Les données ethnographiques sur les Rwandais présentent trois groupes sociaux dont il est jusqu'ici impossible de dire s'ils sont d'une même ethnie ou d'ethnies différentes. Les hypothèses formulées à ce sujet ont toujours été prises pour des vérités que les autorités exploitent, non pour construire ensemble une communauté politique forte et développée mais pour s'exclure mutuellement.
Cette analyse historique tend à expliquer (et pas à justifier) ce comportement exclusiviste des Rwandais, qu'ils partagent d'ailleurs avec beaucoup d'autres peuples du monde, surtout africains. Au Rwanda, la racine de l'intolérance des Rwandais se trouve dans les mythes qui ont été pris comme des vérités et auxquels, malgré les apports scientifiques et les valeurs nouvelles promues par la communauté internationale, les rwandais restent attachés. Ces mythes sont essentiellement le mythe, dit traditionnel, des rois nyiginya (appelé encore mythe des origines ou même mythe de Gihanga). Nous avons vu combien il légitime la supériorité naturelle des Tutsi sur les Twa et les Hutu pour ce qui est du Rwanda.
L'autre mythe est celui du hamitisme ; il est moderne, lui, puisqu'il est prêché par des chercheurs de la science moderne. Or, il confortait bien le mythe traditionnel des "origines" des rois Nyiginya et élevait les Tutsi, au dessus non seulement des Hutu et des Twa, mais aussi des Nègres.
Ces mythes ont entraîné des représentations sociales et des préjugés tellement puissants qu'ils ont guidé les décisions et les attitudes politiques de tous les régimes, coloniaux et républicains, des première et deuxième Républiques. N'est-ce pas par respect de ces mythes que les Blancs ont préféré la politique de l'exclusion en faveur des Tutsi, et qu'ils ont préféré faire la guerre meurtrière aux régions qui étaient jusque là insoumises au roi nyiginya du Rwanda central ! Et, pour ce qui est de la période républicaine, n'est-ce pas la peur d'un relèvement éventuel du régime déchu et de son idéologie que les leaders républicains n'aient pas été assez tolérants et les attaques extérieures (armées ou médiatiques) n'aient pas cessé de déstabiliser les régimes en place (jusqu'en 1994)!
Au-delà des mythes, nous reconnaissons cependant le facteur, "amour du pouvoir" (qui caractérise le genre humain) dans les politiques rwandaises de tout temps. C’est cet amour du pouvoir, qui engendra la guerre civile de Rucuncu, les expéditions meurtrières du gouvernement à travers le pays, la guerre civile de 1959, la rupture avec les idéaux nationaux démocratiques et républicaines et l’incapacité de faire face aux obstacles du succès des nouvelles institutions politiques.
Ces données historiques et ethnographiques ne suffisent-elles pas pour infirmer l’idée selon laquelle le Rwanda moderne (le Rwanda actuel) fut un Etat-nation ? Précisons que le concept ‘’nation ‘’, comme tous les autres concepts politiques connus dans les politiques rwandaises d’avant 1994, est pris dans le sens français, selon lequel les individus forment une nation parce qu’ils le veulent bien, parce qu’ils ont la volonté de vivre ensemble, quelles que soient leur race, leur langue, etc.. 218 L’Etat rwandais est constitué d’un ensemble de petits états (traditionnels) et d’ethnies (Hutu, Tutsi et Twa) dont l’intégration dans un Etat-nation centralisé, le Rwanda actuel, n’a jamais été obtenue. L’Etat-nation rwandais se cherche encore ; mais cette unification reste à un niveau purement théorique et rencontre des obstacles très réels et plus puissants que la simple volonté officielle mais apparemment superficielle des autorités qu’a connues le Rwanda.
Notre conviction est que les Rwandais ont manqué d’une éducation qui devait les aider à se détacher progressivement de leurs croyances mythiques et des attitudes conséquentes de ces mythes, d’une éducation qui aurait développé chez eux l'esprit de tolérance et la volonté de se développer ensemble plutôt que de se déchaîner pour s'exclure mutuellement; c'est celle-là que nous avons appelée "Education à la citoyenneté" que la deuxième partie va nous aider à comprendre.
ACQUAVIVA (J.C). Droit constitutionnel et institutions politiques, Dunod, (2è éd.), 1994, p.2