1.3.6.1. Les Etats Hutu

Assises du pouvoir

D'après l'ouvrage de F. Nahimana 38 , les assises du pouvoir des rois hutu étaient de deux ordres : les piliers et les insignes. Pour les rois des anciens royaumes du nord, du nord-ouest et du sud-ouest, les piliers étaient essentiellement :

  • la terre, en tant que propriété foncière et en tant que territoire sur lequel s'exerçait l'autorité des abami;
  • les hommes, en tant que guerriers, conseillers, alliés et, dans une certaine mesure, en tant que force de travail et de production;
  • les attributions magiques et/ou religieuses, permettant aux abami d'apprivoiser les forces naturelles et surnaturelles et d'être les intermédiaires attitrés entre leurs peuples et l'univers invisible habité par un Etre suprême Imana (= peut être le Dieu des chrétiens) et tous les membres morts de leur société.

Comme insignes du pouvoir, ces rois avaient : imbuto (- semences), ingoma (tambour - emblème), ingwe (léopard) et inyundo (marteau). Les semences concernées étaient considérées comme principales et anciennes dans l'activité agricole au Rwanda (graines de sorgho, d'éleusine, d'épinard africain -isogi- et de courge -inzuzi- ), et signifiaient le pouvoir du roi sur les cultures. Pour le tambour emblême, son nom signifiait la devise du pays ou l'objectif de la dynastie régnante. Le léopard signifie le pouvoir du roi, tandis que le marteau signifie que les rois se proclament forgerons par excellence, la forge fournissant tous les objets d'agriculture, des armes, etc.

Transmission du pouvoir

Tel que l'explique Nahimana pour la région qu'il a étudiée, “  ‘les premiers rois (abami) ont accédé au titre d'umwami soit à l'issue d'une guerre qui a opposé leurs lignages à ceux de leurs voisins, (…) soit à la suite des fissions provoquées par la séparation de deux frères qui n'arrivaient pas à s'entendre ’ 39 .

Dans ces régions, la transmission du pouvoir était héréditaire: quelques explications sur la procédure: ‘“ Contrairement à ce qui se passait chez les abami nyiginya, où le nom de l'héritier était scrupuleusement gardé en secret, si bien que même l'umwami régnant l'ignorait, chez les abami de la zone que j'ai étudiée, le successeur était connu du vivant de son père. Cependant, c'est seulement quand il était jugé adulte et capable de participer à la gestion des affaires du royaume qu'il était officiellement proclamé futur umwami et que son nom était porté à la connaissance du peuple. La désignation du futur umwami se faisait au cours d'un grand conseil réunissant tous les chefs de lignage majeurs du pays, tous les détenteurs des fonctions liées au pouvoir ou à la personne de l'umwami et toutes les femmes de l'umwami régnant ainsi que toutes les veuves du père du régnant (…).’

‘’

‘Après avoir examiné les qualités et les défauts de tous les fils de l'umwami et après avoir retenu des points positifs et distinctifs de chacun d'eux, l'umwami demandait à l' "umunyamabanga" w'abami (l'homme des secrets des rois), qui était en même temps le chef de lignage choisi pour la garde des corps des abami et de leurs tombes (abanyamugogo), de dire lequel de ses fils sera son successeur. (…). Dans de telles conditions, il n'est pas exclu que l'umwami ait manipulé et influencé l' "homme des secrets" qui devait prononcer le premier le nom du futur umwami’  ” 40 .

Lors de l'investiture de l'umwami, F. Nahimana 41 relève trois personnes, qui jouaient un rôle important dans la cérémonie et en rythmaient le déroulement :

  • umuse : celui dont les membres ont accueilli dans la région les premiers membres du clan de l'umwami,
  • umunyamabanga w'abami : l'homme des secrets des rois,
  • umuvuguruza : l'homme qui devait modérer les positions et les actions de l'umwami.

Le premier avait le rôle de purificateur du roi et ce rite ouvrait la cérémonie. Comme l'investiture coïncidait avec la fin du deuil, et comme le tambour-emblême, la présence d'umuse était obligatoire. Le second devait remettre les insignes royaux au roi entrant. Quant au troisième personnage, l'umuvuguruza, il n'est connu qu'au moment de l'investiture : c'est l'homme des secrets, l'umunyamabanga, qui communiquait officiellement son nom à tout le public.

Institutions du Bugererwa et du Kwatisha

On parlait d'ubugererwa quand un étranger venait demander un terrain auprès d'un lignager; celui-ci, quand il était d'accord, cédait au demandeur un terrain qui prenait le nom d'ubugererwa (du verbe kugera : mesurer). Dans ce cas le demandeur du terrain ne devait au chef du lignage majeur, ‘“ parent ou allié, ni redevance en nature, ni prestation servile. Il était cependant tenu de lui offrir les prémices (umuganura) de ses récoltes (imyaka) de sorgho, de haricots, d'éleusine et de petits pois auxquels il ajoutait une cruche de bière. Cette offrande s'appelait ifuro, c'est-à-dire écume qui se forme sur la surface de la bière’  ” 42 .

Dans cette situation, les abagererwa (sing. umugererwa) usufruitiers ‘“ jouissaient pratiquement et pleinement des terrains acquis, sauf qu'il leur manquait le titre de propriété, celui-ci étant dans les mains du premier groupe de défricheurs (…) Pour s'assurer davantage du soutien et de la fidélité des abagererwa, les abakonde accomplissaient souvent avec eux "le rite du pacte du sang ou des alliances matrimoniales qui renforçaient les liens institutionnels ”’ ‘ 43 ’ ‘.’

L'ukwata (location temporelle d'un terrain) consistait en ce que le locataire pouvait s'installer sur place pendant la durée de la location ou pouvait exploiter le terrain loué tout en rentrant chez lui 44

Propriétaire de toutes les terres non encore défrichées, l'umwami comptait à son propre service un grand nombre de locataires astreints tous au même loyer: deux journées de travail par semaine et une mesure (ipfukire) de sorgho, haricots, maïs ou petits pois etc., selon les plantes cultivées sur le terrain loué. Il accumulait donc, par la simple location des terrains, une très grande force de travail et une grande quantité de produits vivriers. Il était le ‘’richissime’’ du royaume et il avait de quoi gratifier ses meilleurs guerriers, ses collaborateurs, ses courtisans, etc. Les hommes et la terre constituaient le support matériel du pouvoir des abami.  Pour ne pas rendre jaloux et mécontents les chefs de lignage et leurs hommes, les abami leur permirent d'avoir eux aussi des locataires, auxquels ils demandaient le même loyer qu’aux abatisha au mwami. Les abagererwa avaient eux aussi le droit d'avoir des locataires 45 .

Notes
38.

NAHIMANA (F). op. cit., p. 159 - 179

39.

NAHIMANA (F). op cit, pp. 179 -180

40.

Idem, pp 181-182

41.

Idem, pp 186-189

42.

PAUWELS (M). Le Bushiru et son Muhinza ou roitelet hutu, Annali del Ponitifico missionario Ethnologico gia Lateranensi, Vol XXXI, 1967, p.311

43.

NAHIMANA (F). op cit, pp. 121-122

44.

Idem, p.163

45.

Idem, pp. 163-164