2 3.2. Du cours d'Education civique

Les Rwandais savent que le cours d'Education civique est indispensable à la reconstruction de la société rwandaise et le rapprochent souvent de la Morale. Par exemple, quelqu'un a développé une réflexion qui critiquait  une Education civique où l'on n’enseigne que le parti au pouvoir. Il réclamait qu'on enseigne les droits et devoirs de citoyen, leur culture; il demandait qu'on éduque à la démocratie, à la tolérance et à la compréhension, ce qui aboutirait finalement à un esprit de critique de tout et de soi-même et à la liberté.

Une autre personne a écrit qu'il faut apprendre aux élèves à accepter d'abord leur identité ethnique, ensuite les aider à découvrir que les différences ethniques ne doivent pas constituer un obstacle à la cohabitation pacifique. Pour moi, disait-il, il est capital qu'on aide les enfants, en famille et à l'Ecole, à se rendre compte que personne ne choisit son identité. L'ethnie est donc un don de Dieu, qu'on doit apprendre, dès le jeune âge, à respecter. Etre différent ne signifie pas qu'on ne peut pas vivre ensemble. Cette valeur d'acceptation des différences, de respect des différences, doit être présentée continuellement aux enfants rwandais.

L'Etat a également compris la nécessité d'un cours de "Civisme", mais l'analyse de son projet de civisme de 1997 révèle des faiblesses. En effet, il concerne des notions nouvelles pour la culture rwandaise : les noms d'institutions politiques (patrie, nation, société...) et les valeurs liées à ces institutions politiques (droit à la vie, à la propriété, la démocratie, la tolérance, la justice, le patriotisme, les droits et les devoirs vis-à-vis de sa société, le citoyen, etc.). Nous savons que ces institutions politiques sont venues se superposer aux institutions sociales et politiques traditionnelles ainsi qu'aux valeurs qui s'y rapportaient, et que ces deux ordres institutionnels, traditionnel et moderne, ne pouvaient pas cohabiter.

Si l'on veut aboutir aux objectifs fixés pour ce cours, il faut d'abord faire comprendre la signification de ces nouvelles institutions, pourquoi elles valent mieux que celles qu'il advient d'abandonner et pourquoi les valeurs qui y sont rattachées (aux institutions nouvelles) sont meilleures que les valeurs traditionnelles socio-politiques.

Si ce cours de civisme n'aide pas les enfants à comprendre et à distinguer toutes ces institutions et leurs valeurs qui sont non complémentaires mais contradictoires et exclusives, à les comparer entre elles, à saisir les forces et les faiblesses de chacune, à opérer un choix motivé et non forcé des valeurs à adopter, à les rendre siennes dans sa vie quotidienne, il restera un cours de transmission de connaissances à mémoriser, à restituer lors des évaluations, et c'est tout, surtout que ses contenus restent en contradiction avec ce qui se passe autour d’eux. La lecture du programme de civisme proposé en 1997 ne donne pas l'impression de surmonter cette difficulté; comme cela fut constaté pour les périodes d'avant 1994, les concepts "nation, Etat, citoyen, patrie, pays" n'y sont pas explicités.

La programmation du cours de civisme peut être progressif. L'évolution peut se faire du plus proche, le secteur, au plus lointain, la communauté internationale, en passant par la commune, la préfecture, l'Etat ou la nation. Et à chaque niveau, on épuiserait tous les éléments qui concernent ce cours. Ainsi, les symboles de la nation viendraient au moment où l'on parlerait de l'Etat-Nation après la préfecture. De même les trois pouvoirs n'attendraient-ils pas la 5 année pour être évoqués ; ils le seraient déjà lors de l'étude du secteur, de la commune et de la préfecture, se limitant chaque fois à ce qui concerne chaque niveau dans ce domaine. La politesse, qui figure au programme de civisme (4ème année), peut bien trouver ainsi sa place dans le cours de morale, et la "situation géographique du pays" dans le cours de géographie.

Le cours de civisme, tel qu’il se présente, vise les connaissances et non les attitudes, comme cela fut observé pour le cours de moral. Pour le civisme, il ne suffit pas de pouvoir citer les institutions administratives. Il faut que chaque institution soit étudiée dans toutes ses composantes, et située par rapport aux autres institutions au niveau concerné (Eglise, Ecole, maisons religieuses, famille locale - père, mère, enfants -, familles élargies avec leurs chefs, etc.), que les rapports devant exister entre les différentes institutions et leurs autorités soient bien définis, que le rôle de chacun (enfant ou adulte) dans chacune de ces institutions administratives soit bien explicité, que le rôle de l'institution dans la vie de chacun soit nettement précisé, que les qualités et les défauts des autorités concernées soient énoncés, etc. Il ne suffit pas non plus de pouvoir citer et expliquer à l'aide d'exemples concrets les droits de l'homme ou les droit de l'enfant, il faut aussi pouvoir, dans ce cours, vérifier si ces droits sont respectés, les appliquer dans le milieu scolaire ou familial, identifier ou revendiquer ceux qui sont bafoués, etc.

Toujours dans le cadre des objectifs du civisme, qui doit viser aussi bien les connaissances que les attitudes, on ne devrait pas isoler le chapitre "la sauvegarde du patrimoine" (familial, scolaire et national) des chapitres portant sur ‘’la connaissance des structures administratives’’, des droits et des devoirs de chacun dans la structure concernée ; par exemple, chacun (enfant ou adulte, dirigé ou dirigeant) doit veiller à la sauvegarde des biens que la commune ou le secteur met à la disposition de la population, comme des adductions d'eau, des toilettes publiques, des voies de communication,...). C'est en situant les devoirs dans le milieu proche de l'enfant (secteur ou commune) qu'ils ont un sens pour lui, plutôt que de les généraliser tout de suite au niveau national ou de l'Etat, niveau encore abstrait pour les petits du primaire.

Le problème ethnique que la population demande d'expliquer aux enfants semble ignoré aussi bien dans le cours de morale que de civisme. Il serait important que les objectifs spécifiques précis soient mentionnés dans ce cours de civisme, concernant l'acceptation et le respect des différences. Dans les orientations générales, on précise que ce cours vise l'éducation à la paix, à la tolérance. Tant que les différences ethniques resteront un sujet tabou à l'Ecole, alors qu'elles sont à l'origine de beaucoup de conflits internes ou ouverts entre Rwandais au quotidien et partout, les objectifs scolaires d'éducation à la paix ou à la tolérance resteront sans objet.