3.2.2.3. L'Ecole, facteur d'inégalités sociales

L'égalité des hommes est un idéal naturel de démocratie, qui est elle-même un idéal de tous les efforts politiques actuels. Affirmer que l'Ecole est un facteur des inégalités sociales revient à nier son rôle qui, en principe, serait de donner la même chance à tout le monde.

L'impact de l'Ecole sur l'égalité des hommes se mesure donc à son incapacité d'égaliser les chances de ceux qui la fréquentent. En effet, comme l'écrit Mougniotte,  l'égalisation des chances ‘“ a longtemps dynamisé l'Ecole et motivé le corps enseignant; il est indéniable qu'elle a, en plusieurs cas, cassé des fatalismes sociaux et même globalement induit certains processus promotionnels. Mais des travaux désormais difficilement contournables se sont attachés à établir que, si méritoire qu'on la suppose, l'Ecole agit sur des sujets déjà trop différenciés par les étapes antérieures de leur vie pour pouvoir en effacer les effets et restituer à des talents naturels toutes leurs chances. Les enfants sont d'emblée culturellement conditionnés par leur famille et leur milieu, de sorte que, sans être dépourvue de force et de portée, l'Ecole n'est pas tout-puissante ”’ ‘ 476 ’ ‘.’

L'impuissance de l'Ecole réside dans le fait qu'elle n'a pas les moyens de réduire totalement l'échec et les abandons scolaires. Même si des facteurs externes à l'Ecole sont responsables de ces échecs et abandons scolaires, les insuffisances méthodologiques et psycho-pédagogiques ne sont pas exclues. Si les sciences de l'éducation ne peuvent pas déterminer avec précision la part de l'Ecole et celle du milieu socio-culturel de l'apprenant, elles affirment que les deux terrains doivent être considérés simultanément pour réussir la réduction des inégalités par l'Ecole. Malheureusement, force est de constater que, dans le monde entier, on n'en est pas encore là. C'est ainsi que, comme le signale Mougniotte, Bourdieu et Passeron ont mis en lumière ‘‘’la corrélation entre l'origine socio-économique des écoliers et leurs performances scolaires", et que Langouët a soutenu que ‘’des innovations destinées à favoriser les défavorisés se retournaient plutôt contre eux et jouaient à l'avantage de ceux que leur familiarité avec la culture rendait capables d'en profiter’’’   477 .

Plus précisément, comme l’explique Le Thàn Khôi, “ ‘l'Ecole, centrée sur des conceptions universalistes et des pratiques linguistiques qui sont celles de la bourgeoisie, n'est "unique" ou "commune" que de nom : elle divise les élèves en "bons", "moyens" et "mauvais", "en avance", "à l'heure" et "en retard", hiérarchie qui reflète celle des classes sociales. (…) Dans certains pays, dans le cadre même de la scolarité obligatoire, on note une coupure entre l'Ecole primaire et le premier cycle du secondaire. En outre, celui-ci comporte des filières qui ne conduisent pas aux mêmes carrières professionnelles. Il existe aussi souvent plusieurs types d'Ecoles dont la nature, le statut et le prestige diffèrent sensiblement ”’ ‘ 478 ’ ‘. ’

Dans les pays socialistes, les inégalités liées à l'Ecole sont moindres que dans les pays capitalistes, mais elles existent. Dans ces pays, observe Lê Thành Khöi : on observe que, en raison de la nature de leur système politique, l'Etat y a joué et y joue un rôle plus grand que dans les pays capitalistes pour assurer le droit à l'éducation. Pour Lénine, " ‘c'est la conscience des masses qui fait la force de l'Etat... La victoire de la révolution ne sera complète que par l'Ecole’’’ ‘ 479 ’ ‘.’

Pour ce qui est de l'Afrique, la situation est pire. ‘“ Il n'y a pas de société sans inégalités mais, quand la misère générale s'accroît, les inégalités sont plus injustes et plus profondément ressenties. Certes l'Ecole amplifie en termes absolus les chances des faibles de se hisser eux aussi au sommet des hiérarchies’  ” 480 . Aujourd’hui, elle est ressentie comme un besoin indispensable à la survie de l'humanité, mais elle reste une institution fermée à beaucoup d'hommes et de femmes dans les pays pauvres, et ouverte seulement à quelques groupes.

Beaucoup d'efforts sont soutenus pour que l'Ecole soit un lieu efficace d'éducation à la citoyenneté. Cependant, les limites et insuffisances sont encore nombreuses et importantes. Elles peuvent se regrouper en deux. Le premier comprend des facteurs externes, et le second, des facteurs internes ; ils concourent tous à handicaper l'Ecole dans sa mission d'éduquer le citoyen, en ce sens qu'ils favorisent l'échec de cette éducation. Comme nous avons pu le voir, le pouvoir politique, la société elle-même, les familles prises individuellement, les médias et la violence figurent dans le groupe des facteurs externes. Les éléments qui ont retenu notre attention parmi les facteurs internes à l'école sont les méthodes d'éducation aux valeurs, et l'impact de l'école sur la vie sociale (ruptures sociales, inégalités sociales). N'est-il pas paradoxal de demander à l'Ecole d'éduquer aux valeurs tels que l'égalité, le respect des différences, alors qu’elle même, par sa structure, favorise les inégalités et l'acculturation ? Le chemin est donc encore long pour que l'Ecole puisse devenir une institution qui promeut les valeurs citoyennes qu'elle enseigne.

Notes
476.

MOUGNIOTTE (A). Eduquer à la démocratie, op.cit;, p.111

477.

Idem, p.159

478.

LE THAN KHOI. L’action des pouvoirs publics. Le droit de l’enfant à l’éducation, Unesco, 1979, p.179

479.

Idem, p. 180

480.

Idem, p. 78