1.5. L'Ecole elle-même

1.5.1. L'Ecole a entretenu l'infériorité culturelle des "sujets" Rwandais : pas d'élite, pas d'ennuis

La Belgique, principal colonisateur du Rwanda, avait des principes qui guidaient son action éducative et peuvent être rappelés: ‘“ Si la colonisation française se voulut dans l'ensemble assimilationniste, la colonisation belge le fut certainement moins. Elle ne visait pas, en principe, à faire des Africains des Occidentaux. La Belgique s'est manifestement d'abord appliquée à tirer le maximum de profit des richesses économiques que recelait le Congo. Sur les plans économique et politique, les "indigènes" de ses possessions coloniales furent maintenus à une notable distance du monde blanc. L'instruction scolaire, dans une large mesure, fut donnée aux colonisés sur des bases africaines. Une bonne place dans l'enseignement fut réservée aux langues principales des populations intéressées. Un tel système, on le comprend, tendait à créer et à maintenir une hiérarchisation d'ordre culturel entre Européens et Africains. Mais toute chose a un côté favorable. Du fait de cette forme de colonisation, les anciennes possessions coloniales belges, tout en subissant aussi une grande perte de leurs richesses culturelles, sont certainement parmi celles qui ont pu en sauvegarder une part assez importante.’ ‘ 593

Dans ce contexte, l'Ecole fut utilisée expressément pour maintenir les colonisés à un niveau inférieur de développement, réduisant ainsi les capacités d'intervention de ces peuples dans les problèmes qui les concernent, l'ouverture de leur esprit, l'élan dans la prise d'initiatives, etc. ‘“ La Belgique, elle, avait adopté constamment le paternalisme comme principe. Si elle avait développé dans ses colonies l'enseignement primaire, le secondaire, lui, jusqu'à la veille de l'indépendance de ses possessions coloniales, y fut très rare. Quant à l'enseignement supérieur, le seul institut qui le dispensa au Rwanda pendant toute la durée de la colonisation fut le grand séminaire. Dans le système colonial belge, même ceux qui pouvaient bénéficier d'une formation assez poussée étaient destinés à fournir des cadres à l'administration. On ne formait ni de futurs écrivains ni une classe d'intellectuels susceptibles de s'interroger sur leur société et sur la façon dont elle était conduite. Un axiome prévalait : "Pas d'élites, pas d'ennuis". Des réalisations économiques, sociales, hospitalières furent souvent accomplies par le régime belge, mais sur sa seule initiative et il ne fallait pas prétendre lui forcer la main ”’ ‘ 594 ’ ‘.’

L'impact de ces principes se fait sentir encore aujourd'hui : on doit recourir aux étrangers pour tout projet, pour toute expertise, et la confiance est totale quand on a à faire aux Blancs; les Africains, les Rwandais en particulier, restent méfiants dans la "capacité" de "leurs Noirs", même quand ceux-ci peuvent se défendre. Pour tout problème national (conflits, pauvreté, catastrophe naturelle, etc.), il faut faire appel à l'aide internationale pour la recherche de solutions, aussi bien sur le plan technique (ressources humaines capables) que financier et matériel.

Dans tout cela, certains estiment que cette politique coloniale, consistant à instruire jusqu'à un niveau minimum, est appliquée dans la politique éducative de la deuxième république, en vue de maintenir les Rwandais à un niveau mental peu développé, et d'éviter les problèmes et les ennuis liés à l'ouverture d'esprit et à l'instruction générale élevée. Le passage suivant révèle cette conviction :

‘“ …certains mettent en cause le type de développement "ruraliste" qui est celui du Rwanda : peu de villes, un habitat traditionnellement dispersé, des activités essentiellement agricoles, les secteurs de services, du commerce, de l'artisanat trop peu développés. A ces objections Habyarimana répond que c'est cela que souhaite la population. En réalité, on peut se demander si cette volonté de maintenir les paysans isolés sur leurs collines n'est pas une manière de préserver le statu quo. L'ignorance, la crédulité des paysans confortent le pouvoir des intellectuels, des "élites" qui parlent en leur nom et les manipulent à leur guise.
Désireux de revaloriser le travail agricole, le régime crée le CERAI (centre d'éducation rurale et artisanale intégrée) . Dérivés des centres expérimentaux missionnaires, ils ont pour ambition de doter le pays d'agriculteurs et d'artisans. Mais le français n'est enseigné comme seconde langue qu'à partir de la quatrième année d'études, et l'enseignement secondaire n'absorbe que moins de 15% des jeunes. Même si l'Etat consacre un quart de son budget à l'enseignement, la moitié des paysans demeurent analphabètes ” 595 .’

Notes
593.

KARIBWAMI (J). op. cit. p. 352

594.

Idem,pp.352-353

595.

BRAECKMAN (C). op. cit., pp. 89-90