1.2.4.3. Au point de vue des rapports avec le chef de l'Etat

La conformisation des pouvoirs politiques post-coloniaux aux mentalités de la monarchie a produit un président "roi", sous le nom de "Père de la nation" et un peuple qui lui est soumis.L'objectif de la deuxième République était de lutter contre les erreurs de la première République, qui, depuis les années 1968 (plus ou moins 7 ans seulement après son instauration) commençait le divorce avec les idéaux de la République et de la démocratie. Pourtant, la deuxième République aurait été pire, d'après certains observateurs, sous une "odeur de sainteté" selon l'expression de C. Braeckman 536 . L'image d'un mwami nécessairement unique, puissant et non soumis aux atteintes du temps s'était transposée dans celle du "père de la nation", que s'était créée le président J. Habyarimana. Le mwami, au sein des frontières de son royaume, qui fluctuaient selon la mesure de son pouvoir, était forcément unique. Après l'avènement d'une république qualifiée de "presidential mwamiship", l'ensemble de la culture liée à l'exercice du pouvoir suprême reste teintée, sans aucune surprise, d’une mentalité antérieure à l'indépendance.

Sous la deuxième république, le chef de l'Etat continue à incarner le pouvoir, sous la figure de "père de la nation", qui reprend à son compte la totalité du pouvoir du mwami, drainant progressivement à lui des pouvoirs séparés dans la forme. Les discours développementistes et les visites présidentielles à la campagne étaient et confortaient l'image de fécondateur du pays, que donnait autrefois la circulation du roi entre ses résidences, puis les déplacements du mwami vers les différentes chefferies. 537

Le chef de l'Etat représente donc la puissance et la source de la vie. La population croit que le changement ne ferait que créer des ennuis, des malheurs. Nous avons vu que, quand des intellectuels ont commencé à réclamer le multipartisme, donc une coexistence possible de puissances potentielles, "cette perspective du multipartisme a donné lieu à une expression massive de craintes"; on pouvait entendre dire "où trouvera-t-on un parti pareil au MRND ?" Le parti unique incarnait son fondateur, le président de la République, le Père de la nation, qu'il ne faudrait pas toucher. Le pouvoir n'a-t-il pas usé de cette mentalité pour faire passer son idéologie chez les paysans dans les années 1990 !

Sûrement, tout le monde n'appréciait pas tout chez le chef de l'Etat et son pouvoir mais, par crainte de répression ou peur de perdre des privilèges, on était amené à défendre sa personnalité et à soutenir son pouvoir. Ici, c'est la référence à l'ancien "droit de vie et de mort" que détenait le roi, détenu aujourd'hui par le chef de l'Etat, qui influence, consciemment ou non, la population. Comme l'écrit Reisdorff, ‘“ le Rwanda vivait sous le signe de la force. C'est elle qui créait le droit, dont les principes n'étaient d'application que pour celui qui était en mesure de faire justice à lui-même". Les chefs étaient au premier rang de ceux-ci, disposant d'une armée et de serviteurs (plus généralement, des bras : amaboko) ”’ ‘ 538 ’ ‘.’ Dans les Républiques rwandaises, la force appartient au chef de l'Etat à travers le système politique dressant des "tentacules" jusqu'au fond des collines les plus éloignées, et l'Histoire semble légitimer cette stratégie politique qui a toujours caractérisé les régimes politiques rwandais.

Notes
536.

BRAECKMAN (C). op. cit., p.81

537.

LAME(De) (D). op. cit., p.306

538.

REISDORFF (V.G) & CODERE. Cités par Lame(De) D., op. cit., p.309