2.2.3.4. Argumenter, un savoir-faire indispensable à l'exercice de la citoyenneté

Selon L. Husson, l’argumentation est une démarche intellectuelle, qui met en balance des arguments contraires, entre lesquels l'esprit doit trancher par une décision qui n'est pas, pour lui, contraignante Elle émane d'une raison ni impersonnelle ni éternelle, mais historique, qui se forme et se développe progressivement par les efforts conjoints des hommes de bonne volonté 375 .

Dans le domaine politique, toute prise de décision doit passer par l'argumentation. C'est là le propre du politique:

‘“ Ce qu'il faut donc souligner fortement pour saisir lanature du politique, c'est à la fois qu'il procède de l'impossibilité d'abandonner la gestion des sociétés humaines à l'improvisation, à la spontanéité, donc aux rapports de force et à la violence aveugle, mais que cette gestion n'est déductible d'aucun principe, et est toujours à inventer. Il se trouve au croisement de l'inévitable et l'aléatoire, de l'indispensable et du contingent, de l'urgent et du risqué.
De ce fait, en tant que non déductible, la décision politique ne résulte pas - et ne résultera pas - d'une "démonstration", qui en établirait nécessairement la pertinence au terme d'un raisonnement logique irréfutable, propre à contraindre "la raison". Elle relève toujours de la réflexion, qui mobilise et confronte "des raisons". En ce sens, dans la mesure où ils concernent les valeurs, les choix qu'elle comporte doivent procéder d'une argumentation, et jamais d'un savoir scientifique qui forcerait l'esprit. Ainsi, ils illustrent la théorie du raisonnement argumentatif... ” 376 .’

Dans le domaine des valeurs morales, le rôle de l'argumentation devient évident. Classiquement, la morale se référait à des normes sociales, des idéaux collectifs reconnus comme tel et non discutables. Aujourd'hui, l'absence de consensus sur les valeurs en général atteint également les valeurs morales. Nous l'avons vu, celles-ci tendent à être individuelles, plutôt que d'avoir un caractère social universel. Non seulement il y a ce problème d'individualisation des valeurs, mais aussi il y a la modernité qui rend archaïques les valeurs traditionnelles, souvent avec des conséquences pas toujours agréables pour la société. Les décisions et les choix axiologiques ne peuvent donc pas échapper à l'argumentation.

L'argumentation est une technique intellectuelle qui doit s'apprendre. Il ne suffit pas de savoir qu'il faut argumenter. Pour le savoir, il faut y être initié, s'y entraîner, en prendre l'habitude et y avoir de l'expérience. Voici ce que Mougniotte entend par "apprendre à argumenter": ‘“ C'est apprendre à identifier, à étaler, à classer, à confronter les raisons. C'est là-dessus que se fonde la tolérance : celle-ci a d'abord un fondement moral. Et c'est pour cela aussi qu'elle doit être apprise. En ce sens, c'est bien d'une éducation qu'il s'agit, et pas seulement d'une instruction, faute de laquelle on est guetté par l'irréalisme, voire la sottise; il n'y a pas de jugement avisé sans savoirs suffisants pour lui donner validité et pertinence’  ” 377 .

Notes
375.

HUSSON (L.). Réflexion sur la théorie de l'argumentation. De Ch. Perelman, pp.435-465  Archives de philosophie, juillet-sept. 1977 ; T.40

376.

MOUGNIOTTE (A). op. cit, pp. 10-11

377.

MOUGNIOTTE (A), pour une éducation au politique op. cit. p.11