1.3.3.3. Etaient-ils capables de donner une éducation à la citoyenneté ?

Nous avons étudié les problèmes qu'a connus le Rwanda en matière de personnel enseignant, depuis que l'Ecole y est fondée. Le parcours de l'évolution de la formation des enseignants du primaire et du post-primaire donne l'impression que ces deux niveaux d'enseignement n'ont jamais eu un personnel apte : formation intellectuelle très basse, caractère faible, ouverture d'esprit nulle, aptitudes pratiques nulles, etc. Même s'il y avait quelques exceptions, surtout parmi les anciens instituteurs et les D7, leur action ne servirait pas à grand chose dans un système qui n’aurait pu fonctionner que si chacun avait bien rempli son rôle.

Après les événements des années 1990, couronnés par un génocide et des massacres à grande échelle, chacun a remis en question l'éducation. Si nous

acceptons effectivement que l'éducation pouvait conduire à autre chose qu’à l'auto-destruction collective d'une communauté, il y a lieu de la remettre en question. Qui dit éducation (scolaire) dit enseignants, programmes, conditions environnementales, etc. En rapport avec notre sujet, nous avons déjà constaté l'inefficacité des programmes destinés au primaire. Nous venons de voir également l'incompétence des enseignants qui ont assuré l’application de ces programmes. Faudrait-il s'étonner du résultat ?

L'on a parlé, pour le Rwanda, de la dégradation de l'enseignement, de la baisse progressive du niveau culturel des enfants, de la dégradation de la morale, de la perte de la conscience professionnelle dans les services publics, de l'accroissement des déperditions scolaires et de l'accroissement des délinquants, etc. En parcourant les résultats de la recherche sur la situation du personnel enseignant, surtout à partir des années 70, tout cela nous paraît très normal.

L'éducation se reçoit ; et pour qu'elle se reçoive, quelqu'un doit la donner. Et si on ne l'a pas reçue, on ne peut pas la donner. Dans la situation de nos enseignants, quelle éducation pouvaient-ils donner aux enfants qui leur étaient confiés ? Nous ne voulons pas dire que tous étaient incapables, ni que tous les Rwandais qui sont passés à l'Ecole n'ont rien appris. Mais, si nous acceptons que l'éducation n'est pas l’ affaire d'une personne, ni une affaire qui s'achève à 6-7 ans ou qui commence à 10 ans, on comprendra que notre inquiétude est fondée. Dans une Ecole où le premier cycle est tenu par des "illettrés", où le second cycle est tenu par les "plus ou moins lettrés", et où le troisième cycle est tenu par les ENA et les ENTA dont nous avons vu les tristes portraits, on comprend bien que cette Ecole ne produira pas de miracle.

Si nous acceptons que la citoyenneté exige un niveau minimum d'instruction de base, un minimum d'éducation civique et morale, un minimum d'ouverture d'esprit grâce aux cours de Géographie et d'Histoire des peuples et un minimum d'éducation au politique, nous ne nous tromperions pas si nous disions que les enseignants rwandais de toutes les périodes historiques, avaient reçu trop peu pour donner assez à leurs élèves en vue de leur éducation citoyenne :

Sans devoir allonger la liste des lacunes, ces quelques considérations nous font croire que le désordre pédagogique qu'a connu l'enseignement normal rwandais est l'une des origines de l'échec de la citoyenneté rwandaise. Celle-ci est une valeur étrangère, qu'on aurait pu acquérir par l'éducation parce qu'elle a été un choix politique de longue date. Malheureusement, comme nous le voyons à travers l'analyse des programmes et de la situation du personnel enseignant, les autorités n'ont pas fait le nécessaire pour elle.

Elles n'ont pas fait le nécessaire pour que puisse se réaliser cette vision optimiste des "passionnés" Rwandais du métier d'enseignant, relevé par I. Nayigizente 575 :

  • C’est sur lui (l'enseignement) que repose l'avenir du pays. Nous constituons (c'est un enseignant qui parle) la pierre angulaire de l'édification de la société future, la pièce maîtresse de notre développement, un trait d'union entre la patrie et la famille en matière d'éducation de l'individu. Nous réalisons une oeuvre inqualifiable. Nos mérites se sont démontrés par le fait que c'est parmi nous qu'on a régulièrement recruté de bons agents et hauts fonctionnaires des autres professions. Nous sommes et nous resterons des générateurs de toutes les révolutions. 
  • Le monde enseignant est un corps très utile, sans lequel la société actuelle ne saurait plus avancer. Nous exerçons un métier qui montre que nous sommes extrêmement courageux même si nous sommes dénigrés par ceux qui ont peur d'embrasser cette dure carrière. Nous sommes des édificateurs de la société de demain, nous sommes des sortes de missionnaires auprès de nos enseignés et nous avons ainsi une profession qui nous donne peut-être plus de satisfaction morale que certaines autres.
  • Les maîtres du primaire constituent l'élite du milieu rural et probablement des piliers de son progrès intégral parce qu’ animateurs actifs de leur région. Ils sont à respecter puisque c'est avec eux que les enfants passent le plus gros de leur temps en n'échappant donc pas à leur influence. Ils sont en fait le complément des parents en matière d'éducation.

Ces trois extraits montrent l'idéal du métier enseignant : être le fondement et la source de tout développement, être le complément de la famille en éducation. Malheureusement, faute de capacités intellectuelles et professionnelles que devait leur donner l'Ecole, ils se sont retrouvés incapables de contribuer au développement intellectuel, pratique et moral des enfants, incapables de compléter les parents dans la tâche éducative, incapables d'animer le développement rural.

Notes
575.

Idem, p. 251