1.4.1.2. Lien entre ces traits et les événements de 1994

Plusieurs questions qui se sont posées face aux événements des années 1990 et surtout face au génocide et aux massacres de l'année 1994, peuvent trouver des réponses, peut-être partielles, dans cette série d'observations sur la psychologie des Rwandais.

A la lecture des caractéristiques psychologiques des Rwandais, on a l'impression de comprendre d'où sont venus les comportements inattendus des Rwandais dans les années 1990 et surtout en 1994, lors du génocide et des grands massacres. Les Hutu et les Tutsi cohabitaient sur les collines, dans les classes, dans les bureaux, dans les quartiers, dans les bus etc..; cependant, l'on ne se tromperait pas si on disait que certaines gens de ces deux entités sociales vivaient en ennemis en puissance. Il en est d'ailleurs de même que les Banyenduga (principalement les populations du centre et du sud) et les Bakiga (principalement de Ruhengeri et de Gisenyi). Grâce à la maîtrise de soi, ils ont pu calmer le jeu qui malheureusement finit par éclater.

Cet idéal moral de maîtrise de soi auquel les Rwandais tenaient beaucoup - et tiennent encore - dans l'éducation des enfants constitue un danger psychologique pour la société rwandaise. Nous avons vu combien le Rwandais parvient à garder un calme extérieur qui cache trop bien un intérieur qui bouillonne de passions. ‘“ Quand en plus l'atmosphère devient lourdement menaçante, qu'il faut constamment prendre sur soi pour ne pas céder aux impulsions, il suffit de peu pour qu'un jour le couvercle saute et que se produise une explosion extrêmement violente de tous ces sentiments de jalousie, de haine, de rancoeur, mêlés à la peur. Une fois la soupape de sécurité de la cocotte-minute coincée, le pire peut se produire, et c'est bien le pire qui s'est produit, au delà de tout ce que l'on pouvait imagine’ r ” 588 .

L'autre danger que constitue la maîtrise de soi apprise aux enfants est “  ‘d'étouffer toute spontanéité, de décourager au nom de la tradition l'esprit de nouveauté et de progrès, de substituer à la perception directe du bien et du mal une opinion toute faite imposée par la société; de s'enferrer dans des actes, des gestes et des paroles parfaitement stéréotypés, de susciter des haines intérieures, des jalousies larvées, autant de handicaps pour l'épanouissement de l'individu’  ” 589 .

L'Ecole pouvait-elle faire quelque chose pour jouer positivement sur ces caractéristiques ? Ce qu’elle pouvait faire, c'était donner des informations ethniques et régionales rendant les représentations sociales positives, permettant de percevoir la valeur positive de "l'autre", réduisant les sentiments de haine, de peur, d’incompréhension, d’incertitude, de jalousie vis-à-vis de cet "autre", etc.

Si l'Ecole avait su confronter les valeurs modernes (politiques ou morales et religieuses) aux valeurs traditionnelles dans un contexte concret qui était celui du Rwanda traditionnel, il y aurait eu sélection des aspects positifs des valeurs rwandaises et abandon de leurs aspects négatifs, au profit d'une cohabitation moins frustrante, donnant moins d'occasion au refoulement des sentiments négatifs qui, un jour, devaient réapparaître avec la violence qu'a connue le Rwanda en 1994. Malheureusement, l'Ecole a toujours évité ou s'est sentie incapable d'aborder effectivement ces problèmes sensibles socialement et politiquement.

Notes
588.

Idem, pp.189-190

589.

Idem, p. 181-182