2.3.2.2. De grands événements ont marqué les dernières années du régime de Habyarimana

Visite de sa Sainteté le pape Jean Paul II

Sur le plan religieux, l'Etat rwandais a toujours été en bons termes avec l'Eglise, essentiellement catholique. Pendant la période coloniale, nous l'avons vu, l'administration travaillait de concert avec les missionnaires. Face aux problèmes socio-politiques que connut le Rwanda, l'Eglise n'a pas croisé les bras, elle a lutté aussi bien du côté des Hutu (cfr. la lettre de Mgr Perraudin) que des Tutsi (cfr. la position de Mgr Bigirumwami). Au cours de la 2è République, l'Eglise a été portée au plus haut niveau politique par l'accession de l'archevêque au comité central du MRND, organe suprême du parti unique. Là-dessus Braeckman écrit : ‘“ L'archevêque de Kigali, Mgr Vincent Nsengiyumva, très proche de l'épouse du président, est membre du parti unique et siège aux réunions du comité central, malgré le désaveu du Vatican. Il n'acceptera de démissionner qu'en 1990, à la veille de la visite du pape ”’ ‘ 166 ’ ‘.’

La visite du pape, qui eut lieu les 7, 8 et 9 septembre 1990, venait donc conforter un Etat en très bonnes relations avec l'Eglise catholique et un Etat où le Christianisme a, apparemment, battu le record. Elle fut, comme l’écrit Karibwami,

‘“ l'occasion de grandes fêtes et manifestations que le pays avait préparées avec beaucoup de soin. Au centre des fêtes proprement religieuses se placèrent la messe célébrée par le pape à Mbare (Kabgayi) le 8 septembre, au cours de laquelle furent ordonnés de nouveaux prêtres rwandais et zaïrois, et celle qu'il célébra le 9 à Nyandungu (Kigali). Le pape, pendant son séjour au Rwanda, outre les rencontres qu'il eut avec le chef de l'Etat, le Général J. Habyarimana, les autres dirigeants politiques rwandais ainsi qu'avec l'épiscopat du pays, reçut le corps diplomatique, les représentants des autres confessions religieuses, les intellectuels rwandais, une très nombreuse jeunesse. Par Radio Rwanda il s'adressa à toute la classe paysanne des "collines" qui constitue de loin la grande majorité de la population, lui disant à quel point il appréciait son rôle dans le développement déjà accompli par le pays, reconnaissant par ailleurs les nombreux problèmes qu'elle connaît dans un Rwanda surtout surpeuplé. Il rappela le devoir particulier de solidarité, non seulement de la part des dirigeants nationaux mais aussi de la part de la communauté internationale, pour aider la classe paysanne à surmonter ses problèmes et ses difficultés ” 167 . ’

Mais, quelques jours après la visite du pape, les hostilités ont repris leur cours, occasion pour les Rwandais et la Communauté internationale de mettre en application son appel à la solidarité.

L’attaque du FPR à partir de l’Ouganda et les massacres de populations

Depuis les années 1966, il n’avait plus été question d’attaques armées lancées contre le Rwanda à partir de l’extérieur. Et, depuis les débuts du régime Habyarimana, les conflits interethniques à l’intérieur du pays paraissaient devenir un problème d’hier. Avec l’attaque du FPR, les mauvais souvenirs liés aux divisions interethniques réapparaissent et, malgré les prières des foules en tenant Kibeho, malgré la surpopulation des Eglises les samedi, les vendredi et les dimanches, malgré la paix du Christ donnée par le pape lui-même, malgré les bonnes relations entre l’Eglise et l’Etat, le pays finira dans ‘’le génocide’’ des Tutsi et les ‘’massacres’’ des Hutu modérés.

Après l'offensive du FPR (Front Patriotique Rwandais) le 1/10/1990, la population rwandaise, à l'intérieur du pays, a connu les pires moments où l'Etat puisse se lever contre ses propres citoyens. On parle de 10.000 civils (tutsi et opposants politiques) arrêtés et mis dans des conditions inhumaines ; nombre d’entre eux ont perdu leur emploi et ceux qui ont perçu leur salaire pendant la période de détention ont été, par la suite, priés de rembourser l’Etat ; leurs biens ont été confisqués, leurs maisons allouées à d’autres résidents ou pillées, etc.. Ceux qui ont été libérés se sont vu retirer leurs pièces d’identité et leurs documents de voyage ; etc. 168 .

A partir d’Octobre 1990, on signale, dans la préfecture de Gisenyi (Kibilira), des attaques aux Tutsi. En 1991, après l’attaque de la prison de Ruhengeri par le F.P.R., ce futle tour d’une population minoritaire, les Bagogwe, d’être exterminée. La même année, de telles attaques furent organisées à Byumba à Murambi par les autorités communales.

En Mars 1992, un autre grand massacre a lieu, dans la région du Bugesera. Dans l’exécution de ce massacre, on signale la présence du bourgmestre de la région, les membres des cellules du parti (MRND), des gens venus de la capitale, des militaires du camp proche (Gako), des membres de la garde présidentielle en civil;… On dit qu’ils ont tué des Tutsi, incendié des maisons, volé et abattu le bétail, pillé les récoltes, jeté les cadavres dans des latrines ou dans des fosses, violé des femmes. Ces attaques ont fait 15.000 réfugiés dans les missions et dans les écoles dont beaucoup sont morts 169 .

En 1994, l’inimaginable est arrivé : l’assassinat du président Habyarimana, déclencha le génocide des Tutsi et les massacres de Hutu à grande échelle. Plus de 13% de la population présente au Rwanda au début de 1994 trouvent la mort 170 .

Normalement, les Etats ont le devoir -ou même l'obligation-, de protéger les citoyens. Mais, “  ‘le drame rwandais a jeté un éclairage cru sur ce siècle où les Etats sont devenus les meurtriers de leurs propres citoyens ’ ‘ 171 ’ ‘. “ C'est l'Etat qui prépare et organise les meurtres. Il utilise sa police, son armée, son parti. La séparation des pouvoirs entre l'Etat et le juge n'existe pas. C'est la propagande du pouvoir qui définit le bien et le mal. Emporté dans une spirale qu'il a lui-même initiée, l'Etat meurtrier ne peut plus enrayer cette dynamique du meurtre et du mouvement car c'est de sa propre mort dont il s'agit. Le génocide est une fuite en avant, une forme de suicide. Aveuglés par leur haine de l'Autre, les extrémistes hutu se sont engagés dans une voie sans issue possible. Au Rwanda, l'Autre ce n'était pas l'étranger, mais le voisin’  ” 172 .

Le Rwanda ne fut pas uniquement déchiré au plan social; il le fut aussi physiquement. Des infrastructures administratives et commerciales sont bombardées, le matériel des bureaux pillé, des documents scolaires brûlés, des ponts cassés, des plantations abîmées, des maisons (grandes ou petites) cassées ou brûlées, etc. Du fond en comble, le pays fut délabré complètement par ses propres enfants.

Après avoir suscité l’espoir ici et là, chez les Rwandais et même chez les étrangers, la deuxième République n’a donc pas pu éviter le pire : le génocide, qui fut l’expression la plus forte de l’ethnisme et les massacres, dont les motivations furent aussi bien régionales qu’ethniques, selon que les auteurs étaient tutsi, hutu ou twa. Comme pour la première République, la population rwandaise n’a pas obtenu ce qu’elle attendait de la deuxième: l’unité, la démocratie, la paix.

Notes
166.

Idem, p.92

167.

KARIBWAMI (J). op. cit., p. 552

168.

BRAECKMAN (C.). op.cit. p.115

169.

Idem, p. 116 -119

170.

Gouvernement du Rwanda. Conférence de table ronde,Programme de Réconciliation nationale et de Réhabilitation et de Relance Socio-Economique, Genève, janvier 1995.

171.

MALAGARDIS (M.) et SANNER P.L. Rwanda, le jour d’après, Récits et témoignages au lendemain du génocide, Somogy, Paris, 1995, p.9.

172.

Idem, p.12