1.3.3.1. Différences

Anicet Kashamura 19 s'est penché sur le caractère des Hutu, des Tutsi et des Twa ; il observe que :

  • l’orgueil des Tutsi n'a pas son pareil ; le Tutsi se considère comme la mesure de toute chose. Tous ceux qui ne lui ressemblent pas, fussent-ils européens, sont des barbares (inyamaswa); il dispose d'une collection d'injures mordantes pour exprimer son mépris: ibisimba, insectes piquants c'est-à-dire sous hommes; inyamaswa, civette, personne mal élevée et grossière; mushi, paria, homme sans honneur, mangeant n'importe quoi; twa, pygmée, c'est-à-dire clochard, hippie. Le Tutsi parle peu. Actes, gestes, paroles, tout chez lui est pesé et concerté. Il est secret, hautain et supporte mal d'être commandé. Il est d'un tempérament doux et peu violent, mais il vise toujours la place la plus haute. Dès leur plus jeune âge, les enfants tutsi sont imprégnés de cette mentalité, et leur ambition la plus vive est d'incarner les vertus de leurs parents.
  • Le Hutu, quant à lui, est un homme beaucoup plus ouvert, même si, par snobisme, il imite parfois le comportement tutsi ;
  • S’agissant du Twa, il est vif, spontané, colérique, ne se laisse pas impressionner par l'attitude majestueuse et réservée des Tutsi. Il ne garde pas le secret de ses relations intimes, volontiers, il adopte un langage provoquant et bizarre, différent des autres... Il arrive que les hommes des grands lacs considèrent les autres Africains comme des Twa, à cause de leur vivacité et de leur exubérance, mais aussi à cause de certains traits morphologiques.

Dans le langage courant, on sent que les Rwandais ont intégré ces différences et les vivent sans trop se poser de question. Cela peut se remarquer dans les proverbes usuels ou dans les causeries rapportées par les parents ou les grands parents à leurs enfants. Par exemple, sur le plan ethnique, il n'est pas rare d'entendre les expressions ou proverbes :

  • Abatutsi basekesha amenyo ku mutima hafunze, (les tutsi rient avec les dents alors que leur cœur est fermé).
  • Abatutsi bariyemera, ni ba "batigaya ubuke", (les tutsi sont vaniteux, leur petit nombre ne leur dit rien).
  • Abatutsi ni inyanda, barinemfaguza, (les tutsi sont paresseux et ne mangent pas tout).
  • Umuhutu ahora yisuzugura, yipfobya = le hutu vit dans un complexe d'infériorité: il sait qu'il n'est pas intelligent, il n'est pas beau, il n'est pas digne de ceci ou cela, etc... Mais, il sait qu'il est travailleur ("umukozi").
  • Umuhutu akunda kurya, (le muhutu aime manger).
  • Utuma abahutu agira benshi, (celui qui commissionne les hutu en multiplie les messagers).

Sur le plan régional, il n'est pas rare non plus d'entendre dire que les Bakiga (habitants des hautes montagnes) mangent beaucoup, sont sales, brutaux, primaires, très forts, aiment les femmes etc.., tandis que les Banyanduga (habitants du centre) sont qualifiés d'hypocrites, paresseux (inyanda). Les Baganza sont pris pour hypocrites également et pour des gens qui ne supportent pas "agasuzuguro" (= le mépris, se sentir diminué). Les Bashi (extrême sud-ouest) aimeraient trop la viande.

Ce que l'on peut remarquer, à défaut même d'une étude approfondie dans ce domaine des représentations sociales, c'est une sorte de transfert: les caractéristiques attribuées jadis par les Tutsi aux Hutu de façon péjorative, ont fini par prendre une dimension régionale. Ainsi, les Hutu du Nduga auraient traité les Bakiga comme les Tutsi l'auraient fait pour les Hutu en général.

Notes
19.

KASHAMURA (A). Famille, sexualité et culture. Essai sur les mœurs sexuelles et les cultures de peuples des Grands Lacs africains. Paris, Payot, 1973, pp.48-50.