1.3.2. La situation pendant la réforme de 1979

1.3.2.1. Les Ecoles Normales Techniques de Transition 553

Ces Ecoles ont été instaurées en vue de répondre au besoin d'enseignants créé par la réforme scolaire entamée. En effet, le 3° cycle du primaire et l'ERAI (Enseignement Rural et Artisanal Intégré) nécessitaientdes maîtres en travaux pratiques. Elles se divisaient en deux catégories : ENI (Ecoles Normales Techniques) et ENTA ( Ecoles Normales Techniques Auxiliaires) .Les ENTA ont recruté leurs candidats parmi des garçons et des filles dont l'âge n'excédait pas 18 ans et qui avaient terminé soit le CERAR (Centre d’Enseignement Rural et Artisanal Rwandais), la section familiale, l'école artisanale ou le Centre de Formation de Travailleurs Qualifiés (CFTQ). Les ENT, quant à elles, ont recruté les élèves qui ont terminé la troisième Tronc Commun ou avaient réussi à l'examen de reclassement correspondant à ce niveau. Elles ont accueilli les ressortissants des cycles d'orientation du secondaire qui s'étaient montrés peu capables de suivre les sections secondaires classiques (humanités générales, sections professionnelles ou terminales ordinaires) 554 .

Les candidats de la section normale technique auxiliaire étaient appelés à approfondir les métiers et les travaux pratiques appris au post-primaire, pour les enseigner plus tard dans les CERAI (Centre d’Enseignement Rural et Artisanal Intégré) et, éventuellement, dans le troisième cycle du primaire. A cet effet, ils allaient s'initier à quelques éléments de pédagogie et de méthodologie. Les objectifs des ENT (Enseignement Normal Technique) étaient plus ambitieux que ceux des ENTA. En effet, on assignait à ces futurs lauréats des ENT la mission d'assurer et les cours généraux et les cours techniques au troisième cycle du primaire et à l'ERAI 555 .

En cours généraux, les deux sections apprenaient le français "technique", le Kinyarwanda, l'histoire, la géographie, le civisme, la religion et l'économie rurale. D'aucuns trouvaient qu’un horaire de trois heures de langues, deux heures de calcul et une heure combinant le civisme, l'histoire et la géographie était insuffisant pour de futurs enseignants. En cours pratiques, tous les élèves (garçons et filles) apprenaient à la fois agriculture, élevage, menuiserie, maçonnerie, dessin technique, forge, poterie et arts ménagers (art culinaire, couture familiale, économie domestique et puériculture). Ce programme s'est révélé très ambitieux et peu réaliste. En effet, il n'était pas évident que les adolescents de l'un ou l'autre sexe s'adaptent facilement à la pratique de certains cours dans un pays où la tradition assignait aux femmes et aux hommes des travaux spécifiques. Pour ce qui est de la formation pédagogique, le temps imparti n'était pas suffisant. ‘‘’Comment voulez-vous, déclarait un psycho-pédagogue, que quelqu'un puisse vraiment s'adapter à une classe d'adolescents, alors qu'il n'en a entendu parler que pendant deux ou trois séances’’’ 556 ?

Les conditions de formation des futurs maîtres des ENT et ENTA furent difficiles et malheureuses: pas de professeurs compétents pour les cours pratiques (de vieux artisans de la colline ou leurs anciens condisciples du primaire lauréats du CFTQ (Centre de Formation Technique), le milieu d'apprentissage non accueillant et frustrant pour eux, etc. Dans presque tous les établissements, tout le monde les dénigrait et les délaissait, surtout quand ils cohabitaient avec les élèves des autres orientations au sein des groupes scolaires. Ni les directeurs ni les professeurs, ni les élèves des autres filières ne les ménageaient. Ils étaient donc objet d'un perpétuel harcellement. Leur sentiment d'humiliation battait son plein quand ils se rendaient à l'Ecole Primaire d'Application, où les titulaires des classes et leurs élèves les avaient déjà étiquetés de cancres, sachant d'avance qu'avec ce type d'élèves-maîtres on ne perdrait que du temps 557 .

Que sont devenus les lauréats des ENT et des ENTA ?

Quand on a signé leurs diplômes, on savait bien que ces jeunes ne les méritaient pas. Un directeur et un psychopédagogue témoignaient et regrettaient : ‘“ on a en effet signé leur diplôme comme par contrainte, comme par ordre venant d'en haut. Lorsqu'on les diplômait, on ne tenait compte que d'un seul critère : "ON EN A BESOIN" ...puisqu'ils étaient malheureusement là comme un mal de la société qu'il fallait supporter. On se disait qu'après tout il y a des gens qui enseignent (comment?) sans diplôme... En attendant les meilleurs, il fallait que nous aidions le pouvoir public à combler les vides. Sinon, nous avons envoyé ces jeunes en sachant bien qu'ils ne seront capables de presque rien’  ” 558 .

Sur le terrain, ils sont évidemment considérés comme qualifiés, spécialistes. Mais les responsables de l'éducation regrettent leur incompétence; la pratique montre que ceux des ENTA sont de temps en temps capables de se ’’débrouiller’’ dans les travaux pratiques et nullement dans les cours généraux. Quant à ceux qui sont sortis des ENT, c'est lamentable : ils ne savent rien faire et sont également dépaysés et en cours généraux et en travaux pratiques. La différence entre les élèves et les maîtres de ce type, c'est que de temps en temps ces derniers sont mieux habillés que les enfants 559 .

Globalement, l'observation suivante donnée par un directeur de CERAI résume ce que sont devenus les lauréats des ENT et des ENTA : l'enseignant est quelqu'un qui doit donner le meilleur de lui-même à ses disciples. Comment quelqu'un qui n'a rien et n'est presque rien (quant au caractère) peut-il donner quelque chose de valable aux autres, qui en attendent plus qu'il ne croit ? La pratique commence à montrer que les ressortissants des ENT (surtout) et des ENTA n'ont rien reçu et ne peuvent donc rien donner 560 .

Notes
553.

Idem, pp. 188-214

554.

Idem, pp.188-189

555.

Idem, p;189

556.

Idem, pp.190-191

557.

Idem, pp.193-194

558.

Idem, p. 197

559.

Idem, p. 198

560.

Idem, p. 199