Ceux qui ont travaillé sur les rapports interethniques au Rwanda ne sont pas unanimes quant à leur qualification. Pour Reyntjens, l’armature sociale et politique du Rwanda était soutenue par la prémisse d’inégalités, selon laquelle ceux qui sont nés dans des castes différents sont inégaux dans leur équipement inné physique et psychologique et ont en conséquence des droits fondamentalement différents. 68
Que le régime monarchique ait favorisé l’ethnie tutsi, en général, au détriment de l’ethnie hutu, personne ne le nie. Mais on peut se demander comment cela fut accueilli, surtout par les défavorisés. Y-a-t-il eu de manifestations pré-coloniales exprimant un certain désaccord avec le régime en place ?
Certains auteurs disent, avec Claudine Vidal, que le Rwanda précolonial n’a pas connu d’antagonisme interethnique ; celle-ci place l’origine de ces antagonismes dans la colonisation même. 69 D’autres situent ces antagonismes déjà avant l’arrivée des Blancs sur le sol rwandais. Entre autres, P. Erny écrit : “ ‘On trouve souvent dans la littérature ou les discours d’inspiration néo-tutsi l’affirmation qu’anciennement les oppositions étaient peu accentuées et non conflictuelles, mais que c’est du temps de la colonisation qu’administration et missions chrétiennes ont durci les choses. A mon avis, il s’agit là, pour ce qui est du Rwanda, d’une présentation idéologique qui ne correspond que très marginalement à une réalité ’ ” 70 .
Il a donc le sentiment que, à l’époque où les premiers européens sont arrivés, les Hutu étaient de fait tellement pris dans le système et son idéologie justificatrice écrasante qu’ils n’osaient même pas envisager une quelconque libération. Mais, dès qu’une lueur de changement est apparue, ils se sont manifestés. La preuve en est donnée par exemple par le diaire des premiers missionnaires parvenus sur la colline de Save en 1900, sous la conduite de Monseigneur Hirth. Quelques semaines à peine après leur arrivée, ils écrivaient : “ nous n’écoutons guère les braves Bahutu qui voudraient avant tout être débarrassés du joug des Batutsi ; c’est ce qu’ils voient de plus palpable et ils voudraient se servir de nous pour en arriver là. Mais doucement ” 71 .
Idem, p. 11
VIDAL (C). Sociologie des passions, Carthala, 1991, p.22
ERNY (P). op. cit., p.43
Idem , p.15