2.3.1. La première République

2.3.1.1. Les premiers pas vers l'instauration des principes démocratiques et républicains

Les premières élections locales (1960)

Des élections communales furent organisées en 1960, avec le concours de l'autorité coloniale. Ce furent des élections au suffrage universel direct de la population adulte et de sexe masculin. Les résultats se présentèrent comme suit 137 :

Territoires %
de votants
Sièges à pourvoir Parmehutu Aprosoma Rader Unar Autres
Kigali 87 378 280 0 87 0 11
Astrida 75 357 237 223 28 0 49
Nyanza 57 321 257 10 5 4 45
Gitarama 95 259 233 0 13 1 12
Changugu 83 237 190 Cartel avec Parmehutu 11 12 24
Kibuye 78 190 158 0 13 0 19
Ruhengeri 95 367 359 0 4 0 4
Kisenyi 89 299 257 0 6 0 36
Kibungo 23 270 160 0 38 39 33
Byumba 87 267 259 0 4 0
divers
4
6
Total 78 3125 2390 233 209 56 243
Résultats   100 70,4 7,4 6,6 1,7 7,9

La lecture du tableau montre que le parti Parmehutu sort très victorieux, avec 70,4 de sièges emportés, au moment où ses adversaires n’arrivent même pas à 10%.

Proclamation de la République

J. Karibwami décrit l'esprit dans lequel la République fut institutionalisée au Rwanda:

‘“ La révolution rwandaise allait donc franchir le pas le plus décisif en fait de rupture avec l'ancien régime. Les partis politiques hutu, manifestement exaspérés par l'incompréhension de l'ONU et forts de l'audience qu'ils avaient auprès du peuple, décidèrent de proclamer la République. Ils avaient, on peut le penser, quelque présomption de ne pas être contrariés par la Belgique sur un point aussi capital. (…) Il n'avait pas été difficile de convaincre la majorité hutu que la monarchie rwandaise avait été inséparable des privilèges de l'ethnie tutsi. Dans son bon sens, le peuple, sans qu'il ait eu besoin de lire Marx, percevait le lien qui existait entre l'Etat rwandais traditionnel dont la monarchie était la base et des intérêts particuliers. Si le pouvoir qui achevait d'effacer l'humiliation des Hutu et leur apportait l'espoir d'être compris, défendus et respectés, portait un nom nouveau - République - cela importait vraiment peu. Le président de la République fut un temps appelé dans la propagande des partis un "mwami élu par la population". Puis le nom de président fut totalement adopté ”138KARIBWAMI (J). op.cit., pp. 494-495.’

C’est dans cet esprit que, le 28/1/1961 à Gitarama (centre du pays), au cours d'une grande réunion où étaient convoqués tous les Bourgmestres et tous les conseillers des communes du Rwanda, les membres de l'Assemblée et du gouvernement provisoires rwandais ainsi que les dirigeants des partis politiques, fut proclamée la République. Le but annoncé de la réunion était de chercher les moyens de favoriser davantage et de consolider la paix. 138

Les principales décisions prises ce jour là furent que Kalinga, les biru, l'organisation féodale doivent disparaître pour faire place à la démocratie ; le roi devait cesser de régner ; le drapeau vert, jaune, rouge serait désormais le symbole du Rwanda ; seule la République était le régime qui répondrait aux aspirations du pays.

Ce même jour, on procéda à l'élection du président de la République. Il y eut 4 candidats issus des partis Parmehutu, Aprosoma, Aredetwa et Apadec.

On procéda également à l'élection de l'assemblée générale (44 membres). Chacun des dix territoires, qui seraient désormais désignés sous le nom de préfectures, avait droit à un nombre de députés proportionnel à l'importance du nombre de ses habitants. Furent élus 40 Parmehutu et 4 Aprosoma. La nouvelle Assemblée élit son président.

A la même occasion, il fut créée une Cour suprême, et le président de la République rwandaise (D. Mbonyumutwa) a proclamé 8 points 139 devant guider la République rwandaise et reflétant l'esprit de la Constitution:

‘“Le Rwanda est une République démocratique et souveraine,’
  1. La nationalité rwandaise est définie par la loi,
  2. Le Rwanda est divisé en dix préfectures, divisées en communes,
  3. Le Rwanda reconnaît les institutions suivantes : un président de la République, un gouvernement, une Assemblée législative et une Cour suprême,
  4. Tous les citoyens du Rwanda sont égaux devant la loi, sans distinctions de couleur, de race ou de religion,
  5. Tous les Banyarwanda sans distinction ont accès aux écoles, mais pourront être fermées ou réquisitionnées les écoles dont le pourcentage de fréquentation ne répondrait pas à la répartition ethnique de la population,
  6. Le Rwanda reconnaît la tutelle provisoire de l’Organisation des Nations Unies et la Belgique comme puissance administrante,
  7. Les décisions concernant l'indépendance devront être prises et soumises à l'Assemblée législative et à la Cour suprême ”.

Quand on lit la description de la journée du 28/1/1961, on a l'impression d'être devant un peuple uni, responsable de son avenir, avancé dans la démocratie, décidé à construire un Etat -nation, où chacun a la parole pour ce qui le concerne. ‘“C’était le peuple lui-même qui décidait de son destin, établissait la base de tout pouvoir politique. Il ne subissait plus le sort que lui avaient imposé dans l'histoire antérieure rois, princes, aristocrates. Toutes les régions du Rwanda représentées à Gitarama décidaient du sort commun du pays et établissaient les bases d'une nouvelle unité nationale. Les distinctions fondées sur l'ethnie, la classe sociale étaient abolies, ne pouvant plus trouver leur justification ’ 140 La sérénité et la compréhension qui ont caractérisé les événements révolutionnaires de Gitarama étaient le signe de la joie du peuple de participer aux décisions concernant son destin ainsi que de l'espoir qu'il mettait dans les nouvelles institutions qui, enfin, allaient leur amener la liberté, la justice, l'égalité et l'épanouissement dans ses droits et ses devoirs civiques. Cependant, l'avenir comptait énormément de problèmes difficiles à résoudre et d’inattendus.

Notes
137.

NKUNDABAGENZI (F). Rwanda politique 1958-1960, Bruxelles, CRISP, 1961, p.272.

138.

Idem, p.496

139.

Idem. p.498

140.

Idem, p.499