2.3.1. De l'éducation morale

Comme nous l'avons vu précédemment, les résultats de notre enquête (entretiens, questionnaires, lecture de certains écrits) montrent que la population est consciente que la morale, au Rwanda, a perdu toute sa valeur avec la guerre, le génocide et les massacres. Les adultes ont perdu leur fonction éducative : pour les valeurs positives, ils ne sont plus les modèles des jeunes et ces derniers ont perdu toute confiance en leur "grandeur", en leur "sagesse".

Dans ses propositions, la population demande que l'Ecole redresse la morale des enfants, mais elle insiste sur l'éducation des parents, qui doivent reconquérir leur image de parents idéaux : éducateurs et modèles. Elle fait remarquer la diversité culturelle qui entraîne celle des valeurs et demande à l'Ecole et aux parents de revaloriser les valeurs traditionnelles et de faire un choix prudent parmi les valeurs modernes. Les valeurs traditionnelles que regrette souvent la population sont : l'obéissance des enfants, le respect de soi-même, d'autrui et des biens d'autrui, la pudeur féminine (dans l'habillement, la boisson, les amitiés..).

A travers les politiques éducatives (voir annexe) et les programmes d'enseignement élaborés par l'Etat, on sent la conviction de celui-ci que l'Education morale aura un rôle primordial dans la reconstruction de la société rwandaise complètement déchirée par les guerres, les massacres et le génocide. C'est ainsi qu'on a introduit le cours de morale au primaire

Nous avons énoncé quelques observations sur ce programme :

  • il ne respecte pas les principes pédagogiques pourtant énoncés dans les notes méthodologiques : partir du proche au lointain, du simple au compliqué, du particulier au général etc. Selon ces principes, les valeurs morales visées devraient évoluer selon les milieux fréquentés par l'enfant : il y a d'abord la famille locale, la famille élargie, la rue, les rassemblements (fêtes, marchés, hôpital...), l'Ecole, les lieux administratifs etc. Toutes ces valeurs qu'on trouve de la 4 année à la 6 année doivent être vécues dans tous ces milieux et par tous les âges (scolaires ici), mais de façon différente selon les cas (l'âge de l'enfant, le milieu en question, les circonstances, etc.).

L'amour et le respect que l'enfant doit à son père et à sa mère (en particulier) s'étendra aux grands parents, puis à tous les adultes, puis aux enseignants, plus tard aux autorités politiques, etc., (la valeur se généralise). Cet aspect évolutif qui permettra à l'enfant de saisir le sens d'une valeur n'apparaît pas dans cette programmation.

  • Ce programme met l'accent sur la connaissance des valeurs et non sur leur incarnation, leur adoption. Nulle part on ne trouve un objectif de "savoir être". Les objectifs ne portent que sur les processus mentaux de définition, reproduction (citer), description, explication, etc. et jamais sur les processus affectifs (attitudes concrètes). Ce problème de l'absence d'éducation aux valeurs dans leur aspect affectif cause toujours des problèmes à la pédagogie, le Rwanda n’est alors pas épargné.
  • Les problèmes axiologiques (l'universalité des valeurs et leur relativité) semblent ignorés par le programme de morale du primaire, alors que cette information parait indispensable à la tolérance et à la cohabitation. Cependant, la population est très sensible à la multiculturalité que connaît aujourd'hui le Rwanda et reconnaît la difficulté que cela entraîne dans l'éducation aux valeurs. L'Ecole devrait pouvoir aider à la synthèse entre les différentes cultures et définir les valeurs traditionnelles rwandaises positives, à garder, et les valeurs négatives étrangères, à refuser d'intégrer dans notre culture actuelle. Cet objectif devrait apparaître dans le programme scolaire de Morale.
  • Au moment où la population est très préoccupée par l'incapacité des parents d'assurer une bonne éducation morale aux enfants, suite surtout aux mauvais exemples du quotidien, l'Etat semble ne pas partager cette inquiétude. Là où il est question des parents, pour lui, c'est pour regretter leur faible participation à la gestion et à la prise de décision des Ecoles.