilisé pour désigner les régions habitées par (disait-on) des populations aux moeurs raffinées, versées dans l'art de dire et de combattre, tandis que Inkiga désignaient les domaines des montagnards frustes ou barbares. Aujourd'hui, cela est entré dans le langage courant et on entend dire: ‘’ni umunyamukenke ou umunyanduga ( les deux expressions signifiant la même chose dans le parler courant et populaire) = quelqu'un avec des manières fines sachant bien vivre dans la société’’; ‘’ni umukiga= c'est un montagnard éloigné de la "vraie" civilisation; il manque de manières’  ” 18 .

Notes
16.

IMBS (F) & coll. op-cit, pp. 248-249

17.

HERTEFELT(D’) (M). op. cit., p. 23

18.

NAHIMANA (F). op. cit., p. 112