2.1.3.2. Obstacles divers relevés par la population

Ils sont relevés dans les réponses au questionnaire et sont groupés comme suit :

- A beaucoup de reprises, nous avons relevé que la pauvreté et l'ignorance de la population sont parmi les raisons qui empêchent les parents de s'acquitter de leur mission éducative. A quand l'éradication des deux maux? Dans tous les cas, ce n'est pas à court terme. Entre temps, l'éducation des enfants continue d'en souffrir : certains abandonnent l'Ecole, d'autres apprennent mal, faute de conditions favorables etc.

Certains comportements qui, jadis, étaient socialement et moralement inacceptables sont devenus aujourd'hui normaux :

. les femmes et les filles n'ont plus honte de fréquenter les buvettes, de s'enivrer et d’adopter des comportements honteux, surtout pour les mères. Elles n'ont plus honte de "marcher nues", expression faisant référence aux minis, aux habits très décolletés, ou très serrés, etc..

. l'alcoolisme n'est plus le domaine de quelques uns, il gagne tous les milieux (paysans, intellectuels, autorités, etc.), et il dévalorise l'adulte devant les jeunes. Pire encore, l'alcoolisme des adultes légitime celui des jeunes; ce n'est donc pas un petit problème pour l'éducation.

. traditionnellement, le mariage suivait certaines règles, constituait des engagements personnels et collectifs des contractants et de leurs familles, manifestait un sens social que tout le monde reconnaissait et respectait, etc. Aujourd'hui, les mariages se font en désordre, ils ne sont plus une affaire de famille mais de deux personnes; on peut se marier pour quelques années, voire quelques mois, les séparations étant devenues un droit, comme le divorce. Les enfants issus de tels mariages souffrent d'une éducation non harmonieuse. Pour changer cette situation, qui semble bien s'installer, il faudra de graves mesures et beaucoup de patience. Et, entre-temps, les enfants sans éducation continuent d'augmenter.

- Depuis longtemps, on se plaint, au Rwanda, de l'influence très négative des domestiques sur l'éducation morale des enfants. Auprès d'eux, les enfants apprennent à mentir, à voler, la duplicité (gucabiranya), à faire les impuretés (gusambana), etc. La situation pourra-t-elle changer un jour ? Certains proposent qu'on exige d’eux une certaine formation, dont les modalités sont à penser. Autrement, tant que ce métier restera indispensable et sera exercé par des enfants sans éducation (orphelins, enfants démunis, enfants déscolarisés suite aux indisciplines pour la plupart, etc.), il est certain que les enfants qui ont grandi entre leurs mains auront reçu une mauvaise éducation de base.

- Au Rwanda, le diplôme reste la seule source de tout espoir d’une vie sociale et économique meilleure. L'obsession de ’’cette pièce’’ se rencontre aussi bien chez les élèves que chez les parents. La corruption aidant, tous les moyens deviennent bons pour obtenir ce document qu'il faut montrer partout où l’on espère un bon salaire et des avantages ou profits, même quand on est sûr que le ou la diplômé(e) n'est pas au niveau des compétences requises par ce diplôme. Dans de telles conditions, la morale n'a plus de valeur et il ne faudra pas attendre de rentabilité auprès de tels diplômés.

Si de tels cas sont signalés dans un échantillon de moins de 50 personnes, c'est qu'ils ne sont pas rares sur le plan national. Même si ces cas n’étaient pas nombreux, il faut imaginer les dégâts que peut entraîner un faux docteur ou infirmier dans un hôpital, un faux enseignant dans une école primaire où un enseignant tient, à lui seul, des enfants durant toute une année, un faux comptable dans une banque, etc.

Sera-t-il facile de faire comprendre aux gens qu'un diplôme se mérite et se valide par des compétences ! Le monde enseignant pourra-t-il résister aux intimidations des politiciens ou de riches commerçants qui exigent, moyennant d'énormes récompenses (pour un enseignant mal payé) ou des pressions, (pour quelqu'un qui n'aimerait pas perdre son poste ou même sa vie), que leurs enfants réussissent coûte que coûte ! Il faudra, pour cela, une éducation de tout le monde, un changement de mentalités et c'est un travail de longue haleine.

Les attitudes des Rwandais vis-à-vis de l'Eglise sont nombreuses, comme nous l'avons vu plus haut. L'Evangile contenant des valeurs humaines visant la fraternité, rien ne serait plus intéressant que son application dans un Rwanda qui a soif de la paix et de l'unité nationale, de la tolérance et de la cohabitation dans le respect de la valeur humaine commune à tout le monde.

Cependant, des témoignages oraux ou écrits sur les attitudes des chefs d'Eglise suscitent le doute quant à leur capacité ou leur volonté d'aider à redresser l'éducation sociale et morale des Rwandais. Le témoignage suivant contient beaucoup de réponses adressées à l’Eglise : ‘’la direction (ubuyobozi) des Eglises du Rwanda reflète une foi insuffisante en Dieu, et beaucoup travaillent pour leurs intérêts personnels ou pour des intérêts de petits groupes (udutsiko). Ils disent qu'ils se sont donnés à Dieu mais leurs discours en privé, leurs comportements et leurs actions prouvent qu'ils entrent dans le clergé pour y chercher une vie meilleure que celle de leurs parents. Quand ils sont là, ce sont souvent les plus faux (indyarya) qui prennent les postes de responsabilité. Voilà pourquoi, quant à moi, je ne demanderai pas à un gagne-pain (umuca-ncuro) de réfléchir sur un projet d'une meilleure éducation des jeunes. En effet, on peut se demander ce que l'Eglise fait réellement pour sauver la jeunesse qui se perd de plus en plus, ou ce qu'elle fait pour encadrer les croyants qui n'ont plus de guide spirituel. Comment peut-on éduquer des gens qu'on ne connaît pas, à qui on ne peut pas rendre visite, à qui on ne parle pas. Si tu crains des êtres ou que tu les méprises, peux-tu les éduquer ? Quel serait ton plan éducatif, tes prévisions, tes objectifs; seraient-ils pertinents’’?

Ce genre d'observation montre qu'il y a donc une coupure, un fossé entre l'Eglise dirigeante et l'Eglise dirigée, ce qui porte préjudice à toute conception de projets éducatifs adaptés aux besoins de la masse, des jeunes en particulier.